Bibliothèques publiques du Québec
Panorama sur les services offerts
Anne-Hélène Rigogne
Réjean Savard
Les auteurs ont étudié les services offerts aux adultes par les bibliothèques publiques du Québec en s'appuyant sur une enquête par correspondance menée auprès des bibliothèques desservant les villes de plus de 25 000 habitants. Les spécificités de cette offre de services sont analysées en termes de pourcentage des services offerts. On porte également une attention spéciale à la tarification de ces services. Les résultats démontrent que, malgré une amélioration marquée ces dernières années, les bibliothèques québécoises se positionnent surtout comme des institutions culturelles et de loisir, contrairement aux autres bibliothèques en Amérique du Nord qui accordent de plus en plus d'importance à la mission d'information de la bibliothèque publique.
The authors have studied adult services pmvided by Québec public libraries serving over 25 000. They analyse the specifications of this offer of services by calculating the percentage of libraries offering them. They also pay a special attention to the question of fees that are charged for these services. The results show that, despite a marked improvement in the last years, Québec libraries are positioned mainly as cultural and leisure institutions, unlike other public libraries in North America which are attaching more and more importance to the information mission of the public library.
Die Verfasser haben die den Erwachsenen von den öffentlichen Büchereien in Quebec angebotenen Dienste studiert nach einer Ermittlung, die durch Schriftverkehr bei den Bibliotheken der Städte von mehr als 25 000 Bewohner angestellt wurde. Die Eigentümlichkeit dieser Dienstleistung wird in Übereinstimmung mit dem Prozentsatz der angebotenen Dienste analysiert. Die Gebührenfestsetzung dieser Dienste wird besonders in Betracht gezogen. Die Ergebnisse der Ermittlung beweisen, daB die Bibliotheken in Quebec trotz einer merklichen Verbesserung im Verlauf der letzten Jahre die Rolle kultureller Freizeitzentren vor allem spielen. Im Gegenteil messen die anderen Büchereien in Nordamerika ihrem Informationsauftrag eine zunehmende Bedeutung bei.
Contrairement au monde anglo-saxon qui les entoure, les Québécois ont découvert relativement tard les vertus de la lecture publique 1. L'histoire de la lecture publique en Amérique du Nord commence au milieu du XIXe siècle en Nouvelle-Angleterre et prend son envol au début du XXe siècle. Malgré des efforts isolés et vains pour instaurer une véritable politique de lecture publique au Québec à partir de 1844 (Fondation de l'Institut canadien de Montréal), ce n'est véritablement qu'avec les années soixante que l'Etat décide d'investir vraiment dans les bibliothèques. Et le véritable essor des bibliothèques publiques québécoises se fera à partir de 1980, suite au plan de construction de bibliothèques que mettait sur pied le ministre Denis Vaugeois.
Rappelons que le Québec compte 6,9 millions d'habitants. En 1991, 28,9 % de cette population est inscrite en bibliothèque. La plus grande partie de la population (70,9 %) est desservie par ce qu'il est convenu d'appeler des bibliothèques publiques autonomes, au nombre de 155. Cette appellation, qui d'ailleurs n'est pas appropriée puisqu'il s'agit en général d'institutions municipales, donc directement sous la tutelle des communes, vient de la distinction qu'on a voulu établir avec les bibliothèques qui dépendent du réseau des bibliothèques centrales de prêt. Au Québec, un clivage assez important existe entre les bibliothèques dites autonomes (communes de plus de 5 000 habitants), et celles qui sont desservies par les BCP, appelées depuis peu des Centres régionaux de services aux bibliothèques publiques (CRSBP) 2. Plus de 18 % de la population est desservie par les 783 bibliothèques affiliées (communes de moins de 5 000 habitants), le plus souvent gérées par des bénévoles. Elles sont affiliées par contrat aux 11 CRSBP qui sont des corporations privées sans but lucratif qui leur dispensent des services techniques, d'encadrement et d'animation.
Malgré ce plan ministériel grâce auquel les statistiques des bibliothèques ont fait un bond gigantesque en avant, le développement de la lecture publique au Québec reste encore loin derrière celui des états voisins, des Etats-Unis, ou même du Canada anglais. Ainsi, même si presque la totalité du territoire de 1,54 million de km2 est desservi par une bibliothèque, le Québec occupe toujours la dernière place pour ce qui est du personnel disponible, des bâtiments, des équipements, du nombre de documents par habitant lorsque l'on compare les chiffres des provinces canadiennes 3. Par exemple, en 1990, les 54 bibliothèques de la région métropolitaine de Montréal offraient 9 235 places assises, pour 12 692 places dans les 23 bibliothèques de la région métropolitaine de Toronto. Elles employaient 1 227 personnes contre 3 322 pour Toronto 4. L'origine de ces disparités est bien sûr le retard historique, nous l'avons vu, mais aussi le sous-financement des bibliothèques québécoises. En Ontario, les municipalités, plus riches de 20 %, il est vrai, consacrent deux fois plus d'argent à leurs bibliothèques 5. Ainsi, l'histoire récente des bibliothèques québécoises nous donne l'image d'un envol miraculeux si on le considère seul ; mais la comparaison avec les voisins nord-américains, là comme dans d'autres domaines, ternit un peu le tableau.
Faire le point...
Pour mieux comprendre la situation des bibliothèques publiques québécoises, et trouver les arguments nécessaires à leur développement, il fallait approfondir notre connaissance des services offerts. Nous disposons en effet de données statistiques annuelles assez complètes sur les inputs (nombre de documents dans les collections, personnel, budgets, etc.) 6, mais assez peu en ce qui concerne les outputs, c'est-à-dire ce qui est fait avec les ressources engagées dans le système.
Pour ce faire, il fut décidé de réaliser une enquête par questionnaire. Les données nous permettraient de faire un état des lieux en ce qui concerne les services offerts, éventuellement de découvrir et d'analyser des disparités entre certaines bibliothèques ou certains groupes de bibliothèques, et finalement de comparer la performance des bibliothèques québécoises à celles d'autres États, du moins dans certains cas.
Un bilan de la littérature professionnelle sur le sujet nous démontra qu'une étude similaire avait déjà été faite aux Etats-Unis. Effectuée pour le compte de l'American Library Association, les résultats furent publiés en 1990 7. Le questionnaire et la méthodologie de cette enquête servirent de point de départ. Cette approche nous permettait éventuellement d'effectuer certaines comparaisons avec l'étude américaine. Le questionnaire original comportait 44 questions. Nous avons donc traduit et adapté ce questionnaire au milieu québécois. Nous avons de plus actualisé celui-ci, par exemple en ajoutant des questions concernant des services de type nouveau, qui n'existaient pas au moment où l'enquête américaine avait été faite (par exemple les CD-Rom). Pour plus de clarté, le questionnaire fut divisé en six grandes sections, représentant en quelque sorte les gammes de produits pouvant être offerts en bibliothèque publique, pour utiliser une terminologie relevant davantage du « marketing » : collections et prêt (mise à disposition de documents de différents types en consultation sur place et en prêt), animation et manifestations dans la bibliothèque (conférences, ateliers, spectacles) et en direction de publics spécifiques, services extérieurs (services de la bibliothèque en direction des publics éloignés, retenus à domicile, handicapés, etc.) ou des institutions (résidences de personnes âgées, etc.), services d'information communautaire : services d'information sur les services, les organismes, les loisirs de la communauté 8, alphabétisation : services en direction de ce public (collections particulières, locaux, cours d'alphabétisation, etc.), autres services (services complémentaires et équipement).
Un certain nombre de questions supplémentaires pouvant nous apporter d'autres éléments d'analyse furent ajoutées : région administrative, population desservie, différentes catégories de personnel travaillant à la bibliothèque, etc.
Le choix de la population concemée s'est fait selon les mêmes critères que ceux de l'enquête américaine, ce qui encore une fois allait permettre certaines comparaisons : le questionnaire fut donc adressé à toutes les bibliothèques desservant une population de plus de 25 000 habitants. On demanda spécifiquement aux bibliothèques de remplir un questionnaire par annexe. Ainsi, 108 questionnaires furent envoyés dans 44 bibliothèques. Après un délai de deux semaines, puis une relance téléphonique, 39 municipalités avaient répondu au questionnaire. Au total 83 questionnaires nous sont revenus sur les 108 envoyés, ce qui correspond à un taux de réponse de 76,3 %. Il s'agit d'un excellent score.
Profil des bibliothèques interrogées
Le tableau 1 présente les réponses obtenues par régions administratives et par population desservie. Ces répondants viennent pour 48,2 % de la région de Montréal-Laval. Cette région semble donc surreprésentée dans l'échantillon, mais il faut tenir compte du fait qu'il s'agit de la région la plus développée en ce qui concerne les bibliothèques publiques. On y retrouve donc davantage de bibliothèques, ce qui peut expliquer cette surreprésentation par rapport à la population.
Quant à la population desservie, de façon générale les répartitions des réponses correspondent aux chiffres officiels de populations des municipalités. On retrouve le plus de réponses dans les tranches de 25 000 à 35 000 habitants (27), et dans celles de 35 000 à 45 000 habitants (17), mais c'est dans ces catégories que les communes sont les plus nombreuses au Québec. Les réponses provenant de populations de communes de moins de 25 000 habitants sont celles des annexes qui desservent des populations plus petites que leur ville principale.
Ces populations desservies sont en majorité francophones, 44 % des bibliothèques interrogées ont une population francophone supérieure à la moyenne nationale de 81,4 % ; 19 % des répondants ont une population anglophone supérieure à la moyenne nationale de 9 %, et enfin 30 % ont une population allophone (autres langues d'origine) supérieure à la moyenne nationale de 1 %.
Les services : état des lieux
Collections et prêt
Toutes les bibliothèques offrent évidemment des livres et des périodiques. Examinons donc l'offre de collections (hors livres et périodiques), que ce soit pour la consultation sur place ou pour le prêt.
Plus de 90 % des bibliothèques interrogées ont une collection de livres en gros caractères, affichant ainsi un certain souci des usagers malvoyants ou des personnes âgées. En Amérique du Nord il y a réellement un public pour ce type d'ouvrages ; pour preuve le nombre de collections publiées, surtout en langue anglaise, il est vrai, et les bibliothèques québécoises répondent à cette demande.
Le prêt des cassettes est en seconde place parmi les services les plus offerts. Le taux du Québec dépasse d'ailleurs celui des Etats-Unis de 10 % environ, mais l'ancienneté de l'enquête américaine pourrait peut-être expliquer cette différence. Parallèlement, on note une assez bonne pénétration du livre sonore (53 %). La popularité du prêt de cassettes, musicales ou parlées vient peut-être de l'usage important de l'automobile et des longues distances au Québec.
Restons dans l'offre de documents audiovisuels. On observe que les bibliothèques prêtent plus ce type de documents qu'elles ne les offrent en consultation sur place, sauf en ce qui concerne les vidéocassettes qui ont environ le même taux pour les deux services (environ 44 %). Dans ce cas, il serait intéressant de voir dans une prochaine recherche si ce sont les mêmes bibliothèques qui prêtent et permettent la consultation sur place ou si les deux possibilités sont offertes dans des établissements différents. L'offre de service audiovisuel est en progression : celle-ci était de 20,1 % en 1987 9. Le service audiovisuel (vidéocassettes) est donc presque autant une banque de prêt (pour 44,6 % des bibliothèques) qu'un service d'écoute ou de visionnement sur place (pour 43,4 % des bibliothèques). A titre de comparaison, les statistiques des bibliothèques municipales en France indiquaient que 90 des 386 bibliothèques (23,3 %) desservant plus de 20 000 habitants, avaient une vidéothèque en 1991 10.
Autre fait saillant, le taux beaucoup plus faible du prêt de disques compacts (34,9 %). Cette technologie relativement nouvelle ne semble pas encore avoir fait sa place dans le dispositif de prêt des bibliothèques québécoises.
Service traditionnel en Amérique du Nord, celui des « fichiers verticaux » (traduction littérale de Vertical Files), qui signifie soit des dossiers de presse, soit des collections de brochures rassemblées sur des sujets d'actualité ou d'intérêt général classés dans des meubles à rangement vertical. Plus de 60 % des bibliothèques québécoises offrent ce service. Ce taux n'est pas négligeable car les dossiers verticaux sont le fruit d'un travail plus particulier de collecte de l'information et de classement, mis au service des usagers, bien sûr.
Observons les services les moins offerts de cette section : le prêt de micro-ordinateurs n'est jamais offert, alors qu'il l'était par au moins 2,8 % des bibliothèques aux Etats-Unis en 1986. Précisons qu'il s'agissait d'ordinateurs, petits et peu coûteux, de type Commodore VIC 20 ou Timex Sinclair 1000. Le prêt d'équipement audiovisuel, pour la plupart des magnétophones, est proposé par 4,6 % des bibliothèques, alors qu'il était déjà offert par 54 % des bibliothèques américaines en 1986. On voit donc ici une différence de perception du rôle des bibliothèques, les bibliothèques américaines ayant une vision beaucoup plus large du « document » disponible pour le prêt. Certaines bibliothèques américaines prêtent même des appareils photographiques Polaroïd.
Le prêt de logiciels est proposé par 6 % des bibliothèques. Il s'agit le plus souvent de didacticiels. La consultation de logiciels sur place présente un taux un peu plus élevé, presque 10 % ; il est en effet plus facile ainsi de circonscrire le piratage et les bibliothèques offrent le plus souvent un accès à des logiciels de travail, type traitement de texte ou tableur. Les CD-Rom commencent à pénétrer l'offre des bibliothèques québécoises : plus de 10 % des bibliothèques questionnées offrent ce service à leurs clientèles. Il semble d'ailleurs que plusieurs autres bibliothèques l'envisage, et que ce service pourrait se développer rapidement au cours des prochaines années.
Services d'animation
Dans l'ensemble, ces services sont largement offerts par les bibliothèques québécoises (fig. 2). L'initiation à la bibliothèque, que ce soit en groupe ou pour les individus, semble très répandue : on la retrouve dans 80 % des cas. Ce score se rapproche de celui obtenu aux Etats-Unis. Il est certain qu'on retrouve là un souci d'ouverture à tous qui semble faire partie intégrante de la mission de la bibliothèque publique dans ce pays.
Autre volet important de l'animation, les expositions. Celles-ci sont couramment organisées dans les bibliothèques québécoises (78,3 % pour l'exposition de documents de la bibliothèque), mais le terme « exposition » a pu être pris au sens large et désigner ainsi les présentations thématiques de livres très fréquemment renouvelées. Toutefois, l'exposition de documents extérieurs à la bibliothèque, qui est censée demander un investissement plus grand, est aussi très répandue (66,3 % des bibliothèques interrogées). Les réponses américaines sont supérieures de 10 % environ.
Plus de la moitié des bibliothèques organisent des rencontres, des conférences, des projections de films. Le rôle de l'animation dans les bibliothèques est important et les thèmes des conférences sont souvent très pragmatiques « Comment payer ses impôts ? », « La ménopause », etc. Les rencontres autour du livre (61 % des bibliothèques) comprennent bien sûr les invitations d'écrivains, mais aussi les clubs de lecture, assemblées d'usagers et de bibliothécaires qui ont lu le même livre et qui en parlent ensemble.
Dans l'animation, on retrouve évidemment l'idée de toucher des publics spécifiques. Près de 20 % des bibliothèques organisent de telles activités. Les personnes âgées sont un public-cible très visé au Québec (75,9 % des bibliothèques organisent des animations pour elles, 37,7 % aux Etats-Unis). Les minorités ethniques, c'est-à-dire toutes les populations d'une autre langue d'origine ou d'une autre culture que la culture anglophone ou francophone (haïtiens, asiatiques, polonais, etc., et amérindiens compris...) sont un public légèrement mieux desservi par les activités d'animation au Québec qu'aux Etats-Unis, pourtant aussi un pays d'immigration. Ce fait étonnant mériterait une recherche plus poussée.
En revanche, les animations en direction des parents sont plus fréquentes aux Etats-Unis, ce pays étant très attaché au concept d'éducation parentale. Ces actions en direction des parents se pratiquent aussi au Québec, la bibliothèque de Montréal a d'ailleurs développé une collection spéciale en ce sens, alors que cette approche semble peu connue en bibliothèque en France. Dernier résultat surprenant en ce qui concerne ces animations pour des groupes spécifiques, le faible taux d'animation en direction des entreprises (3,4 %) par rapport aux Etats-Unis (23 %). Là encore il faudrait une étude plus fine pour savoir à quoi est due cette différence et ce que recouvre réellement ces animations. D. W. Schneider, dans son analyse des résultats de l'étude américaine, semble regretter que les services offerts aux entreprises soient plus importants que ceux offerts aux travailleurs ! 11 Curieux aussi, le faible nombre d'animations pour les demandeurs d'emploi dans un pays ou le nombre de chômeurs est assez élevé (environ 13 % au Québec, en 1993).
Enfin, deux services qui relèvent de l'animation, mais hors bibliothèque, sont peu représentés au Québec et aux Etats-Unis : la production d'émissions de télévision ou de radio. En effet, quelques bibliothèques comme celle d'Anjou (Est de Montréal) participent à une émission hebdomadaire sur les canaux communautaires (télévision câblée). En France, l'équivalent serait la participation à une émission sur une radio locale privée. Ce service, rare, mérite d'être souligné car il permet d'affirmer la présence de la bibliothèque dans la communauté.
Services extérieurs
Les services regroupés sous cette appellation correspondent à la volonté d'atteindre les populations qui ne se rendent pas à la bibliothèque, soit du fait de leur éloignement, ou d'un empêchement particulier (maladie, handicap, prison). Le service le plus offert (fig. 3) est celui de la fourniture de documents dans les résidences de personnes âgées (41,5 %). Ce service répond aux demandes individuelles émanant des résidents. Il est différent du dépôt de collections permanentes dans les résidences de personnes âgées. Ce dernier type de service est beaucoup moins répandu (22,9 % pour les résidences de personnes âgées, 8,4 % pour les hôpitaux, et 1,2 % seulement dans les prisons).
Le service de prêt à domicile pour les personnes handicapées (individuelles) touche aussi les personnes âgées. Le taux de 24,1 %, même s'il est inférieur de moitié au taux américain, est honorable et prouve la vitalité de certaines bibliothèques. En effet, ce service est exigeant et est le plus souvent assuré par des bénévoles, le choix des livres étant fait par des bibliothécaires suivant des profils de lecture déterminés à l'avance par les usagers (romans, fictions historiques, documentaires, etc.). Les services offerts aux prisons restent marginaux au Québec (aucun à 3,6 % suivant les bibliothèques). Aux Etats-Unis, même constat, quoique environ 15 % des bibliothèques en proposent.
Enfin, le service de bibliobus et le service d'envoi par courrier sont offerts par la ville de Montréal uniquement, alors qu'aux Etats-Unis, ces services sont proposés par respectivement 24,1 % et 16,7 % des bibliothèques. Le faible nombre de bibliobus au Québec peut étonner : en France on disposait de 187 de ces véhicules en 1991. Parmi les bibliothèques desservant plus de 20 000 habitants, 32,6 % (126/386) utilisent au moins un bibliobus. Cela pourrait peut-être s'expliquer par des raisons climatiques ou géographiques (même les CRSBP n'offrent pas ce service), quoique les bibliobus de certaines BDP en France opèrent sans doute dans des conditions tout aussi difficiles l'hiver (Alpes, Pyrénées), et que le prix de l'essence en France soit le double de celui qu'on trouve au Québec !
Services à la communauté
Sont regroupés sous cette appellation, les services spéciaux qui se veulent un effort de la part des bibliothèques pour atteindre des clientèles particulières comme des citoyens à la recherche d'information, ou les illettrés, qu'on appelle en Amérique du Nord des analphabètes fonctionnels (fig. 4). Le volet « information communautaire » est assez répandu en Amérique du Nord. Si nous reprenons la définition de ce service par l'Ifla 12, il s'agit de délivrer les informations fournies par les autorités locales ou gouvemementales et par d'autres organisations, d'assister le public dans ses échanges avec ces autorités, de donner des informations sur les clubs locaux et les associations, la formation permanente, les associations sportives et les lieux de loisirs. Le résultat obtenu pour la liste d'activités à venir est exceptionnel, même supérieur au résultat américain : 88 % des bibliothèques interrogées informent régulièrement leurs usagers des activités de la commune. Mais cette statistique peut refléter plusieurs réalités : de la simple présence d'un panneau d'affichage, jusqu'à la gestion d'une information exhaustive sur les activités de la commune. Quant aux autres activités de type « information communautaire », elles sont moins répandues : 47 % des bibliothèques québécoises tiennent un fichier des autres ressources documentaires de la cité. Ceci semble indiquer que l'idée de « réseau » ou « d'information minimum pour le partage des ressources documentaires » n'est pas intégrée par tous les bibliothécaires québécois. Quant au fichier des personnes-ressources, peut-être l'outil le plus significatif de l'implication dans la vie communautaire, car il s'agit d'informations à constituer, comme les noms des personnes à qui s'adresser dans les associations, les organismes sociaux, les gardiennes d'enfants, etc., il ne récolte que 17 % d'adhérents, alors que ce pourcentage atteignait 48 % aux Etats-Unis en 1986. Encore là, on voit que le rôle communautaire des bibliothèques québécoises n'est pas aussi développé qu'aux Etats-Unis.
Nous avons considéré la conquête du lectorat en difficulté comme un service, ce volet existant dans le questionnaire américain. Mais les résultats montrent que les actions sont beaucoup moins nombreuses au Québec. Le simple renvoi aux groupes d'alphabétisation est offert par la moitié seulement des bibliothèques québécoises, alors que 80 % des bibliothèques américaines le font et montrent par là leur prise de conscience du problème. Plus le service aux analphabètes est sophistiqué, moins il est offert par les bibliothèques. Ainsi, les services « locaux pour l'alphabétisation », « leçons collectives » ou « individuelles » ne sont offerts respectivement que par 7,3 %, 2,4 % et aucune des bibliothèques interrogées, alors qu'en 1986 les chiffres correspondants pour les bibliothèques américaines étaient de 64,9 %, 48 % et 29 %. Ces statistiques révèlent nettement une différence d'implication des bibliothécaires américains et québécois dans la manière d'affronter ce problème complexe et douloureux. On constate qu'au Québec, comme en France d'ailleurs, la bibliothèque n'est pas considérée comme le lieu où résoudre ce problème. Les associations d'alphabétisation font ce travail dans leurs propres circuits.
Autres services complémentaires et équipements
Presque toutes les bibliothèques ont un photocopieur (fig. 5). Le prêt interbibliothèques, est aussi relativement bien présent (73,5 % des bibliothèques), la comparaison étant en défaveur du Québec (88,2 % aux Etats-Unis). Les listes bibliographiques thématiques sur des sujets d'actualité ou d'intérêt général représentent un service très souvent rendu en Amérique du Nord, comme le montre le chiffre américain : 80,2 %. Le Québec offre ce service à 68,7 %. A la bibliothèque municipale de Toronto (Ontario), chaque département offre des vingtaines de listes sur des sujets, expliquant aussi pas à pas le mode d'emploi des usuels. A la bibliothèque de Montréal, les bibliographies peuvent être aussi des suggestions de lectures, sur des thèmes larges, tel « lire l'amour » ou « choix de romans québécois » .
Autre service traditionnel en Amérique du Nord, la référence, avec bureau et personnel attitrés : le service est rendu par 54,2 % des bibliothèques. Il ne s'agit pas là du simple renseignement au lecteur que tout le personnel est amené à donner dans l'exercice de ses fonctions, mais des réponses à des questions précises, que ce soit à la bibliothèque ou par téléphone.
Le service le moins offert dans cette catégorie est l'accès aux banques de données commerciales. Deux bibliothèques seulement, celles de Montréal et de Québec, offrent en fait ce service. Ceci est peu, tout citoyen ayant des besoins d'information, qu'il habite dans un grand centre urbain ou pas.
Tarification des services
La question de la tarification des services est un sujet d'actualité brûlant. Les municipalités cherchent de plus en plus à réduire leurs dépenses, et ce sont souvent les bibliothèques qui écopent : on leur demande de récupérer une partie de l'argent investi. Ainsi, la tarification de l'abonnement (droits d'inscription) est à la hausse. Alors que peu de bibliothèques municipales exigeaient des droits d'inscription pour le citoyen de leur commune voilà un peu plus de dix ans, on estime maintenant cette proportion à près de 50 %. En France, la tradition est différente et la tarification de l'abonnement de base semble plus courante : en 1991, 73,8 % des bibliothèques desservant plus de 20 000 habitants exigeaient des frais d'inscription pour les citoyens de leurs communes 13.
Notre étude identifiait 65 types de services différents, pour lesquels on demandait de préciser s'ils étaient payants ou non. Parmi ceux-ci, seize ont été déclarés payants dans au moins une bibliothèque, sans compter la photocopie qui, naturellement, est payante dans tous les cas (tabl. 2).
On note que seuls trois services sont payants pour plus de 50 % des bibliothèques : la location de best-sellers, la télécopie pour les usagers et le prêt de disques compacts. Il est assez normal que l'usage d'un télécopieur soit payant. Quant à la location de best-sellers, il s'agit d'un service assez répandu, on le voit. Service inconnu en France, il s'agit de collections de best-sellers achetés en exemplaires multiples, disponibles immédiatement et loués pour un prix variant de 2 à 5$(10 à 25 F). La valeur ajoutée se paie : c'est-à-dire la suppression de l'attente de la réservation, et la rapidité de mise à disposition des ouvrages ; ce service par contre s'autofinance. Le paiement du prêt des disques compacts est plus surprenant.
Les vidéos elles aussi se paient, mais là l'explication tient peut-être à la concurrence des vidéo-clubs qui sont présents partout au Québec. Se positionner comme prêteur gratuit serait peut-être trop déloyal. Il faudrait cependant tenir compte des différences de répertoire offert pour savoir si la concurrence est réelle. Les autres services sont assez peu tarifés. Notons que plus de 20 % font payer l'accès au CD-Rom, mais peut-être est-ce plutôt l'impression des références obtenues qui est ainsi comptabilisée, le questionnaire ne nous permettant pas de savoir exactement.
Finalement, les services sont pour leur plus grande part gratuits, ce qui correspond à la tradition québécoise de lecture publique.
Le bilan
Dans l'ensemble, la situation des bibliothèques publiques québécoises desservant plus de 25 000 habitants n'est pas mauvaise. Il faut rappeler ici que l'histoire de la lecture publique au Québec est toute récente : avant 1960 on y comptait à peine une trentaine de bibliothèques publiques dignes de ce nom 14. On constate maintenant que l'offre de services est très étendue. On observe aussi une grande diversité des supports documentaires. On remarque enfin, avec plaisir, que l'animation des bibliothèques est bien établie, ce qui est un excellent point car on ne peut concevoir des bibliothèques sans penser les mettre en valeur.
L'enquête ne nous dit rien par contre, de ce qui a trait à la qualité des services rendus. Il s'agit là d'une limitation importante de cette étude qui mériterait certainement une suite, afin de définir maintenant la qualité des services offerts. En fait, chaque service identifié mériterait à lui seul une enquête. Il faudrait en effet savoir non seulement si un service est simplement offert, ce qui est déjà bien, mais aussi s'il est rendu adéquatement.
Il est évident aussi qu'une nouvelle enquête du genre sera sans doute nécessaire à court terme, le profil des services offerts ayant tendance à changer rapidement à cause de l'évolution des technologies de l'information. Il sera intéressant par exemple de vérifier dans quelques années comment les bibliothèques publiques auront intégré les CD-Rom, ou encore l'accès à Internet, outils dont on commence à peine à se préoccuper dans le milieu des bibliothèques publiques, mais qui deviendront certainement omniprésents dans peu de temps.
Par contre, l'enquête nous a permis de voir qu'une amélioration était certainement possible, particulièrement si on comparait les résultats obtenus, quand la chose est possible, avec la situation des milieux anglophones entourant le Québec. On note en particulier une implication beaucoup plus forte des bibliothécaires américains sur la question de l'illettrisme, de l'information communautaire, et de la mission d'information de la bibliothèque publique en général. Cette non-implication dans des secteurs aussi importants pour l'avenir de la société qui sont pourtant reliés à la mission de base de la bibliothèque publique, ne va certainement pas favoriser la visibilité des bibliothèques publiques du Québec, ni leur positionnement comme institution vitale pour les citoyens.
Quant à la tarification, une nette tendance à faire payer les services, y compris les droits d'inscription, a été observée. La situation québécoise est peut-être moins grave qu'en France, mais elle est loin d'être aussi bonne qu'ailleurs en Amérique du Nord où, malgré des coupures de budget souvent importantes, jamais il ne saurait être question de tarifer les services de base. Il ne faudrait pas que le phénomène s'amplifie, car il risque de porter un dur coup aux valeurs traditionnelles de la bibliothèque publique qui, grâce à un accès gratuit à la lecture et à l'information, font de celle-ci un des piliers de la démocratie.
Au seuil du XXIe siècle, la bibliothèque publique est à un tournant, notamment face au problème crucial que pose l'accès à l'information dans une société de plus en plus informatisée. Les bibliothécaires devront réfléchir sérieusement au rôle qu'ils veulent y jouer. Ils devront développer grandement leurs capacités sur le plan des nouvelles technologies, comme plusieurs auteurs l'ont déjà démontré. Mais ils devront aussi prendre conscience, avec beaucoup plus d'acuité, de leur rôle d'information, et surtout de défenseur du libre-accès à celle-ci, sans barrières, sans tarification.
Comme le signale Jean-Michel Salaün, « l'offre de services définit la vocation de l'organisation et son identité » 15. Nous constatons par cette étude que les bibliothèques du Québec sont encore positionnées davantage comme des organismes culturels et de loisirs que comme des organismes d'information et d'éducation. Reste à savoir si c'est là le positionnement qu'il faut mettre en valeur pour assurer leur développement.
Avril 1994