L'information scientifique et technique japonaise
les bases de données du National Center for Science Information Systems (Nacsis)
Thierry Ribault
Le National Center for Science Information Systems (Nacsis) a été fondé en 1986. Le Nacsis était originellement le Centre d'information bibliographique de l'Université de Tokyo, avant de devenir autonome, et d'être rattaché au Monbusho (ministère de l'Education, de la Science et de la Culture).
Le concept du Nacsis est celui de noyau central du système japonais d'information scientifique et technique interuniversitaire.
Quelques chiffres
Le Nacsis est actuellement relié en ligne à 250 bibliothèques universitaires japonaises. Trente-huit bases de données sont servies par le Nacsis, dont une minorité est produite en interne, la majorité étant élaborée à partir de données ou de fichiers provenant du ministère de l'Education, des universités, des sociétés savantes, des fondations, ou encore de sociétés commerciales.
Les principales fonctions et services du système sont :
- la collecte et la recherche d'information primaire dans tous les domaines des sciences, de tout type de revues ou journaux, et dans le monde entier ;
- les services de recherche sur bases de données de type catalogue (170 millions de livres, 2,3 millions de revues, détenus dans plus de 500 universités au Japon) ;
- les services de recherche sur bases de données des projets de recherche en cours, des coopérations de recherche, des chercheurs ;
- des activités de recherche et développement dans le domaine de la bibliométrie, et des interfaces d'interrogation de bases de données ;
- le Nacsis gère également le réseau de transmission par paquet (Sinet/Intemet) qui relie les universités japonaises entre elles.
Relations internationales
Depuis janvier 1989, le Ames Research Center de la Nasa assure le contrôle et la gestion de l'interconnexion des réseaux de la National Science Foundation et du Nacsis. C'est le Nacsis qui a financé et équipé la ligne.
La Library of Congress et la National Science Foundation ont ainsi accès, depuis Washington, aux bases du Nacsis via la Nasa.
Depuis janvier 1990, la British Library a également accès au réseau du Nacsis via Washington. Enfin, depuis mars 1991, dans le cadre d'un projet de recherche coopérative entre quatre grandes bibliothèques de recherche au Royaume-Uni *, la British Library et le Nacsis, ces bibliothèques ont accès aux bases du Nacsis. Précisons que ce projet de recherche porte sur la faisabilité de l'accès aux catalogues du Nacsis et sur la construction d'un catalogue unifié au Royaume-Uni couvrant la production scientifique japonaise.
La nature et les points d'impulsion de chacune de ces collaborations sont différents :
- pour les Etats-Unis, il s'agissait clairement de la part du gouvernement et de l'administration japonaise de répondre aux pressions croissantes exercées par les Etats-Unis en matière d'accès à l'IST japonaise depuis la fin des années 70. S'intégrant dans le cadre plus large de la politique extérieure japonaise, l'accord de coopération nippo-américain est une des réponses apportées aux problèmes d'information frictions, et ne comprend pas de contrepartie de la part des Etats-Unis.
Le Nacsis lui-même finance le câble sous-marin qui relie Tokyo à la Nasa, ainsi qu'une série d'autres équipements ;
- pour le Royaume-Uni, l'accord de coopération est moins politique, puisqu'il s'agit principalement de travailler à la constitution d'un catalogue collectif sur la littérature scientifique sur le Japon. La connexion britannique avec les Etats-Unis se fait via un réseau de transmission de données par paquets jusqu'à la British Library (type Transpac en France), puis par Internet pour atteindre les quatre autres bibliothèques de recherche.
L'intérêt principal des bases de données du Nacsis est double.
Un outil de veille scientifique et technologique
Les bases de données sur les chercheurs et sur les projets de recherche en cours (Private and Public Grant in Aid Scientific Research) constituent des outils précieux permettant notamment de repérer de manière actualisée des pôles de compétences dans tous les domaines des sciences.
La base sur les chercheurs fournit des curriculum vitae de près de 150 000 chercheurs japonais, chercheurs des universités nationales et privées, et des instituts de recherche publics et privés placés sous la tutelle du ministère de l'Education. Leur parcours académique, leurs thèmes de recherche ainsi que leurs publications récentes sont mentionnées, en anglais et en japonais.
La base sur les projets de recherche comprend plus de 100 000 projets en cours en 1993, et fournit les résumés de chacun de ces travaux en anglais et en japonais.
Ces informations peuvent être également sollicitées par des chercheurs français. Certes les contacts entre les communautés scientifiques sont souvent encore fondés sur des relations personnelles, mais une systématisation et une généralisation des coopérations de recherche ne peuvent s'envisager que difficilement sans l'aide d'outils plus exhaustifs que les contacts informels.
Des bases complémentaires : Nacsis et Jicst
Les bases de données du Nacsis constituent un complément académique indispensable des bases du Jicst plutôt orientées vers l'industrie.
Les bases qui nous semblent ici les plus intéressantes sont celles qui portent sur les résumés des Conference Papers des sociétés académiques japonaises (environ 200 000 en 1992), et sur le texte intégral des Scientific Papers parus dans les revues de ces mêmes sociétés (environ 15 000 articles en 1992).
Il est vrai que les bases du Nacsis sont « biaisées » vers le monde académique, et vers les ressources consacrées à la recherche du ministère de l'Education nationale (Monbusho). Mais, dans la mesure où il n'existe pas de base de données vraiment exhaustive et interministérielle, les bases du Nacsis ont, là encore, un rôle important de complémentarité à jouer auprès d'autres sources plus connues, parce que mieux promotionnées, telles que les bases de données du Japan Information Center for Science and Technology (Jicst).
Notons que les principales bases du Jicst seront bientôt accessibles à partir du Nacsis, au tarif préférentiel pratiqué au Nacsis (50 yen par minute (2,5 F) au lieu de 155 yen (8 F). Cette interconnexion renforce le caractère central du Nacsis et légitime d'autant plus la nécessité de se rapprocher de cet organisme.
Enfin, dans un contexte d'interdisciplinarité croissante des projets de recherche, les bases du Nacsis se révèlent particulièrement efficaces, dans la mesure où elles permettent de recouper les informations recueillies sur les projets en cours avec celles concernant les publications et les trajectoires scientifiques des chercheurs.
Les coûts
Il faut distinguer trois types de coûts :
- les coûts de télécommunication : ils sont nuls car l'accès aux bases de données du Nacsis peut se faire via les réseaux internationaux comme Internet ou J-Net au Japon. Ces réseaux sont par définition des réseaux publics ne faisant pas l'objet d'une tarification directe à l'utilisateur ;
- les coûts d'accès (utilisation des ressources informatiques) : la majorité des bases du Nacsis est accessible au coût de 50 yen par minute, soit environ 2,5 F par minute. Une minorité est accessible au coût de 30 yen par minute (1,5 F) ;
- les coûts de consultation/ visualisation : il s'agit d'un coût lié au nombre d'informations (« records ») visualisées ou imprimées. Ce coût est de 13 yen par information, soit environ 6,5 F.
Au total, une consultation moyenne de 30 minutes, par un utilisateur peu expérimenté, coûte environ 2 100 yen (soit un peu plus de 105 F) : coût de télécommunication : 0 ; coût de consultation (ex : recherche sur mot-clef thème de recherche) : 1 500 yen ; coût de visualisation (ex : 50 références) : 600 yen.
A titre de comparaison, le coût d'accès aux bases du Jicst est environ trois fois plus élevé, sans compter les coûts de télécommunication.
Promouvoir l'accès à l'information japonaise
La Commission des communautés européennes (DG XIII) a lancé en 1986 le projet Japinfo, qui consiste à diffuser de l'information scientifique et technique japonaise en Europe, en collaboration avec des organismes japonais. Il s'agit de Infosta et de J-Ties, deux spécialistes japonais de la documention qui collectent et sélectionnent l'information avant de la transmettre à Fujitsu pour la traduction et la post-édition. L'Institut de l'information scientifique et technique (Inist) est actuellement chargé d'indexer et de commercialiser cette information. En dépit de ses desiderata (qualité parfois discutable des informations transmises, difficulté de trouver un marché élargi), ce travail est certainement une initiative qui mérite d'être encouragée.
De même, à travers l'Inist, l'accès direct aux bases anglaises du Jicst (Jois et Jicst-E), et celui indirect aux bases japonaises, constituent une ouverture appréciable sur l'information japonaise.
On peut cependant s'interroger sur l'absence d'intérêt que suscitent les ressources informationnelles du Nacsis, en Europe et notamment en France, d'autant plus que le rapport coût/avantage pour l'accès à ces gisements est faible comparativement à d'autres sources. Notons que le problème du coût d'accès à l'information japonaise est particulièrement critique pour les chercheurs universitaires français.
Les bases du Nacsis constituent un outil de repérage non seulement bibliographique (Nacsis-Cat), mais aussi des pôles de compétences en matière de recherche au Japon (Nacsis-IR). Rappelons que cet outil n'est pas exhaustif, et doit être, à ce titre, considéré comme complémentaire d'autres sources d'information.
L'Inist pourrait, en France, être diffuseur des bases du Nacsis, qui s'intégreraient alors au dispositif déjà existant de diffusion d'informations japonaises de l'Inist. Un accord entre l'Inist et le Nacsis serait donc à envisager. Mais la mise à disposition des ressources du Nacsis ne devrait pas se faire de manière exclusive via l'Inist. Il nous semble plus judicieux de coupler à l'accès Inist un accès direct des laboratoires CNRS et associés. Cet accès est dès maintenant techniquement tout à fait réalisable via Internet. Notons d'ailleurs que la Faculté des sciences économiques et sociales de l'Université de Lille, dans le cadre de sa nouvelle filière franco-japonaise de DESS de commerce international, a négocié un accès direct au Nacsis.
Des accords d'échange de catalogues bibliographiques pourrraient être également réalisés entre la Bibliothèque nationale de France et le Nacsis.
Au Japon, un accord entre le CNRS-Japon à Tokyo et le Nacsis pourrait être envisagé. Cet accord permettrait notamment au CNRS-Japon d'avoir un accès à tarif préférentiel aux bases du Nacsis, utilisables dans le cadre d'organisation de missions, ou pour l'identification de pôles de compétences dans des domaines où la France souhaite développer des coopérations de recherche (ex : bio-technologies, informatique, environnement).
Via Internet et le serveur du Nacsis, le CNRS-Japon pourrait également re-router vers les laboratoires français des bulletins d'information portant sur les produits de ses activités (comptes rendus de conférences, de visites de laboratoires et de missions, nouveaux projets japonais et appels à coopération, etc.). Enfin, le tissage de liens privilégiés entre le CNRS et le Nacsis pourrait permettre de développer des coopérations de recherche entre des laboratoires français et le département Research and Development du Nacsis, particulièrement actif dans le domaine des sciences de l'information (logiciels et interface d'interrogation de bases de données, connexions entre ordinateurs, bibliométrie).
L'accès aux bases de données et au service de messagerie électronique, couplé aux possibilités de développer des recherches coopératives dans le domaine des sciences de l'information, constitue une dynamique nécessaire à l'effectivité d'un tel projet.
Des accords internationaux
Depuis août 1993, la Bibliothèque du Congrès américain a ouvert à Tokyo un bureau chargé de l'acquisition et de la rediffusion vers le Congrès et les chercheurs américains de la documentation et de l'information sur le Japon contemporain.
L'Université de Californie (Berkeley) a lancé en janvier 1993 un vaste projet baptisé le Pacific Neighbourhood Project. Ce projet vise le développement d'accords internationaux d'échanges d'information entre communautés scientifiques, à travers le recours aux technologies informatiques et de télécommunication. Quinze pays du Bassin pacifique, incluant les Etats-Unis et le Japon, participent à ce projet. Les pays européens en sont écartés de fait.
Elargir le champ des ressources informationnelles japonaises auxquelles les chercheurs français ont accès, constitue d'autant plus une urgence que la Commission des communautés européennes, et a fortiori la France et sa communauté scientifique, sont pour l'instant peu présentes dans ce type de projets. L'information japonaise existe, les capacités scientifiques de l'intégrer et de l'utiliser en France existent également. Le maillon manquant réside dans la méconnaissance des sources, et dans la trop grande rareté des impulsions institutionnelles visant un accès plus systématique et généralisé. A moins que ce ne soit plus simplement le manque de curiosité pour un aussi petit et lointain pays. Décidément, la métaphore des fourmis...