Le management de la qualité en bibliothèque

une recherche-expérimentation

Anne Mayère

Dans un nombre croissant d'activités de service, on voit actuellement se mettre en place des démarches qualité, avec, pour certaines, encore rares il est vrai, l'objectif d'une certification aux normes ISO 9 000 relatives à l'assurance qualité. Ce mouvement est particulièrement manifeste dans le secteur privé ; il s'amorce également dans les collectivités et organismes publics.

Une démarche active

Les bibliothèques, parties prenantes de ces collectivités, seront nécessairement amenées à s'engager dans de telles dynamiques. Certaines, encore rares, ont déjà avancé dans cette direction, telle la médiathèque de la Villette. Face à une évolution d'ensemble qui risque fort de s'imposer à moyen ou long terme, il paraît intéressant, tant pour la profession que pour les établissements concernés, d'adopter une démarche active, et de prendre l'initiative dans les conditions les plus adéquates.

Or cette extension des démarches qualité aux services publics d'information et de culture n'est pas sans soulever des questions de différents ordres. Un premier ensemble de questions se situe à un niveau plus théorique : Qu'est-ce qui est en jeu dans de telles évolutions ? Que mettent-elles en cause dans la définition ou l'organisation des services, des services d'information et de culture, et des services publics dans leurs spécificités ? Les questions soulevées sont tout autant opérationnelles : Comment « traduire » les recommandations générales en des dispositifs efficaces et cohérents, compte tenu des caractéristiques de l'activité des bibliothèques ?

Pour apporter des éléments de réponse à ces questions de différents ordres, il a été décidé de conduire une recherche-action faisant collaborer des professionnels des bibliothèques, des chercheurs du Centre d'études et de recherche en sciences de l'information 1 et des consultants spécialisés sur les démarches qualité. L'objectif est triple :
- mettre en place des « sites pilotes » d'expérimentation managériale en matière de qualité, permettant au monde des bibliothèques d'être mieux préparé lorsqu'une évolution dans ce sens lui sera demandée, ou pour en prendre les devants ; - sur le plan pédagogique, ancrer l'enseignement initié à l'Ecole nationale des sciences de l'information et des bibliothèques (ENSSIB) en matière de qualité sur des expériences effectives dans des bibliothèques (une unité de valeur relative au management de la qualité et de l'innovation a été introduite dans le nouveau programme depuis 1992) ;
- sur le plan de la recherche, prolonger les travaux déjà engagés sur la qualité des services intellectuels 2, en approfondissant les questions que soulève la triple (ou quadruple) appartenance qui caractérise les bibliothèques : appartenance au monde de l'information et de la culture, au domaine des services et au secteur public.

Quelques éléments-clé

Pour bien cerner l'importance des enjeux et les difficultés que peut soulever l'application des démarches qualité aux services en général et aux bibliothèques en particulier, il faut rappeler quelques éléments clés de ce qui caractérise le management de la qualité. Mettre en place une gestion de la qualité, c'est passer d'une approche au coup par coup, laissant de fait l'essentiel de la responsabilité de la qualité aux individus en charge des diverses activités de la bibliothèque, à la mise en place d'un dispositif, de procédures et de méthodes concertées, visant à maîtriser les risques de non-qualité. Une telle transformation suppose souvent à terme une évolution culturelle couplée à une refonte assez profonde de l'organisation dans son ensemble, sachant qu'il s'agit d'une approche pragmatique qui fonctionne de proche en proche, sans prétendre à une transformation instantanée et brutale.

C'est dire tout d'abord que gérer la qualité, ce n'est pas seulement apporter un « plus » au regard de l'existant, mais bien plus profondément reconsidérer l'existant pour atteindre une forme de « garantie » en terme de qualité, le respect d'un certain standard de qualité.

Les difficultés de passage vers de telles démarches reflètent pour partie l'ampleur des transformations requises. Mais elles peuvent aussi tenir au fait même que l'on transfère des méthodes et dispositifs normatifs, conçus dans l'industrie pour des produits, à des services d'information et culturels relevant de logiques de service public.

Dans le domaine des services de documentation, l'Association des bibliothécaires et documentalistes spécialisés (ADBS) a développé tout un travail de réflexion et d'échange d'expériences 3. Ils sont d'un apport tout à fait intéressant pour ce qui concerne plus particulièrement les prestations de services informationnels. Il reste que sur tout un volet de prestations pour lesquelles la composante de conseil ou d'aide à la résolution de problèmes est plus importante, ainsi que pour ce qui relève des activités culturelles des bibliothèques et de leur dimension de service public, les approches restent encore bien lacunaires.

Les bibliothèques relèvent typiquement de services multi-clients, si l'on accepte de parler de « client » dès lors qu'il y a ordonnateur ou utilisateur d'un service, comme le proposent les démarches de management de la qualité. Outre le fait que les usagers directs peuvent présenter des caractéristiques très différentes, une bibliothèque a d'autres « clients » : ce sont les instances dont elle dépend, au niveau local, régional et national (la collectivité locale pour une bibliothèque municipale, l'université pour une bibliothèque universitaire, le département pour une bibliothèque départementale de prêt).

Les bibliothèques se définissent enfin au regard d'une mission plus globale de service public dont il s'agit de clarifier les conséquences sur la façon dont peut être abordée la question de la qualité et de son management.

Les modalités de la recherche

La démarche retenue consiste à mettre en place des projets d'amélioration de la qualité dans différentes bibliothèques, et à opérer un suivi de cette mise en place en parallèle, de manière à en identifier les principales conditions et conséquences. Les bibliothèques parties prenantes de cette étude-expérimentation tiennent un rôle tout à fait actif dans la démarche : c'est ce qui fait toute l'importance de leur volontariat. Les professionnels sont impliqués dans la mise en oeuvre, mais aussi dans la réflexion et prise de recul au travers de la constitution d'un groupe de travail transversal.

La première étape prend appui sur des interviews auprès de responsables et de membres du personnel, ainsi que, selon les cas, de différents usagers et autres clients. Elle vise à préciser quels sont les objectifs de la bibliothèque et de ses principales composantes, à caractériser la situation actuelle, et à choisir un domaine d'action prioritaire qui soit à la fois important pour le personnel et pour les « clients » ; il est également important que ce domaine d'action puisse faire l'objet de résultats concrets et visibles à relativement court terme, pour soutenir la motivation de l'ensemble des parties prenantes. C'est dire que l'objet de la démarche qualité n'est pas nécessairement similaire d'un terrain à l'autre, même si l'on pourra veiller à introduire certaines redondances ou complémentarités.

Des groupes d'amélioration de la qualité sont alors constitués en fonction des actions prioritaires sélectionnées. A ce stade, et autant que possible dès le moment de l'étude-qualité, le recours à des spécialistes des démarches qualité pour animer les groupes d'amélioration constitués est indispensable. Il s'agit en effet d'introduire des démarches de résolution de problèmes et de recherche de solutions aidant à sortir des cercles vicieux et autres « jeux sans fin » 4 si fréquents dans toute organisation, en particulier sur ces points sensibles de « mal-fonctionnement ». Une durée de 18 mois a été retenue pour la réalisation de cette recherche-action, compte tenu des délais nécessaires à la mise en place d'un tel dispositif et à sa mise en œuvre.

  1. (retour)↑  Le Cersi a été créé au sein de l'Enssib en 1992.
  2. (retour)↑  Cf. J.-M. ALBERTINI, C. GESSE, A. MAYERE, « La qualité de la formation, service compris », Etudes et expérimentation en formation continue, n° 6, juillet-octobre 1990. A. MAYÈRE, « Quality and intellectual services », International Journal of Service Industry Management, vol. 2, n° 1, 1991.
  3. (retour)↑  Cf. notamment Eric SUTTER, Services d'infomwtion et qualité : comment satisfaire les utilisateurs ?, Paris, ADBS éditions, 1992.
  4. (retour)↑  Cette notion est bien décrite par Isabelle ORGOGOZO dans : Les paradoxes de la qualité, Les Éditions d'organisation, 1987.