Consultants, mode d'emploi
Marie-Thérèse Pouillias
Description des différents domaines d'activité, pour lesquels la bibliothèque municipale de Rennes a été amenée à faire appel à des consultants : projet informatique, étude de faisabilité et définition de programmation d'un nouvel équipement culturel, stratégie documentaire et audit d'organisation. S'ensuit une réflexion sur un bon usage des consultants.
Description of the different fields of activity for which the Rennes municipal library has been led to call in consultants : computerization scheme, survey of feasibility and planning for a new cultural equipment, documentary strategy and organization audit. Follow some proposals for a good use of consultants.
Dieser Aufsatz beschreibt die verschiedenen Tätigkeitsbereiche, die die Stadtbibliothek Rennes zum Konsultieren beruflicher Berater geführt haben : EDV-Vorhaben, Überprüfung der Durchführbarkeit einer neuen kulturellen Anstalt und deren Bauprogramm, Dokumentenstrategie und Organisationsnachprüfung. Es folgt ein Nachdenken über die Art und Weise, die Arbeit eines Beraters klug anzuwenden.
Projet informatique, étude de faisabilité et définition de programmation d'un nouvel équipement culturel, stratégie documentaire et audit d'organisation, tels sont les domaines d'intérêt et d'activité de la bibliothèque de Rennes qui ont fait l'objet, ces dernières années, de recours à des consultants.
Inspirée par une philosophie commune, cette démarche s'est enrichie au fil d'expériences, dont la diversité et la complémentarité permettent de jeter les bases de réflexion pour un bon usage des consultants.
De la diversité des études
C'est le projet d'informatisation des services documentaires qui donne lieu, en 1989, à la première expérience de travail avec des consultants extérieurs. Un récent article * relate le processus d'informatisation et retrace les différents niveaux d'intervention de la société Silogia, choisie pour la définition du système d'informatisation et la rédaction du cahier des charges.
En 1990, les premières bases de réflexion d'un nouvel équipement culturel sont jetées. Il s'agit de regrouper dans un même espace la bibliothèque centrale, le musée de Bretagne et le Centre de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI), trois composantes de la vie rennaise.
En 1991, un appel d'offres est lancé pour une étude préalable de définition et de faisabilité. Le contenu de la mission est précisé dans les termes suivants : analyse et bilan de la situation actuelle, appréciation des besoins à satisfaire, examen de la pertinence d'un regroupement des trois partenaires et des modalités de ce regroupement, examen de la pertinence de la localisation envisagée au regard du projet urbain, étude de faisabilité sur le plan économique et financier et en termes de calendrier. Le contrat mentionnait, de plus, que les éléments précités n'étaient pas exhaustifs et devaient être complétés par tous les moyens jugés nécessaires par le titulaire, afin d'apprécier au mieux la réalisation de l'opération.
Il stipulait en outre : « La mission devra permettre, à partir des intentions de programmes déjà ébauchées par chacun des trois partenaires, de dégager les grandes orientations qui feront, de ce nouvel équipement, un projet culturel fort dans la cité, projet qui se traduira de manière quantitative et qualitative par la conquête de nouveaux publics.
Le nouvel équipement contribuera à dégager des pratiques culturelles innovantes. La réunion des trois partenaires sur le même site ne se limitera pas à une simple addition de programmes, mais devra, à partir des spécificités reconnues à chacun, développer de façon durable une synergie dynamique.
Outre l'étude des publics potentiels, la mission devra porter une attention toute particulière aux publics spécifiques (étudiants, retraités, etc.).
L'étude devra faire apparaître clairement, et de manière suffisamment détaillée, tous les aspects organisationnels et fonctionnels découlant de ces grandes orientations, y compris ceux relatifs à l'organisation spatiale.
Enfin, elle pourra énoncer des propositions en matière de nom à donner à ce nouvel équipement.
En matière de pré-programme, celui-ci devra comporter au minimum :
- la définition de la nature de l'ouvrage,
- ses principales fonctions,
- une évaluation sommaire des superficies nécessaires pour son implantation et pour le bâtiment,
- sa localisation (avec éventuellement des variantes),
- une estimation prévisionnelle sommaire,
- un plan de financement théorique ».
Après un appel à candidatures auprès de sociétés spécialisées en ingénierie culturelle, la ville retint, à l'issue de l'audition de quatre sociétés, un cabinet québécois, Gid Design, créé en 1975, présenté comme « une firme d'experts conseils offrant des services intégrés en design d'environnement et design industriel assurant études de faisabilité, programmation et gestion de projets... »
Dans le prolongement de cette étude, ce même cabinet se vit confier, en 1992, l'exercice de programmation par la voie d'un marché négocié.
Etant donné la complexité du programme de ce nouvel équipement culturel, sur proposition des responsables d'équipement, la ville décide de mener des études complémentaires à celle confiée à la société Gid Design, étant toutefois précisé qu'il appartient à cette dernière d'effectuer la synthèse des études en cours ou à venir.
Parmi les études complémentaires lancées, une mission de définition de la stratégie documentaire de la bibliothèque est confiée à la société Bossard consultants. Il s'agit d'un marché de prestations intellectuelles et la société fut choisie par référence à ses travaux menés dans le cadre du programme de la Bibliothèque de France.
La mission consiste à :
- dégager les forces et les faiblesses du réseau actuel de la bibliothèque municipale en termes d'offres documentaires ;
- analyser et positionner l'offre documentaire de la bibliothèque municipale dans l'environnement documentaire rennais ;
- définir des scénarios de stratégie documentaire pour le réseau de la bibliothèque et ses articulations avec les autres structures composantes du nouvel équipement culturel (musée de Bretagne et CCSTI).
Les premières relations de travail avec les consultants de cette société remontent au mois de décembre 1991. A la suite d'une rencontre qui avait eu pour objet de cerner le sens de notre démarche, les consultants m'avaient adressé un document de travail listant les études préalables nécessaires à leurs yeux pour « calibrer au mieux le profil du projet de la nouvelle bibliothèque ». En raison des interférences avec la mission signée avec les Québécois, l'étude menée par Bossard fut limitée à l'aspect stratégie documentaire. Elle fut complétée, l'année suivante, par un audit d'organisation, confié au même cabinet après une mise en concurrence. La logique de la chronologie des études ne fut sans doute pas idéale, mais elle s'explique par les compromis qui ont rythmé le déroulement des différentes phases du projet de nouvel équipement culturel.
Le point final actuel à cette expérience de travail avec des consultants a donc été apporté en 1993 par la conduite de l'audit d'organisation dont l'objet a consisté à dresser un état des lieux, à analyser les modalités d'organisation globale de la bibliothèque et à proposer plusieurs scénarios d'évolution de ces modalités d'organisation dans la perspective de l'ouverture du nouvel équipement culturel.
Une philosophie commune
Ces différentes expériences, en dépit d'un champ d'investigation différent, ont été sous-tendues par une philosophie commune.
Gérer le changement implique la possibilité d'adapter une organisation aux exigences de l'environnement et de faire évoluer les comportements de ses acteurs. Préparer le changement entraîne aussi une action sur les personnes en les faisant participer au processus d'analyse de l'organisation et de définition des plans d'action mis en œuvre pour optimiser les méthodes et les moyens de fonctionnement, une action sur les techniques par l'évaluation des modes de travail, une action sur les structures par la définition des niveaux de fonctions et de responsabilités, une action sur la nature des tâches par l'ajustement des postes de travail individuels, une action sur la stratégie par la mise en adéquation des moyens et des objectifs.
Un tel enjeu a présidé à chaque étape de notre développement. Dans chaque situation, il nous a semblé nécessaire d'enrichir notre expérience et la connaissance de notre sphère d'activités, de partager notre vision des problèmes et de confronter notre perception des évolutions.
L'appel à des consultants extérieurs a correspondu à un triple besoin : besoin de ressources, d'objectivité et de compétences.
Besoin de ressources : la durée du travail par jour ou par semaine est limitée. Les tâches quotidiennes ne permettent pas toujours d'être disponible pour mener une étude dans un laps de temps déterminé et selon un rythme soutenu. L'intervention d'un consultant constitue une réponse à ce manque de disponibilité. Par ailleurs, trop souvent prisonnier d'un sentiment de routine, le recours au consultant va régénérer l'esprit de veille, de vigilance et de critique et introduire une dimension de distanciation du regard porté sur soi et sur son environnement.
Besoin d'objectivité : l'immersion au quotidien émousse les capacités d'analyse et de jugement. Le relationnel n'est pas toujours couplé au rationnel. Dissensions, dissonances, controverses, oppositions doivent pouvoir être soumises à l'examen de l'expert indépendant et extérieur. Le consultant peut ainsi apporter sa vision des pratiques en cours, faire valoir un éclairage comparatif de situations rencontrées dans des circonstances similaires et permettre ainsi de positionner l'établissement dans le contexte politique et économique et l'environnement professionnel. Dans des périodes de conflits ou de déficit de communication, le consultant peut renouer la relation grâce à une écoute objectivée.
Besoin de compétences : le recours aux consultants permet de bénéficier de connaissances et de compétences d'un niveau que le personnel de bibliothèque ne possède pas ou n'a pas atteint.
Du fait de la sélectivité de leur mode de recrutement, les cabinets de consultants réunissent des compétences propres, dans des domaines tels que l'organisation, la gestion des ressources humaines, le contrôle de gestion, l'urbanisme et l'immobilier, les nouvelles technologies. Capitalisation d'expériences, savoir-faire issu de pratiques professionnelles diversifiées, savoir-être relationnel font partie du registre des qualités affichées lors des candidatures.
En règle générale, les consultants ont éprouvé leurs méthodes d'analyse, de diagnostic et de mobilisation des personnels. Ils peuvent s'adjoindre des experts pour des aspects particuliers de l'étude. Leur approche est pluridisciplinaire et la connaissance du milieu d'opération constitue un atout dans la réussite de leur mission.
La relation de travail avec les consultants représente un réel moment de tension intellectuelle, de fermentation d'idées et d'aboutissement de projet. Aussi est-il permis de dire que l'on acquiert, par le biais de telles études, un complément de formation.
Le bilan des expériences
Ces différentes études ont jalonné la vie récente de la bibliothèque. Elles ont, à chaque fois, marqué un moment d'évolution. Chaque intervention s'est inscrite dans une trajectoire qu'elle a contribué à conforter.
Améliorer la qualité des services alors que ceux-ci sont à la croisée de métiers en perpétuelle modification et en tension par rapport aux attentes de plus en plus fortes des usagers - attentes qui doivent être satisfaites avec des « moyens constants » -, telle fut la part du défi à relever à chaque étape de notre développement, qui a été accompagnée par des consultants dont l'entraînement et la force de frappe sont sans commune mesure avec notre propre capacité de conviction.
La ville de Rennes, comme toute collectivité locale, est très préoccupée par la rareté des finances, la modernisation de la gestion, la réduction des coûts de fonctionnement, les performances des services, l'évaluation des ressources humaines. Elle commandite des études afin de devenir plus compétitive. Pour les élus, le recours aux consultants apparaît comme un gage de compétence, de transparence et de fiabilité, de crédibilité et d'optimisation. Au consultant revient la charge de décoder la boîte noire que représente notamment, aux yeux des élus et des directions de tutelle, la bibliothèque.
L'étude joue ainsi le rôle de révélateur et, si elle permet de formuler un diagnostic et de proposer des recommandations, elle constitue pour les décideurs un outil d'aide à la décision. L'effet « consultant » n'est pas sans résultat du fait du coût représenté par l'étude, de sa publicité d'annonce, du temps passé, des sollicitations et des entretiens avec le milieu politique et la hiérarchie administrative et de leur implication dans le déroulement du processus.
Au niveau de la bibliothèque, les études ont soutenu la politique de son développement en réseau.
Passer d'une tradition patrimoniale à une logique de prestations de services, gérer les mutations technologiques, faire du marketing culturel, concevoir un nouveau programme de bibliothèque en relation partenariale exige une mobilisation intellectuelle et humaine. Le recours aux consultants a constitué un adjuvant et un catalyseur. Des décisions immédiates ont suivi le rapport sur le projet informatique, bousculant l'ordonnance administrative... Le projet de nouvel équipement culturel a bénéficié d'une certaine décantation, mais n'a pas échappé, du fait de ses enjeux, à la combinaison des pressions et des influences.
Quant à l'étude d'organisation, elle a crédité les analyses internes. Elle a représenté un moment d'écoute et de participation du personnel à sa vie quotidienne et aux perspectives de développement. Elle a fait œuvre de pédagogie et a permis de le sensibiliser aux finalités de ses activités, à la pertinence de ses pratiques, à l'analyse des comportements, à la rationalisation des modes et méthodes d'organisation et à l'amélioration de la relation de service.
Dans nos différentes situations, le sentiment de défiance fut particulièrement faible. Le moment d'une relation de travail avec un consultant est pour le personnel un temps privilégié d'expression sans captation par des leaders qui se prétendent détenteurs de la parole légitime. Si la mobilisation et la participation des personnels furent à la fois un facteur et une finalité, l'engagement de la hiérarchie au niveau le plus élevé attesta de sa détermination à conduire le changement. Son implication fut essentielle à toutes les étapes décisives : actions d'information, de sensibilisation, validation des résultats, choix des stratégies. La mise en œuvre de plans d'action fut un gage de volonté politique.
Ainsi, la réflexion individuelle et collective est-elle nourrie par la médiation des consultants qui contribuent à apprendre à formaliser sa pensée, à la soumettre à l'avis d'autrui, à l'exposer en s'exposant. Le travail avec un consultant représente une contrainte d'authenticité aux effets parfois déstabilisateurs. L'univers conceptuel des intervenants, leur culture d'entreprise, leur vocabulaire, leur milieu d'appartenance peuvent, à l'occasion, dérouter au point de conduire à des situations d'incompréhension voire de rejet, d'où la nécessité d'une préparation psychologique à cette forme d'interactivité et d'une connaissance des mécanismes d'intervention.
Du bon usage des consultants
La réussite d'une étude confiée à des consultants suppose que plusieurs conditions soient réunies.
La première, la plus fondamentale, concerne la définition de l'objectif. Un objectif traduit une volonté, un résultat à atteindre. Il est formulé de façon expresse et doit répondre aux interrogations suivantes : Quoi ? Pour quoi ? Pour qui ? Pour quand ? Comment ? Où ? Combien ? Le but, l'usage, la cible, le délai, le moyen, le lieu, le coût...
La seconde, non moins nécessaire, se réfère à la détermination de l'objet de l'intervention, à la délimitation du champ de compétence.
La troisième, indispensable pour éviter tout risque de conflit, implique la définition du rôle du consultant : conseiller ? contrôleur ? expert ? partenaire ? Selon le dictionnaire, le consultant est une personne qui donne des consultations, des avis circonstanciés ; le conseiller est celui qui délivre des conseils ; le contrôleur a qualité pour exercer un contrôle ; l'expert est réputé pour être averti, habile, exercé, apte à juger ; le partenaire est la personne à laquelle on est associé, avec laquelle on partage une convergence de préoccupations et une obligation de résultats. Je pourrais ajouter que nos expériences nous ont gratifiés de guide et d'avocat.
La quatrième concerne la définition de la méthodologie. Méthode analytique : guide d'entretien, normes, standards, référentiels, contrôle de conformité ou contrôle des faits et des opinions et clarification des relations de causes à effets.
Méthode participative : mise en relation des personnels, participation à l'identification des problèmes, à l'analyse des facteurs d'échec auxquels il faudra remédier, des facteurs de réussite sur lesquels il faudra s'appuyer, des facteurs de blocage qu'il faudra contoumer...
Code de déontologie : acteur intègre et indépendant, le consultant va recueillir une masse d'éléments d'information dont le niveau de confidentialité aura été contractuellement défini. Il est aussi important qu'il ne se retranche pas derrière un code professionnel ou une règle déontologique pour pratiquer une certaine rétention qui pourrait être guidée par un souci de rentabilité dans la perspective de nouvelles études. Enfin, l'implication du consultant est une exigence, car il est responsable de la totalité de son intervention et de son impact. A chaque intervention, une démarche sur mesure, adaptée à son environnement et à ses procédures.
La cinquième recouvre le déroulement de la mission. Choisir le consultant en adéquation avec la mission est un préalable. S'entendre sur les règles du jeu est essentiel à la réussite de la mission : dispositifs de pilotage, procédures de validation, recueil d'informations, organisation des plannings, premières constatations, ébauches de recommandations, discussion des rapports, modalités de restitution doivent se dérouler dans une ambiance de dialogue et dans un climat de confiance et de collaboration.
Ainsi, quelles que soient ses conditions d'exercice, consultant indépendant ou interne à la fonction publique, la démarche du consultant présente des caractéristiques de base qui fondent sa spécificité : elle est initiée par une demande ou un demandeur, elle repose sur une logique d'extériorité et d'autonomie et non sur une relation hiérarchique ou fonctionnelle entre le consultant et le demandeur, elle s'organise autour d'objectifs opérationnels précis, elle est délimitée dans le temps, elle s'appuie sur un dispositif d'intervention propre qui définit le rôle de chaque acteur et les modalités de travail, elle repose sur un contrat formalisé qui va constituer tout au long de l'étude le cadre du consultant. C'est sur cette base que le consultant sera évalué. Cette évaluation s'articulera autour des objectifs de l'intervention tels qu'ils ont été inscrits dans le contrat, des résultats et de l'impact global de l'intervention, des effets positifs et négatifs, du contexte dans lequel s'est déroulée l'intervention, des moyens prévus, réellement investis, des événements qui ont marqué l'intervention, et des besoins auxquels l'intervention était censée répondre, besoins énoncés, négociés dans le contrat, besoins décelés en cours d'intervention. Cette analyse permettra de mettre en équilibre les résultats et les objectifs et de juger de la pertinence de la définition de ces objectifs.
Un temps pour agir, un temps pour penser...
Le recours aux consultants marque un temps, un temps de réflexion dans le temps de l'action. Celle-ci ne vaut que par la réflexion qui la sous-tend et la réflexion ne se justifie que lorsqu'elle guide l'action. La relation avec les consultants est l'occasion d'un bilan, la source d'un enrichissement mutuel, un vecteur de communication, une valeur ajoutée à une démarche de progrès et à la recherche d'innovation.
Avril 1994