Les bibliothèques d'art en action

Philippe Perreaudin

Annie Pissard

C'est à Besançon que la très active sous-section des bibliothèques d'art de l'Association des bibliothécaires français a tenu, du 19 au 21 novembre 1993, ses troisièmes journées d'étude.

La coopération outre-Atlantique

La bibliothèque de la National Gallery à Washington, rappelle Roger Lawson, a été créée en 1941. Elle rassemble 170 000 volumes, 6 millions de photographies et 200 000 diapositives, collections gérées par une équipe de 50 personnes. L'Art Libraries Society North America (ARLIS/NA) est l'association des bibliothèques d'art américaines. Créée en 1972, elle prend réellement son essor en 1978, s'affiliant à d'autres organisations professionnelles, prenant position sur des questions d'importance nationale (constitution de thésaurus, droit d'auteur...) et développant un programme de publications et de conférences annuelles très formatrices, avec ateliers et tables rondes. Elle compte maintenant plus de 1 300 membres et joue un rôle majeur dans le réseau professionnel en offrant à ses adhérents un moyen de communiquer et d'échanger des idées.

Une autre association s'est développée simultanément pour permettre aux institutions de partager de façon organisée les fruits de la coopération sous forme d'un réseau de type bibliographique : RLG (Research Libraries Group, Association des bibliothèques de recherche). Son objectif premier était de mettre en place un outil bibliographique informatisé qui conforterait le rôle central des bibliothèques en matière d'éducation et de recherche. C'est ainsi que le Réseau d'information des bibliothèques de recherche (RLIN) fut conçu. La volonté du RLG et les nombreux adhérents spécialisés dans les domaines de l'art et de l'architecture lui ont donné son orientation actuelle. A l'intérieur du RLG, le comité de programme « art et architecture » (AAG) est un des groupes de travail les plus actifs. Il conseille le RLG sur les projets et technologies utiles aux bibliothèques d'art et d'architecture, publie un rapport trimestriel, pilote des projets (Ariel, système de numérisation et transmission de documents par exemple), etc.

La base de données sur l'art RLIN est très riche. Elle rassemble environ 61 millions de références (structurées en format Marc) de livres, périodiques, documents iconographiques et sonores, partitions, documents informatiques, cartes et documents d'archives. Les données sont accessibles par des procédures de recherche faciles, harmonisées et souples. A ce fichier bibliographique s'ajoutent trois fichiers d'autorités (noms propres, sujets et thésaurus art et architecture) et plusieurs bases de données spécialisées.

Les projets français

Annie Jacques, responsable du fonds ancien de la bibliothèque de l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts, précisa l'état de la rétroconversion des documents de ce fonds pour l'alimentation du catalogue collectif de la future Bibliothèque nationale des arts. La rétroconversion du fichier manuel (100 000 notices) a été réalisée par la société Jouve. Les notices sont récupérées via BN Opale (20 000 notices françaises) et RLIN (dont le coût est monté à 33 000 dollars pour 40 000 notices et que l'on peut estimer plus performant qu'OCLC pour un fonds d'art).

Jean-Luc Gautier-Gentès présenta la Bibliothèque d'art et d'archéologie (BAA) et avança des propositions d'actions pour un meilleur accès aux documents sur l'ensemble des bibliothèques d'art. La BAA a rejoint les locaux de la Bibliothèque nationale, où elle se trouve pour l'instant logée à l'étroit, ne pouvant mettre à la disposition du public qu'une partie de son fonds d'usuels. En règle générale, la BAA essaie de répondre à l'attente des chercheurs, au sens large : chercheurs « institutionnels » (ministères, musées...) chercheurs « amateurs », étudiants de 2e et 3e cycles, mais aussi à tous les professionnels de l'art : artistes, galeristes, enseignants...

Elle joue le rôle de Cadist et tend de ce fait vers l'exhaustivité dans son domaine. Son champ documentaire est très large, elle possède des livres, des estampes (12 000), des livres illustrés, des dessins d'architecture, des vidéodisques... Certains sujets comme les arts orientaux, les arts décoratifs sont peu représentés, car traités par d'autres établissements. Elle possède des documents en langues étrangères. Confrontée au problème des limites du champ documentaire, elle s'est fixé comme mission de favoriser l'interdisciplinarité sans ambitionner l'encyclopédisme. Elle utilise le service OCLC, intègre environ 5 000 nouveautés par an et bénéficie du dépôt légal dans ses domaines. Le catalogue des thèses est sur le logiciel Data Trek.

Jean-Luc Gautier-Gentès souhaite que la bibliothèque exerce une veille sur les champs nouveaux de l'histoire de l'art : le rôle d'une bibliothèque d'art est de proposer des nouvelles pistes aux spécialistes. Il veut intégrer la bande dessinée et les documents de référence sur le cinéma, faire l'acquisition de thèses en langues étrangères, provoquer des dations ou donations sur l'art contemporain, conserver des archives d'artistes, proposer des documents audiovisuels. Le libre accès à l'ensemble des collections et l'aménagement d'une salle de bibliographie permettraient de répondre à la demande des différents publics.

Au-delà des projets propres à la bibliothèque, le directeur de la Bibliothèque d'art et d'archéologie appelle de ses vœux l'élaboration d'un thésaurus ou une adaptation de Rameau (Répertoire d'autorités-matières encyclopédique et alphabétique unifié), un répertoire des banques de données d'images existantes, une réflexion sur la formation des utilisateurs de bibliothèque et la création d'un Guide de la recherche en histoire de l'art. Pour la future BNA, ce sont des espaces d'accueil communs qui s'imposent pour orienter le public vers les différentes unités constitutives. Il s'interroge enfin sur la vulnérabilité créée par le rassemblement d'un tel patrimoine sur un lieu unique.

Coopération en tout genre

Cecil Guitart, chargé auprès du directeur des Musées de France d'améliorer la situation des bibliothèques de musées territoriaux, se demande si de gros projets comme la BNA ou la Bibliothèque nationale de France ne risquent pas de mettre en péril l'esprit de coopération entre bibliothécaires, qui commence pourtant à porter ses fruits. Dario Gamboni, professeur à l'université de Lyon II, estime l'offre documentaire trop concentrée à Paris. Il regrette d'être obligé de se déplacer pour connaître le fonds d'une bibliothèque et souligne l'importance de la découverte (on trouve ce que l'on ne cherche pas) offerte par la consultation de différents catalogues. Il souligne le manque d'ouvrages d'introduction et d'initiation à la discipline « histoire de l'art » et cite quelques titres en allemand, regrettant que ce type de documents n'existe pas en français. Il est favorable à un accueil des étudiants le plus tôt possible dans les bibliothèques d'art, mais précise qu'il faudrait mettre en place un système de formation à la recherche documentaire. Il pense également qu'enseignants et bibliothécaires doivent davantage travailler ensemble.

La médiathèque de l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts informe que le Bulletin signalétique (dépouillement partagé des périodiques) sera fait en 1995 sur le logiciel Isis diffusé gratuitement par l'Unesco (données en Unimarc) et non plus sur Texto. La version papier du Bulletin continue. Le Bulletin fournit des informations beaucoup plus riches et utiles aux écoles que celles que l'on peut obtenir en croisant plusieurs interrogations de banques de données. On signale que les fournisseurs les plus utilisés sont Art curial et la Librairie du musée d'art moderne de la ville de Paris.

On aborde le problème, crucial dans une école, de la formation des utilisateurs. Certains soulignent le nouveau rôle des documentalistes de collèges et lycées, qui forment systématiquement les élèves à la recherche et en espèrent des retombées positives sur les élèves des écoles d'art. La question de la formation de l'utilisateur soulève celle de la mission des bibliothécaires. Jusqu'où se transforment-ils en enseignants ? Certains vont jusqu'à assurer des cours d'histoire de l'art alors que d'autres s'y refusent absolument.

L'afflux des étudiants

On a beaucoup parlé des étudiants au cours de ce colloque à propos du projet de médiathèque d'école d'art de la ville de Paris et de leur présence très importante parmi le public de la bibliothèque du Musée national d'art moderne (MNAM). Selon que le bibliothécaire travaille dans le cadre d'une école ou de celui d'un musée, son rapport au public étudiant est assez différent. Catherine Schmitt au MNAM se plaint de devoir pallier l'insuffisance des moyens documentaires de l'université. Leur demande très importante par rapport à des collections de haut niveau, qu'il faut aussi préserver de la «bourrasque » étudiante, crée un climat de tension peu agréable. Le prêt, qui répondrait à leurs besoins, n'est pas compatible avec le niveau des collections de la documentation. Cependant, la présence de ce public a permis d'orienter des maîtrises sur les collections du Musée ,ce qui est un phénomène récent.

Les musées sont aussi de plus en plus convaincus d'avoir un rôle à jouer dans la gestion documentaire. A Grenoble il existe un projet de convention entre le service documentation du musée et l'université. Au MNAM, des étudiants travaillent au dépouillement des revues de recherche.

Enrichir Rameau

Autre objectif de ce colloque : élaborer une méthode de travail pour un programme national de reproduction des périodiques et catalogues de salons et enrichir Rameau.

Il existe un programme de reproduction (environ 100 titres) du RLG. Certains périodiques français sont désormais disponibles sur microfilms grâce à l'association américaine : L'amour de l'art, L'archibras, L'art vivant, Les arts à Paris, Les cahiers d'art. Il y a un manque de structures en France pour la sauvegarde de ces documents et Catherine Schmitt propose l'élaboration d'une méthode de travail. Il s'agit de dresser une liste de titres des périodiques à traiter en urgence après avoir pris connaissance de l'existant. Cette liste pourrait être proposée à l'ACRPP (Association pour la conservation et la reproduction photographique de la presse) qui se chargerait de commercialiser les microfilms. Pour les catalogues de salons, il s'agit de trouver des collections complètes en bon état pour une reproduction sur microfiches.

Une bonne partie des bibliothécaires d'art présents utilisent Rameau. En revanche, personne n'a recours au thésaurus américain AAT (Art and Architecture Thesaurus) : il n'est pas traduit en français et couvre un champ plus large que Rameau, puisqu'il sert également pour la description d'objets d'art. Les bibliothécaires souhaitent contribuer à améliorer Rameau par :
- un travail d'enrichissement de la base pour les termes concernant l'art, en association avec des chercheurs à ce travail ;
- la création de sessions de formation à Rameau. ;
- l'amélioration du logiciel : travail sur l'ergonomie, l'OPAC...

L'avenir de Richelieu

Ces journées ne pouvaient se passer d'un débat concernant l'avenir du site Richelieu-Vivienne. La création de l'Institut d'histoire de l'art constituerait évidemment un outil de recherche essentiel pour l'histoire de l'art en France. Philippe Belaval appelle de ses vœux une plus grande clarté dans la définition du projet, jugé un peu « attrape-tout », et souhaite une démarche pragmatique. Il faut régler rapidement la question des champs disciplinaires couverts, du mode de collaboration avec la province et réaliser un inventaire dynamique des collections. Les années à venir pourraient voir un certain nombre d'actions « hors les murs » de manière à avancer de façon résolue. Beaucoup de participants se demandent comment saisir concrètement le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, celui de l'Education nationale, le rectorat et le Centre national de la recherche scientifique. On s'interroge sur les espaces disponibles, sur le devenir de la salle Labrouste. Comment dégager des moyens pour la création d'outils de travail collectifs ? Comment faire pour que les chercheurs se déplacent à bon escient ? Encore et toujours, seul un réseau peut répondre à ces questions.