L'Édition et les supports multimédias

marchés et perspectives

par Yves Desrichard

Norbert Paquel

Paris : A Jour, 1993. - 160 p. ; 24 cm.
ISBN 2-903685-55-X : 150 F

A la demande du Centre national de la cinématographie, Norbert Paquel, spécialiste et acteur bien connu dans le domaine des « nouveaux supports », propose avec L'édition et les supports multimédias une mise au point en forme d'aide à la décision sur l'avènement des produits multimédias.

Les contraintes de l'ouvrage sont rapidement précisées : il s'agit d'analyser le marché éditorial de ce type de produit, ce qui exclut le développement des applications intemes, notamment celles liées à l'archivage électronique. De même, sont privilégiés les produits destinés à un large public, seuls susceptibles de donner lieu à un marché éditorial au sens plein du terme, excluant de fait les produits destinés à des publics professionnels restreints, et notamment les bibliothécaires.

Il s'agit aussi de présenter un bilan à un moment donné, tout en sachant qu'il s'agit là d'industries et de techniques, de produits et de démarches, à évolution et obsolescence uftrarapides. Enfin, l'ouvrage s'adresse plus aux producteurs effectifs ou virtuels de ce type de produit qu'aux usagers potentiels, seconde catégorie dans laquelle on rangerait plutôt (mais il y a des exceptions) les bibliothécaires et les documentalistes.

Aspects et perspectives

Les contraintes même de son propos « obligent » Norbert Paquel à aller à l'essentiel, et vite, offrant ainsi à un public un peu au fait les développements concis et synthétiques sur les différents aspects de ces marchés et, pour l'instant surtout, de leurs perspectives. En effet, pour l'auteur, 1993 voit le démarrage véritable de ce marché, les années qui suivent devant être les « glorieuses » de produits qui, pour n'être pas toujours entièrement nouveaux (les jeux vidéo sont, après tout, des multimédias), offrent pour les plus réussis d'entre eux des modes d'usage très différents des « produits » que l'on peut proposer, aujourd'hui, dans les bibliothèques et les centres de documentation.

Après avoir très succinctement défini les produits multimédias comme des supports d'informations numériques de diverses natures (images, sons, textes, données), Norbert Paquel montre que le multimédia n'a surgi ni du néant ni sans que d'autres techniques ne l'aient précédé : son destin est lié à l'avènement du micro-ordinateur qui s'est implanté, bien au-delà de l'entreprise ou de l'administration, dans bon nombre de foyers, où il a rejoint les jeux vidéo et les lecteurs de disques compact, premières applications réellement numériques disponibles chez soi.

De même, le développement de l'électronique au sens large (qui inclut par exemple télévision et magnétoscope, appareils n'utilisant pas encore des techniques numériques) et l'avènement d'interactivités plus (zapping) ou moins (programmes câblés à la demande) abâtardies participent de cette « vague » qu'il invite éditeurs et producteurs à chevaucher, sous peine sans doute d'être engloutis...

Il dresse un « état de l'art » du parc de machines disponibles ou annoncées, et des titres de produits, où le CD-Rom, comme les bibliothécaires le savent bien, se taille la part du lion, même si les CD-Rom grand public sont encore loin d'être foisonnants. Pariant sur le phénomène de renouvellement du parc de machines, et sur l'évolution des comportements des utilisateurs autour de la triade « interaction, création, promenade », mais aussi sur le « recul du sérieux » (sic), il annonce l'avènement des produits multimédias dans le domaine éducatif comme dans celui du loisir, la montée en puissance ne dépendant que des conditions économiques, jugées pour l'instant relativement défavorables.

L'économie du multimédia

Il analyse ensuite, d'une manière parfois un peu schématique, les conditions d'une économie du multimédia : hétérogénéité des supports, mais aussi des «plates-formes », c'est-à-dire des appareils permettant l'utilisation de ces produits, complexité de la chaîne de production, qui allie des compétences très différenciées, problèmes liés au démarrage de ce marché, équilibre délicat entre économie de masse et économie de pionniers, interventions étatiques... autant de problèmes et d'interrogations qui ne permettent guère une lisibilité parfaite de ce secteur économique, et obligent encore à considérer ceux qui s'y essaient comme des aventuriers enthousiastes... ou comme des inconscients.

Montrant que cohabitent dans cet univers des « monstres » industriels (Microsoft, IBM...) et de petits intervenants chez lesquels, souvent, se trouvent les idées, la créativité et l'originalité, il évoque une fois de plus le fragile équilibre entre les mastodontes américains et les « petits européens », qui ne manquent pas pour autant d'atouts, si l'on veut bien considérer que le cinéma n'est pas seulement américain, et que l'Europe (pour son malheur comme pour son bonheur !) est un réservoir quasi inépuisable de pratiques culturelles diverses.

Pour finir, il esquisse les grandes lignes d'une politique possible pour les acteurs européens - exercice peu convaincant sans doute obligé par la nature de son commanditaire : mieux vaudrait, sans doute, procéder à une évaluation nette des programmes complexes et coûteux déjà financés par la Communauté et ses épigones, dont la télévision haute définition est un des désolants fleurons, que s'essayer à nouveau à des exercices prospectivistes dont la prudence n'est jamais réellement prise en compte dans les structures de décision des « grands acteurs » (?) européens.

Grand connaisseur du sujet, Norbert Paquel propose là un bilan « intermédiaire », à son sentiment en tout cas, entre l'émergence d'une nouvelle industrie sous les regards étonnés de producteurs suspicieux et de consommateurs plus ou moins attentifs, et son installation à grande échelle qui aboutira, une fois de plus, à une banalisation des produits, des marchés, et peut-être aussi des usages.

On ne peut qu'en recommander la lecture à ceux et celles qui souhaitent avoir sur le sujet une perspective économïco-politique, même si le curieux des techniques utilisées ou le fervent des nouvelles pratiques permises n'y trouvera sans doute pas son compte - mais ce n'était pas le but.