Les enseignants du supérieur et leurs bibliothèques universitaires
À propos d'un sondage récent
Emmanuel Fraisse
Daniel Renoult
Une enquête sur les attitudes vis-à-vis de la lecture et des bibliothèques a été réalisée en novembre 1993 auprès d'un échantillon représentatif de 933 enseignants du supérieur. Les résultats confirment que les enseignants chercheurs constituent bien un groupe homogène dans ses comportements culturels, mais que leurs attitudes vis-à-vis de la documentation sont susceptibles de variations significatives qui se distribuent selon les disciplines de recherche. Toutes disciplines confondues, les enseignants des universités travaillent davantage avec leurs bibliothèques de spécialité plutôt qu'avec la bibliothèque universitaire. Leur représentation des bibliothèques contraste souvent avec celles des bibliothécaires.
A survey about professional reading and attitudes towards libraries among 933 French university teachers has been realized in November 1993. Searchers and teachers in higher education have the same cultural behaviour, but their attitude towards information varies according to their field of research. Most of the teachers work more with the libraries of their field than with the university library. Their views about libraries often differ from librarians'.
Eine Umfrage ist im November 1993 bei einer repräsentativen Stichprobe von 933 Hochschullehrern über deren Verhalten dem Lesen und den Bibliotheken gegenüber durchgeführt worden. Die Ergebnisse bestärken, die Lehrer-Forscher bilden ja eine homogene Gruppe, was ihr kulturelles Benehmen bettifft ; ihr Verhalten der Dokumentation gegenüber kann aber nach den Forschungsgebieten eine bedeutungsvolle Verschiedenheit annehmen. In jedem Lehrfach arbeiten mehr die Hochschullehrer mit ihrer Fachbibliothek als mit der Universitätsbibliothek. Ihre Vorstellung der Bibliotheken bildet oft einen Gegensatz zum Bild, das die Bibliothekare sich davon machen.
Nombreuses sont désormais les études qui permettent de mieux caractériser les comportements de lecture des étudiants et, notamment, leurs relations aux bibliothèques universitaires (BU) 1. Dans ce domaine précis, alors même qu'ils sont les principaux prescripteurs vis-à-vis des étudiants comme des bibliothèques, les données objectives concernant les enseignants du supérieur sont beaucoup plus rares. Certes, chaque bibliothèque met à jour et communique les statistiques de ses inscrits. Mais en ce qui concerne les enseignants, ces statistiques restent à un grand niveau de généralité, et ne permettent tout au plus que des indications quantitatives à caractère macro-économique. Ainsi, au vu de l'enquête statistique générale sur les bibliothèques universitaires, on observe que les enseignants-chercheurs sont dans leur quasi-totalité régulièrement inscrits dans les bibliothèques universitaires et qu'ils constituent 6 % environ du total de leur public. Mais à ce type de mesure échappe largement l'intensité de leur fréquentation, comme la nature de leurs pratiques et de leurs attentes face à ces bibliothèques.
C'est entre autres pour combler ce type de lacune, et disposer d'une série d'indications chiffrées et fiables sur les attitudes des enseignants vis-à-vis de la lecture et de la documentation qu'a été récemment réalisée une enquête par sondage 2 sous la direction conjointe du journal Le Monde et de la mission lecture 3 du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Cette enquête, dont les premiers enseignements ont été rendus publics début 1994 lors de la journée annuelle des directeurs de bibliothèques universitaires, a permis de fournir une première vue d'ensemble sur ces questions.
Les résultats, qui ont déjà été partiellement exploités dans plusieurs publications 4, paraîtront prochainement dans les Cahiers de l'économie du livre 5. Pour le Bulletin des bibliothèques de France, nous avons souhaité revenir en détail sur la problématique qui concerne plus spécifiquement les rapports entre les enseignants et les bibliothèques des universités, qu'il s'agisse des bibliothèques universitaires, des bibliothèques des laboratoires, des instituts ou des unités de formation et de recherche. On sait en effet que cette pluralité de bibliothèques et d'organismes documentaires est au coeur de toutes les discussions dès que l'on évoque la situation de la documentation dans les universités françaises. A cet égard, l'enquête apporte de nombreuses confirmations, mais suscite aussi quelques questions nouvelles.
Les données générales de l'enquête
Rappelons tout d'abord les données d'ensemble. Les enseignants-chercheurs étaient au nombre de 55 400 en 1992. Le sondage portait sur un échantillon de 993 enseignants des universités et instituts universitaires de technologie (IUT), représentatif tant du point de vue des disciplines que des statuts (professeurs, maîtres de conférences, assistants, professeurs du second degré affectés dans l'enseignement supérieur, professeurs associés, etc.). L'objectif général de l'enquête, dans le prolongement de travaux de même inspiration sur la lecture des étudiants 6, était de fournir une typologie des attitudes des enseignants-chercheurs vis-à-vis de la lecture et de la documentation. On se proposait également de mettre en évidence la nature et le rôle de la prescription dans leur enseignement, en dégageant les corrélations entre pédagogie, types de prescription et modes de publication.
L'ensemble des résultats confirme que les enseignants-chercheurs constituent bien un groupe homogène dans leurs comportements culturels, mais que leurs attitudes face à l'enseignement, à la recherche et à la documentation sont susceptibles de variations significatives qui se distribuent selon les appartenances disciplinaires. La quantité des lectures effectuées, la nature des objets lus, la taille de la bibliothèque personnelle, les modes de prélèvement et de circulation de l'information, les bibliographies proposées aux étudiants, les différents supports de lecture préconisés, les publications constituent autant de critères permettant d'ordonner des variations selon l'éventail des spécialités. Inversement, des caractéristiques comme l'âge, le statut, les responsabilités, l'origine géographique n'ont que peu d'effets sur les comportements étudiés dans leur globalité. Avec des nuances, les mêmes tendances sont à l'oeuvre si l'on étudie les rapports que les enseignants-chercheurs entretiennent avec les bibliothèques de leurs établissements ou les bibliothèques de recherche extérieures à leurs universités. Confirmant les résultats d'une étude très détaillée du Centre d'étude des revenus et des coûts 7, l'enquête montre que c'est la spécialité de recherche qui constitue avant tout le facteur prédominant de segmentation des groupes d'enseignants. A cet égard, on aperçoit immédiatement les limites d'une nomenclature des enseignants uniquement fondée sur l'organisation pédagogique, les limites de la comparabilité avec les enquêtes sur les étudiants, et la nécessité de prolonger ce type de travaux - nous y reviendrons - par des études plus fines et fondées sur des typologies empruntées à la recherche.
Le primat des bibliothèques de spécialité
Premier type d'observation relatif aux bibliothèques : les hiérarchies implicites, et l'ordre des usages. Toutes disciplines confondues, les enseignants-chercheurs entretiennent des rapports plus suivis avec les bibliothèques de spécialité qu'avec les bibliothèques universitaires proprement dites. Quant à leur bibliothèque personnelle, c'est un instrument privilégié de documentation qui joue un rôle essentiel dans la préparation des cours. On connaissait empiriquement ce système de préférences : le sondage permet de le chiffrer et d'en livrer une quasi-cartographie, opposant de manière dichotomique bibliothèques universitaires et autres bibliothèques. Là encore des enquêtes ultérieures devront sans aucun doute dépasser cette typologie probablement trop réductrice. A noter en effet que pour l'exploitation des résultats on a souvent été conduit à rassembler les données relatives aux bibliothèques d'institut, de laboratoire, ou aux bibliothèques d'unités de formation et de recherche (BUFR). Dans la pratique, et au plan d'un sondage de ce type, les appellations retenues ne suffisent pas à différencier des modes fonctionnement. Certaines sont largement ouvertes aux étudiants dès le premier cycle, d'autres sont conçues comme des bibliothèques de recherche, accessibles seulement sur autorisation des enseignants, et réservées surtout au troisième cycle. Enfin les expressions « bibliothèque de laboratoire », ou « bibliothèque d'institut » sont certes différentes, mais ces dénominations renvoient majoritairement à la spécialité de recherche.
Interrogés sur leurs rythmes de fréquentation des bibliothèques de leurs universités, les enseignants expriment clairement leur préférence pour les bibliothèques d'UFR, d'institut ou de laboratoire (tableau 1). Dans leur ensemble, ils sont 40 % à déclarer fréquenter plusieurs fois par semaine une bibliothèque spécialisée de leur université, alors que seuls 17 % d'entre eux estiment se rendre aussi fréquemment à la bibliothèque universitaire (BU). En étudiant la ventilation disciplinaire sur ce point, on relève que cette intensité de la fréquentation est particulièrement forte chez les scientifiques : près d'un mathématicien, d'un physicien et d'un médecin sur deux utilise plusieurs fois par semaine sa bibliothèque de spécialité. Il est par ailleurs remarquable que, pour les enseignants de ces disciplines, cet usage s'exerce au détriment de la BU : seuls 8 % des physiciens, 10 % des biologistes et 16 % des mathématiciens déclarent se rendre plusieurs fois par semaine à la bibliothèque universitaire.
A la question portant sur l'identification des lieux où ils se procurent les documents 8, les enseignants-chercheurs répondent en montrant qu'ils répartissent leur recherche de manière assez équilibrée entre les différentes sources. Viennent en tête des réponses les librairies (53 %), et la démarche d'acquisition privée. Arrive ensuite la consultation dans les bibliothèques, et, dans ce cas, les bibliothèques universitaires (43 %) rivalisent avec les bibliothèques spécialisées (41 %), comme si les enseignants attendaient davantage des acquisitions récentes que des collections déjà constituées. Cet équilibre apparent entre les sources d'approvisionnement ne traduit pourtant qu'une moyenne statistique. En réalité, des clivages disciplinaires importants renvoient aux objets et aux méthodes des différentes spécialités de recherche. Visibles dans leur organisation et leurs structures, ces déterminations sont également sensibles dans le type d'offre documentaire que suscite chaque champ de spécialité. Ainsi, dans le domaine biomédical, 57 % des chercheurs privilégient la bibliothèque de laboratoire. Expliquer la propension des scientifiques à donner la préférence au laboratoire en mettant en avant la faiblesse de l'offre des bibliothèques universitaires ne constitue peut-être pas une explication suffisante. C'est aussi parce que la recherche en sciences est conduite à s'appuyer sur un travail collectif, qu'elle requiert une présence très régulière dans le cadre du laboratoire que de telles structures documentaires se sont développées en leur sein.
Inversement, les bibliothèques des UFR littéraires ou juridiques, consolidées ou créées notamment dans les années 70 par réaction aux carences des bibliothèques universitaires, renvoient aux modes de travail plus individualistes de leurs enseignants-chercheurs. De manière analogue, le recours à la bibliothèque personnelle est plus fréquent chez les littéraires (55 %), les juristes et les enseignants de sciences humaines (51 %) que chez les biologistes (33 %), les médecins et les chimistes.
La fréquentation des bibliothèques de spécialité est assez homogène selon les disciplines, mais celle des bibliothèques universitaires est plus inégalement répartie (graphique 1). Si l'on retient comme critère la forte fréquentation (plusieurs fois par semaine), les juristes s'affirment comme les utilisateurs les plus fidèles des bibliothèques universitaires (24 %), suivis par les enseignants de langue (21 %) et les littéraires (20 %). De manière opposée, si l'on totalise les enseignants du supérieur qui déclarent ne jamais fréquenter une bibliothèque universitaire et ceux qui y viennent moins d'une fois par mois, on obtient une proportion de 44 %. Parmi ces réfractaires, les mathématiciens, et les physiciens, dont on connaît les réseaux de bibliothèques spécialisées, figurent en bonne place. On constatera en outre que le chiffre de la fréquentation occasionnelle (66 %) atteste l'éloignement des enseignants-chercheurs du monde des bibliothèques universitaires.
L'image des bibliothécaires
41 % et 40 % des enseignants-chercheurs se déclarent « très satisfaits » ou « satisfaits » des relations qu'ils entretiennent avec les bibliothécaires. Paradoxalement, ce satisfecit contribue à exprimer le caractère distancié des relations qu'entretiennent les enseignants avec les bibliothèques universitaires. Sans doute ceux-ci considèrent-ils la bibliothèque universitaire comme une bibliothèque davantage destinée aux étudiants qu'à eux-mêmes 9. On peut voir une confirmation de cette hypothèse dans le fait que seuls 38 % des enseignants interrogés suggèrent régulièrement des achats aux bibliothèques universitaires, alors qu'ils sont 62 % à le faire en direction de leurs bibliothèques de spécialité. Cet éloignement intellectuel est particulièrement sensible dans les sciences exactes : plus de deux tiers des scientifiques interrogés déclarent ne pas suggérer d'achat aux bibliothèques universitaires, alors qu'ils le font dans des proportions semblables à celles de leurs collègues des autres disciplines dans le cas des bibliothèques de spécialité. Il est vrai que la différence de taille et de proximité fait de la bibliothèque de spécialité un outil plus approprié, dans tous les sens du terme. L'intervention de l'enseignant y est tangible, immédiate : 90 % des enseignants qui suggèrent des achats en direction de leurs bibliothèques de spécialité ont le sentiment de voir leurs préconisations suivies d'effet contre 80 % dans le cas des suggestions faites à la bibliothèque universitaire.
On est en droit de se demander cependant quelle représentation ont les enseignants de leurs collègues bibliothécaires, pour qui la fonction de développement des collections est essentielle. Apparemment, les enseignants perçoivent les bibliothécaires davantage comme des gestionnaires que comme des scientifiques. Cette représentation est particulièrement sensible lorsque l'on évoque les aides au choix de leurs lectures 10. Tandis que la presse (31 %), les revues spécialisées (34 %), les indications bibliographiques contenues dans les thèses ou travaux (28 %) arrivent en tête des citations, le rôle du bibliothécaire de l'université n'est cité que par 7 % des enseignants interrogés, et celui du bibliothécaire de bibliothèque publique par... 4 % ! Certes, le but de l'enquête n'était pas de caractériser l'image des bibliothécaires auprès des enseignants, et il est difficile de tirer des conclusions générales à partir de questions partielles, mais il y a là au moins l'indice d'un contraste entre les représentations que les bibliothécaires se font de leur métier, et l'image qu'ils en donnent. On se prend à souhaiter que des travaux soient engagés sur ce thème, et à espérer qu'une question sur l'orientation bibliographique eût corrigé cette image quasi administrative d'un métier qui est également scientifique.
Bibliothèque, enseignement et recherche
Pour la préparation des cours, la bibliothèque personnelle apparaît dans bien des cas comme l'outil le plus adapté : 30 % des enseignants y recourent en premier lieu (tableau 2). Il est vrai que les disciplines les moins bien dotées au plan des locaux sont en même temps les moins fondées sur la recherche collective. Ces mêmes disciplines - droit lettres - qui s'appuient sur des ouvrages aisément disponibles et souvent durables, dépassent nettement les disciplines scientifiques sur ce point. Si 45 % des enseignants de langue, 41 % des juristes et 40 % des littéraires préparent leurs cours grâce à leur bibliothèque personnelle, on relève tout de même que 33 % des physiciens, 27 % des chimistes et 26 % des mathématiciens déclarent agir de la même manière. Ces données sont à mettre en regard avec la taille moyenne des bibliothèques personnelles des enseignants estimée en volumes : 2 750 en lettres, 1 850 en droit contre 500 environ en mathématiques, physique, chimie et biologie.
Cependant, prises dans leur ensemble, les bibliothèques de l'université constituent la première source documentaire utilisée pour la préparation des cours avec un total de 52 % de réponses. La distribution de ces réponses confirme les tendances déjà observées plus haut : le recours aux bibliothèques de spécialité (36 %) 11, est deux fois plus cité que le recours aux bibliothèques universitaires (16 %). Quant aux bibliothèques extérieures à l'université d'exercice, elles sont nettement en retrait avec 7 % de réponses et concernent en premier lieu les juristes (14 %) et les littéraires au sens large : lettres et langues (15 %), et, dans une moindre mesure, les sciences humaines (11%).
L'activité de recherche conduit par contre à une utilisation différente des diverses bibliothèques (tableau 3). C'est elle qui est principalement à l'origine des déplacements hors de l'université d'enseignement (graphique 2). Dans le domaine de la recherche, l'incidence de la situation géographique et du statut universitaire sur les comportements est sensible. C'est ainsi que 32 % des parisiens contre 7 % des provinciaux déclarent se déplacer pour leurs recherches, et que 17 % des enseignants non chercheurs vont dans des bibliothèques de recherche autres que celle de leur université contre 12 % des professeurs et 13 % des maîtres de conférences. De tels déplacements sont essentiellement le fait des lettres (33 %), des langues (30 %) et des sciences humaines (21 %) 12 contre 4 % en physique, chimie et biologie et 7 % en mathématiques. Il reste que pour les scientifiques, ce sont surtout les bibliothèques de leur université (et avant tout celles des centres de recherche) qui fournissent d'ordinaire le cadre documentaire de leur activité de recherche. On relève en outre que, pour certaines disciplines, la bibliothèque universitaire peut reléguer au second plan les bibliothèques de spécialité. C'est ainsi que, pour les juristes, elle est le premier lieu de recherche (28 % contre 19 % à la bibliothèque d'UFR et 4 % aux bibliothèques de centres de recherche). Conduits à situer la bibliothèque de référence dans leur champ disciplinaire (tableau 4), les enseignants sont en moyenne 34 % à estimer qu'elle se situe en dehors de leur université, une fraction importante (19 %) ne donnant pas de réponse. On remarque sans surprise - tant le poids de la Bibliothèque nationale 13 et de grandes bibliothèques spécialisées est grand dans ce domaine - que ce sont les littéraires (63 %) et les enseignants de langues et de sciences humaines (52 %), suivis par les juristes, qui estiment massivement qu'une telle bibliothèque est par nature extérieure à leur université. Parmi ceux-ci, nombreux sont les enseignants de la région parisienne (50 %) à partager ce point de vue. En revanche, les scientifiques sont moins de 20 % à penser que la bibliothèque de référence dans leur champ de spécialité est à chercher en dehors de leur université. Dans ces disciplines, le laboratoire s'avère bien le centre de toutes les activités.
Connaissance des demandes, connaissance de l'offre
Invités à définir en réponse à une question ouverte quelles mesures pouvaient « améliorer l'accès à la documentation dans leur champ disciplinaire », les enseignants apportent des réponses éclatées (tableau 5). Cette dispersion (15 types de réponses différents) semble traduire l'embarras de la communauté enseignante face aux bibliothèques. Elle reflète également une connaissance partielle de leurs services et de leur fonctionnement inteme. L'augmentation des bases de données informatisées (16 % des déclarations), le développement des acquisitions (11 %), l'augmentation des moyens financiers (10 %), l'amélioration de l'organisation interne (8 %) constituent les réponses les plus significatives. Le libre accès, l'organisation interbibliothèques, objets d'efforts importants de la part des bibliothécaires depuis de nombreuses années, représentent chacun moins de 5 % des déclarations. L'informatisation, préoccupation majeure pour de nombreux professionnels des bibliothèques n'est pas citée. La formation des utilisateurs est faiblement évoquée. Répondant à une question spécifique sur ce sujet 14, 89 % des enseignants estiment que les étudiants devraient être initiés à l'utilisation des bibliothèques, mais une large majorité (65 %) déclare que cette initiation n'est pas de leur ressort.
Il est vrai que la logique du chercheur est souvent individuelle, que sa recherche est nécessairement tâtonnante, faite de transferts de compétences d'un domaine à l'autre, de découvertes laborieuses, de pertes de temps, et d'accélérations brusques. Pour une large part, sa maîtrise de la documentation est dictée par la rationalité complexe de sa recherche et non par la logique des outils documentaires qui lui apparaît externe à la recherche. Il n'empêche que la distance semble assez grande entre le monde des enseignants-chercheurs et celui des bibliothécaires. Dans l'université, contiguïté et coexistence ne signifient pas communication. On voir resurgir au passage un thème récurrent de nos études sur la lecture à l'université : qu'il s'agisse des relations entre étudiants et enseignants, ou entre enseignants et bibliothécaires, la communauté universitaire offre parfois l'image de la « foule solitaire », chère à David Riesman. Au delà de ce que l'on peut appeler un déficit de communication, on voit affleurer un autre thème : celui de l'appropriation. Tout se passe comme si les enseignants considéraient encore les bibliothèques universitaires comme un lieu qui n'est pas suffisamment le leur.
Affaire à suivre
Qu'il s'agisse des enquêtes portant sur les étudiants ou de ce sondage sur les enseignants, on ne manque pas d'être frappé par les zones d'ombres qui recouvrent encore certaines pratiques de bibliothèques. Curieusement, il s'agit souvent des usages pour lesquels les bibliothécaires ont consenti des efforts très sensibles de modernisation : banques de données, prêt entre bibliothèques par exemple. Dans le secteur très particulier de l'utilisation des bibliothèques universitaires, on souhaiterait entre autres qu'une enquête approfondie sur le prêt entre bibliothèques et la fourniture de documents à distance vienne compléter les données quantitatives du prêt entre bibliothèques (PEB), lesquelles restent insuffisantes pour analyser finement la nature des documents demandés et la typologie de leurs utilisateurs.
Enfm, un sondage, si riche d'enseignements soit-il, ne suffit pas à rendre compte des phénomènes qu'il cherche à mesurer. S'agissant des attitudes et des comportements des enseignants vis-à-vis des bibliothèques dans l'université, les résultats présentés ne constituent qu'une première approche. Ils encouragent indiscutablement la poursuite d'études par grands secteurs disciplinaires et par établissements permettant à la fois des analyses plus fines et plus qualitatives. Les conélations entre pratiques de recherche, pratiques pédagogiques et pratiques de bibliothèques pourraient être alors analysées plus en profondeur, en donnant largement la parole aux enseignants.
A bien lire les résultats de ce sondage, des échanges approfondis entre bibliothécaires et enseignants sur la conduite et les conclusions de telles études sont aussi essentiels à l'avancement de la réflexion sur le rôle, la place et l'avenir des bibliothèques universitaires que les développements des techniques de l'information.
Mai 1994