La couleur de la mélancolie

la fréquentation des livres au XIVe siècle : 1300-1415

par Isabelle Kratz

Jacqueline Cerquiglini-Toulet

Paris : Hatier, 1993. - XVI-186 p. ; 21 cm. - (Brèves littérature, ISSN 1152-1279)
ISBN 2-218-05175-3: 148 F

A l'appui d'une multitude de citations dûment commentées, J. Cerquiglini-Toulet nous transmet les ambitions, les aspirations, et surtout les inquiétudes des auteurs de ce Moyen Age finissant, accablé de guerres, d'épidémies et de famines, indubitablement placé sous le signe de la mélancolie.

Le clerc-écrivain

Le français est désormais pensé comme langue de culture et son usage écrit n'a rien d'une nouveauté. Quant à la matière littéraire, on a alors l'impression qu'elle est épuisée depuis le Roman de la rose : « Que porai-je de nouvel dire » s'écrie J. Froissart. Ce sentiment de n'être que des successeurs engendre dans les milieux littéraires une réflexion sur l'acte même d'écrire et sur les formes que doit prendre l'écriture dans une telle situation de pénurie. A cette crise de la matière répond ainsi une esthétique où la thésaurisation est reconnue comme procédé créatif. De ce fait, à mi-chemin entre le ménestrel, attaché à un seigneur ou à un grand marchand, et le poète, certes indépendant, mais financièrement fragile, s'épanouit le personnage du clerc-écrivain. Ce dernier multiplie les protections et gère sa production comme un négoce, toujours prêt à fournir sur-le-champ une pièce correspondant à la commande. De cette manière il parvient à se soustraire au rôle dégradant de simple amuseur.

De plus, des auteurs comme Guillaume de Machaut et Christine de Pisan s'efforcent de renouveler une matière jugée épuisée, soit par la modification de schémas prégnants, soit par la substitution de thèmes nouveaux dans les moules déjà constitués.

La Cour amoureuse

Parallèlement à ces réflexions d'ordre esthétique, c'est toute la place de la poésie au sein de la société qui se voit remise en question. De nombreuses valeurs jusque-là reconnues comme bases de la vie sociale se trouvent alors sinon balayées, du moins sérieusement ébranlées : l'amour chevaleresque, la joie...

Par réaction, la poésie devient ainsi, pour toute une société, un jeu sérieux : les princes sont souvent lettrés, voire poètes eux-mêmes, et on voit naître des institutions telle la Cour amoureuse (créée en 1400), qui s'efforcent, par leur culte de la poésie dans sa forme la plus traditionnelle, de chasser ce sentiment omniprésent, la mélancolie.

Sont étudiées encore de nombreuses autres facettes de la vie des auteurs du XIVe siècle : les liens entre eux, les moyens rhétoriques employés pour asseoir leur renommée, etc. L'ouvrage ne manque donc pas d'une certaine richesse qu'apprécieront probablement surtout les initiés. Car on peut regretter que J. Cerquiglini-Toulet manque trop souvent de clarté dans la structure même de ses propos. Le lecteur, peut-être déjà perturbé par le nombre quelque peu exagéré des citations (données systématiquement en ancien français et en français modeme), se trouve parfois perdu dans la multiplicité des chemins empruntés par la pensée de l'auteur.