Le livre parlé

Isabelle Masse

L'Association des conservateurs de bibliothèques proposait le 3 mars dernier une journée d'étude autour d'un thème peu traité, Le livre parlé. Dans une courte introduction, Geneviève Grambois, de la Bibliothèque nationale de France, exposait les raisons de la tenue d'une telle réunion : le petit nombre de livres parlés proposés par les bibliothèques, malgré l'existence d'un public potentiel composé, pour beaucoup, de personnes souffrant de handicaps divers dûs au vieillissement, mais souhaitant bénéficier ou continuer à bénéficier des mêmes structures et des mêmes possibilités de distraction et de culture que le reste de la population.

Cadre juridique de l'enregistrement de textes sur support audio, bibliothèques sonores en France et en Allemagne, quelques aperçus de structures existantes, édition et librairie, tels furent les thèmes abordés.

Après un rappel des bases du régime de propriété littéraire et artistique français, autrement dit la loi de 1957 modifiée par la loi de 1985, Hélène de Montluc, du Bureau de la propriété littéraire et artistique du ministère de la Culture et de la Francophonie, donnait des éléments juridiques sur les problèmes posés dans le domaine du droit d'auteur par l'enregistrement de textes sur support audio et l'apparition des nouvelles technologies (logiciels, banques de données, etc.).

France et Allemagne

Marie-Josée Poitevin, de la bibliothèque municipale de Caen, et Christel Mahnke, du Goethe-Institut, retraçaient l'historique du développement et l'état de l'existant dans chacun des pays. Pour résumer la situation française, la plupart des bibliothèques publiques possèdent un fonds de documents sonores, avec un nombre de titres très variable : fonds destinés aux aveugles et malvoyants, mais aussi à toutes les personnes atteintes d'un handicap empêchant une lecture normale. Ces secteurs sont en général très fragiles, les premiers soumis à de toujours possibles restrictions budgétaires et dont l'existence peut à tout moment être remise en question.

En ce qui concerne l'Allemagne, 95 % des bibliothèques publiques ont un fonds audiovisuel, 10 % plus de 1 000 cassettes, la fréquence de prêt est de 3 à 9 titres par an et le public essentiellement féminin, âgé de 25 à 50 ans et d'un niveau d'instruction élevé ; il existe aussi dans tous les Länder depuis 1954 des services spécialisés de bibliothèques destinés aux personnes handicapées : aveugles, malvoyants, etc., le plus important étant celui de Hambourg (7 500 titres). Enfin, les Goethe-Institut possèdent eux aussi un fonds de livres parlés.

Trois aperçus

Denise Chippaux, de la bibliothèque municipale de Caen, dans une intervention passionnée, décrivait avec beaucoup de précision la bibliothèque sonore, ses donneurs de voix, son public et son personnel, ses quinze ans d'existence, ses 6 500 titres et ses 12 000 prêts annuels. L'originalité de cette bibliothèque est qu'elle produit ses propres cassettes enregistrées dans le but de pallier le petit nombre de livres parlés commerciaux et avec la volonté de constituer un fonds encyclopédique. 4/5 des enregistrements sont effectués bénévolement par une cinquantaine de donneurs de voix. Les usagers sont au nombre de 350, la répartition des tranches d'âge étant très inégale : 22 % de moins de 60 ans, 35 % de 60 à 80 ans et 43 % de plus de 80 ans. Le personnel est chargé de l'achat des cassettes, des boîtiers et aussi des livres, de leur équipement et du catalogage à la vérification des enregistrements par les donneurs de voix, en passant par les conseils auprès du public, la rédaction des catalogues, résumés et listes, la réservation et le prêt, mais aussi la diffusion et la communication dans la presse, la radio et la télévision et lors de manifestations locales. Le rôle social de la bibliothèque sonore est souligné, handicapés et bien-portants s'y côtoient, évitant ainsi l'effet ghetto.

Après un rappel des principes d'organisation de la Bibliothèque publique d'information, Marianne Kunstlinger présente les livres parlés tels qu'ils y existent. Le contenu primant sur le support, les documents sont à leur cote CDU sous forme de « fantômes » (pochettes ou boîtiers vides), le personnel assurant les manipulations des appareils de lecture. Le fonds est aujourd'hui essentiellement sur cassettes et les postes d'écoute au nombre de deux à quatre selon les bureaux d'information. C'est en littérature que la demande est la plus importante.

Enfin, la Bibliothèque anglophone pour les aveugles, association à but non lucratif, qui a vu le jour en janvier 1980 et se situe à Paris, est évoquée par Emma Troupe. Ce service prête uniquement sur abonnements payants à des aveugles et malvoyants du monde entier, de pays toujours non anglophones, des textes anglais ou américains lus à haute voix en langue anglaise. Les enregistrements, comme à Caen, sont effectués par des bénévoles de langue anglaise.

Editer et vendre

Le secteur éditorial était représenté par Michèle Muller, des Editions des Femmes 1 qui produisent depuis plus de dix ans des livres parlés, textes d'auteurs lus par leurs auteurs ou par des comédiens. Cent titres figurent aujourd'hui au catalogue : classiques, contemporains, poésie.

La librairie « Mots et merveilles » 2, dirigée par M. Haddad, est le premier interlocuteur des bibliothèques en France et la seule librairie spécialisée en cassettes et compacts de textes, documents sonores pour enfants et adultes. Elle dispose d'un catalogue de mille titres classés par thèmes et a aussi une clientèle régulière de particuliers.

Tous deux déplorent la très grande discrétion, pour ne pas dire plus, des éditeurs et libraires dans le domaine du livre parlé et souhaitent de nouvelles démarches éditoriales, ainsi qu'une mise en place plus visible dans les rayons des librairies.

Il a donc surtout été question, au cours de cette journée d'étude, des enregistrements sonores en direction des handicapés. Des efforts notables et louables sont accomplis pour créer ou maintenir des services indispensables et qui vont de plus en plus le devenir. Il s'agit là de ne pas oublier une population qui a besoin, par l'intermédiaire du contact avec le livre et d'un nouvel apprentissage, celui de se laisser faire la lecture, « de garder le contact avec la vie » .