Éditorial

Les sociologies de la lecture, la connaissance des pratiques et imaginaires des lecteurs s'étaient, jusqu'à une date récente, surtout focalisées, inquiétude sociale oblige, sur les lecteurs « ordinaires », voire sur les petits ou, supposés, non-lecteurs.

Plusieurs études récentes sont le signe d'un déplacement et d'un élargissement des centres d'intérêt. Après les étudiants et les jeunes, dont les relations à la lecture ont fait l'objet de nouvelles questions et de nouvelles analyses, voici venu le temps d'une observation des pratiques de lecture des enseignants et des chercheurs.

Ce besoin de questionner les comportements de ceux dont l'exercice d'un savoir lire expert est constitutif de l'exercice professionnel, est-ce le monde à l'envers, véritable révolution copernicienne, qu'il faudrait considérer, une fois de plus, comme l'un des multiples signes de la perte de sens d'une société dont les valeurs essentielles sont fragilisées, voire menacées ? Ou doit-on voir là exercice normal dans les avancées d'un terrain de recherche qui se doit aussi (surtout ?) d'interroger ce qui semble aller de soi, ou d'une profession qui cherche à rendre ses services plus performants et plus adéquats, en prise sur les évolutions en cours ?

Quoi qu'il en soit, les modifications sociales (l'augmentation de la population étudiante entraînant aussi une évolution des profils et pratiques des enseignants) ou celles de l'offre (nouveaux réseaux d'information, nouveaux modes de constitution et de partage) obligent à des réflexions renouvelées. La construction de la Bibliothèque nationale de France en est un des signes. Elle est une des manifestations de ces évolutions, en même temps qu'elle cherche, avec une difficulté qui est à la hauteur de l'interrogation, à les anticiper. Le passage d'une Bibliothèque nationale conçue pour un public et des attentes sociales du XIXe siècle à une Bibliothèque nationale, identique et différente, qui cherche à correspondre à des besoins, mais aussi à influer sur les modalités de la recherche au début du XXIe siècle, est un enjeu majeur.

Autre interrogation d'importance, celle qui porte sur les métiers et les services rendus. La récente réforme statutaire française a pour une part laissé dans l'ombre la question de la définition des métiers des bibliothèques, que leur développement récent, leur plus grand lien avec le tissu social qui les environne et leur technicité renouvelée pose pourtant avec une acuité croissante. Enfin, développer et évaluer les services rendus sont deux propositions diversement interrogées dans ce numéro. Le dépouillement des périodiques, l'accès aux CD-Rom, la numérisation sont quelques-unes des déclinaisons de ce service renouvelé, dont les différentes facettes se doivent d'être précisément mesurées, comme le propose une étude sur les services des bibliothèques publiques québécoises. Une connaissance précise des modalités d'usage d'un service ou des causes de l'échec dans la recherche d'un document est ici proposée, qui invite les bibliothèques à affiner toujours plus le regard qu'elles portent sur les missions qu'elles se donnent.