L'explosion de la communication

par Yves Desrichard

Philippe Breton

Serge Proulx

Paris: La Découverte ; Montréal : Ed. du Boréal, 1993. - Nouv. éd. - 323 p. ; 22 cm. - (Sciences et société)
ISBN 2-7071-2291-2 (La Découverte) - 2-89052-598-7 (Ed. du Boréal) : 140 F

« Depuis la première publication de ce livre, en janvier 1989, le monde a changé », avertissent Philippe Breton et Serge Proulx. Et, de fait, si, à l'aune géologique ou astronomique, 5 ans peuvent paraître une très courte période, dans l'aire et l'ère de la communication, il n'en est pas de même.

Une nouvelle édition de L'Explosion de la communication s'imposait d'autant plus que la crise économique de la presse, le tassement sinon le recul de la pratique télévisuelle, la perte de confiance dans la crédibilité joumalistique, nourrie par des dérapages connus (Révolution roumaine, guerre du Golfe), n'ont fait que s'accentuer, alors même que les progrès techniques, les phénomènes de concentration des monopoles de presse, de diffusion, de production, voire la confluence pas encore avérée de techniques, de domaines et de compétences jusqu'alors nettement définis (informatique, audiovisuel, presse imprimée), viennent interroger chercheurs et praticiens (voire consommateurs ?) sur le devenir de la « communication » de l'an 2000.

Heureusement pour le lecteur, parfois échaudé par des ouvrages de prospective ou d'initiation confus, verbeux, trop ambitieux ou trop modestes, le propos des auteurs de L'explosion de la communication est net, précis, et vaut mieux que son titre accrocheur : il s'agit, en une quinzaine de chapitres denses mais accessibles, de faire le point sur les différents aspects historiques, politiques, sociologiques et techniques de la communication, laissant au lecteur le soin de puiser dans une abondante bibliographie (20 pages serrées !) pour approfondir tel ou tel aspect de la question.

Le pari est tenu, et la lecture du livre est agréable, jamais fastidieuse ou exaspérante, parfois passionnante. Si les utiles historiques consacrés aux premières formes de communication, des discours de Cicéron à l'invention de l'imprimerie, voire du télégraphe Chappe aux premiers ordinateurs, n'apprendront peut-être pas grand chose à des bibliothécaires aguerris, ils constitueront d'utiles introductions à des lecteurs moins avertis.

La publicité

Tout aussi synthétiques sont les exposés sur la publicité, ses formes, ses modes et son efficacité, réelle et supposée, sur le discours politique et sa médiatisation, sur la notion de propagande - qui, prise au sens strict, pourrait s'appliquer à bon nombre de « manifestations de communication » contemporaines, là où d'aucuns la limitent aux actualités nazies ou aux films soviétiques à la gloire de Staline - sur les enjeux économiques et techniques du « paradigme digital », entendez la numérisation progressive de la production, du transport et de la diffusion des données de l'information, qu'elles soient textuelles, visuelles, sonores ou, plus sûrement, tout cela à la fois.

La communication

Mais c'est sans conteste les chapitres consacrés aux discours sur la communication, aux idéologies en présence, aux figures emblématiques de ce domaine, de Wiener ou McLuhan à Lucien Sfez ou Dominique Wolton, qui retiendront le plus sûrement l'attention, avoir su ordonner et résumer un nombre impressionnant d'ouvrages et de textes sur la question, propres à décourager le néophyte, fut-il de bonne volonté.

C'est que rarement domaine aura autant suscité d'analyses, de théories, de diagrammes et schémas explicatifs, dont la complexité, parfois, pourrait faire considérer les travaux de Ferdinand de Saussure comme d'une étonnante limpidité ! Le paradoxe ultime étant que les discours sur la communication ne sont jamais rien d'autre que... de la communication, pouvant à son tour susciter critiques et analyses : que ceux qui s'émeuvent de l'épouvantable condition de Patrick Sabatier, ou se désolent de la composition des équipes rédactionnelles de France 2 ou France 3 y puisent matière à réflexion...

Norbert Wiener

De ces discours à foison se détache, nous semble-t-il, la figure de Norbert Wiener, père supposé de la cybernétique, qu'on peut définir comme une sorte de pont jeté (ou construit...) entre les études comportementales qui concernent l'être humain, d'une part, et, d'autre part, les études de conception et de réalisation de machines capables d'interagir avec leur environnement, qu'il soit humain ou mécanisé.

En reconnaissant que les concepts et les théories proposées par Norbert Wiener restent souvent flous, les auteurs soulignent que c'est cette latitude conceptuelle qui en a fait la fortune : de la notion de « feed back » aux tentatives de création d'ordinateurs « intelligents », de l'analyse purement mécanique de certains comportements humains à l'affirmation péremptoire que « tout est communication » et que, in consequo, « tout est information », Serge Proulx et Philippe Breton tirent un fil rouge qui conduit à l'avènement de la micro-informatique, à l'omniprésence des outils de communication, à leur importance sociologique, politique, idéologique.

« Idéologie sans victimes », le triomphe d'une société de la communication se donnerait comme but souterrain mais décisif de rapprocher les hommes, de faire s'éteindre progressivement les motifs de conflits et les conflits eux-mêmes, pas très loin du « village global » célébré il n'y a pas si longtemps, et de la « fin de l'histoire » dont, pourtant, nombre d'événements actuels viennent retarder la venue...

On devine que les auteurs adoptent vis-à-vis de cette théorie - résumée à grands traits - une fausse neutralité. Ils ont le mérite de le faire avec une conscience et une honnêteté remarquables, et le souci d'apporter au lecteur des repères, sans l'égarer dans les discours, voire les vocabulaires, auxquels succombent bon nombre d'analystes des médias et de la communication.

Ce scrupule assure la réussite de leur ouvrage : maniable et compact, L'Explosion de la communication est bien, comme l'indique le prière d'insérer, « le manuel de référence pour les étudiants en sciences de la communication ». Mais, loin de se limiter à cette noble tâche, il apportera à tous, attentifs observateurs des médias ou désabusés lecteurs de propagande, mises au point, résumés et - surtout - outils de réflexion personnelle sur une « société de communication » dont le bibliothécaire lucide niera difficilement l'existence...