La lecture pour tous

par Yvonne Johannot
colloque organisé par l'Association pour favoriser une école efficace et la Fédération des familles de France, mai 1993.
Paris : A. Colin, 1993. - 109 p. ; 21 cm.
ISBN 2-200-01237-3

Tous les enfants peuvent-ils savoir lire et écrire à la fin du cours préparatoire ? Pourquoi 90 000 jeunes sortent-ils chaque année du système scolaire en ayant échoué dans leur formation initiale et en situation d'échec sur le plan économique ?

Pourquoi la situation ne s'améliore-t-elle pas, alors qu'elle est reconnue depuis longtemps et qu'elle coûte très cher à la société ?

Telles sont les questions que se pose d'emblée Jacques Bichot, en soulignant l'importance de la maîtrise du langage dans une société d'information et le rôle capital des parents dans l'apprentissage de la lecture.

Trois dimensions essentielles

L'intérêt des contributions des chercheurs est d'insister, chacun à leur manière, sur les conditions préalables à l'apprentissage de la lecture et en particulier sur la nature du rapport à l'écrit qu'entretient l'apprenant. L'acquisition de la lecture n'est pas un problème technique. Il comporte trois dimensions essentielles : linguistico-conceptuelle, culturelle et sociale (Rogovas-Chauveau). L'entrée dans l'écrit suppose donc une orientation dans tous ces domaines. L'enfant doit réaliser qu'il est aussi bien destinataire que producteur d'écrits et se situer en tant que demandeur par rapport à lui, entraîné dans la dynamique sociale et culturelle qui l'entoure, aussi bien dans l'école que hors de l'école.

Jean-Marie Besse insiste sur la nécessité d'évaluer les savoirs sociaux des adultes illettrés et de bien situer l'usage qu'ils font - si restreint soit-il - de l'écrit, afin de s'appuyer sur ce rapport qu'ils ont établi pour l'approfondir et le perfectionner.

M. Alves Martins montre comment un enfant, bien avant d'entrer à l'école, a établi un ensemble de représentations autour de l'écrit, de l'ordre du symbolique. Reprenant les thèses de Ferreiro, elle met en avant l'importance, pour l'enfant, de réaliser que le langage écrit représente le langage oral.

A. Inizan développe ses thèmes sur « le temps fécond » nécessaire pour apprendre à lire, qui varie selon les individus, privilégiant ceux qui sont bien équipés cognitivement. D'où la nécessité d'assurer considérablement les échecs.

G. Chauveau s'attache à faire de l'apprentissage de la lecture une dynamique « école-famille-quartier ». Si des cloisonnements séparent ces lieux de vie de l'enfant, ils créent des tensions qui vont se répercuter sur l'enfant lecteur, soulevant des conflits peut-être insurmontables. C'est cet auteur qui conclut l'ouvrage en considérant l'apprentissage de la lecture non pas comme une simple acquisition de compétence, mais comme une entrée dans la culture de l'écrit, une appropriation de ses pratiques et de ses valeurs. Elle représente « une véritable mutation culturelle et intellectuelle » (p. 89).

Ces travaux placent donc résolument l'apprentissage de la lecture dans un contexte socioculturel qui, s'il comprend l'école bien sûr, la déborde cependant largement. Peut-être alors pourrait-on souhaiter que l'analyse de la crise culturelle que nous traversons, qui est en train de bouleverser notre rapport à l'écrit, soit envisagée dans cette perspective afin de mieux comprendre quelles sont ses répercussions sur l'institution scolaire, sur le rapport enfant-adulte et par conséquent sur cette « entrée dans l'écrit » qui serait l'entrée non pas dans un monde structuré par des valeurs symboliques, mais dans un monde à la recherche de ces valeurs...