Le recours aux consultants
Martine Poulain
L'Association des conservateurs de bibliothèques (ACB) organisait récemment une journée d'étude sur le recours aux consultants dans les bibliothèques *. A une enquête lancée par cette association, 152 bibliothèques ont répondu. Les motifs de recours aux consultants sont essentiellement : l'informatisation (51 % des cas), les constructions ou réaménagements (25 %), le management et la gestion (16 %). Les consultants les plus sollicités sont, selon cette enquête, René Deriez, Tosca, Bossard, ABCD, Silogia, etc. Sur une échelle de satisfaction échelonnée de 1 à 5, la note la plus fréquente est 4 (54 % des choix). Une collaboration qui, se répandant depuis le début des années 90, semble satisfaire les deux parties.
Choisir un consultant
Didier Noyé, auteur d'un récent ouvrage sur le sujet 1, s'est attardé sur quatre points majeurs : quand faire appel aux consultants ? Comment définir la demande ? Comment choisir ? Comment travailler efficacement ? Il existe, selon Didier Noyé, deux types de consultants : l'expert, très qualifié sur un sujet, le « faciliteur », qui aide à « régler un problème ». Mais attention, met en garde Didier Noyé, certains établissements « névrosés » font appel à un consultant pour résoudre un problème interne : grave erreur.
Tout appel à consultant doit être « bien cadré ». Le problème doit être « bien défini », la demande précise. La proposition sera envoyée à un nombre réduit de consultants : la consultation préalable ne doit pas être trop large. Le choix ne prendra pas en compte le seul problème du coût, mais s'intéressera surtout à la qualité et la faisabilité de la réponse. Enfm, Didier Noyé fait la liste des erreurs à éviter lorsqu'on travaille avec un consultant : la confiance aveugle est une erreur, trop de délégation aussi (c'est le directeur de l'établissement qui doit prendre en charge la direction du pilotage, même si celui-ci est par ailleurs collectif). La communication, l'explicitation publiques des objectifs doivent être affirmées ; la manière de travailler, la méthode de conduite du projet doivent elles aussi faire l'objet d'explicitation pour devenir communes. Tout travail avec un consultant doit se traduire par un transfert de savoir-faire. Ce sont les modalités et apports de cette collaboration qu'a déclinés également Marie-Thérèse Pouillias 2.
Quelques exemples
Plusieurs exemples d'interventions dans divers domaines ont ainsi été présentés au cours de la journée. Du côté de la connaissance des publics, les conditions et principaux résultats de l'enquête sur les publics de la Bibliothèque nationale ont été présentés par Christian Baudelot. Une enquête dont les circonstances de départ pouvaient sembler délicates, comme c'est souvent le cas, a rappelé Christian Baudelot, dans les appels à des spécialistes extérieurs : commandée et payée par la Bibliothèque de France, elle avait pour but de mieux connaître les usages et usagers de la Bibliothèque nationale, alors établissements distincts, dont les relations n'étaient pas toujours au beau fixe... En fait, comme la collaboration entre un universitaire et un institut de sondage (en l'occurrence Louis Harris), celle entre les auteurs de l'enquête et l'établissement concerné s'est déroulée au mieux 3.
Les étudiantes du DESS Consultant culturel de Nanterre sont venues, elles, présenter les grandes lignes de l'enquête qui avait la bibliothèque municipale de cette ville comme terrain : un travail aux multiples regards qui a su combiner approche par questionnaire, entretiens, observations 4.
De l'autre côté du miroir
Cette journée pionnière se conclut par une table ronde où quelques-uns des consultants les plus actifs dans le domaine des bibliothèques étaient invités à donner leur point de vue sur leurs collaborations avec ces institutions. Qu'apprend-on « de l'autre côté du miroir » ? Pierre Dano, de Bossard Consultants, estime que les évolutions récentes (pressions budgétaires, accroissement du marketing public, évolution de l'informatique) vont accélérer les mutations dans les bibliothèques. Celles-ci devront être plus performantes dans le domaine de la gestion des ressources humaines, 60 à 70 % des coûts étant salariaux : où sont les plans de carrière, où sont les évaluations des professionnels ? s'est interrogé Pierre Dano. La fonction des cadres a été largement sous-estimée, l'organisation interne n'est souvent que très peu pensée. Enfin, où est la gestion prévisionnelle, où est le contrôle de gestion, où sont les tableaux de bord, questionne Pierre Dano, invitant les bibliothèques à être plus offensives, à développer des stratégies mettant en œuvre réseaux et partenariat, à « mettre le public au centre des préoccupations », à « passer d'une culture de moyens à une culture de résultats ».
Jean-Paul Roux-Fouillet, du Bureau Van Dijk, estime que les études en bibliothèques sont très diverses et que nul n'est omniscient : « Il n'y a pas de consultant tout terrain ». Les conservateurs des bibliothèques sont aujourd'hui de plus en plus exigeants dans leur demande : ils manifestent de plus en plus d'ouverture vers des méthodes couramment utilisées ailleurs, demandent des outils d'évaluation : où en est en France l'application de la certification en norme ISO 9000 ?
Pour Marc Maisonneuve, de Tosca consultants, l'apport du consultant est avant tout dans des méthodes de travail et une expertise technique. Lui aussi a insisté sur la nécessité de motiver une équipe (50 % du temps de travail du consultant) et de savoir « préparer son départ », en « transférant un savoir-faire et des compétences ». Pour Philippe Levy, de Silogia, les difficultés peuvent venir des lourdeurs administratives, de la difficulté à mener à bien des projets collectifs, de la trop grande complicité qui s'installe nécessairement entre les conservateurs et les consultants : « Le consultant risque de devenir conservateur »... Les défis actuels lui paraissent concerner les réseaux, le développement des médias au sein d'une même entité, une analyse correcte de la demande et l'adéquation de l'offre. Enfin, René Deriez estime que le travail du consultant est de « donner à la bibliothèque des outils qui vont lui permettre de réaliser ses choix ». Il faut absolument évaluer les charges financières et humaines entraînées par ces choix. Il est nécessaire de développer encore davantage l'évaluation des besoins du public, de la qualification du personnel, des collections, des activités, des lecteurs, qui aujourd'hui consultent des documents davantage qu'ils n'empruntent. Le rôle du consultant n'est pourtant jamais de « dire ce qu'il faut faire, mais de proposer ». Celui-ci apporte à la bibliothèque un regard extérieur, peut catalyser des expériences et susciter la réflexion, « aider les bibliothèques à réactualiser en permanence leurs missions » et, au passage contribuer à faire connaître aux élus cette « boîte noire », qu'ils connaissent si mal.