Quels photocopieurs pour quels usages ?
De la persistance des coûts de gestion
Jean-Claude Roda
Claude Bouillard
Les bibliothèques universitaires sont aujourd'hui confrontées à un curieux problème : la demande innovatrice se trouve du côté de l'informatique, de haut de gamme le plus souvent, alors que du côté de la photocopie la situation est restée inchangée depuis plus de dix ans. Gérer ce paradoxe est d'autant plus difficile que, depuis le milieu des années quatre-vingt, l'affluence des étudiants dans les salles de travail de la bibliothèque tend à en rendre la fréquentation aléatoire et, en fin de compte, à limiter l'accès au document.
Les besoins de l'étudiant de base
A ne suivre de près que les dernières évolutions de la gestion des prêts ou des catalogues, d'une part, et les innovations en matière de CD-Rom et de banques de données, d'autre part, nous risquerions de nous éloigner de plus en plus des réalités vécues par l'usager moyen, l'étudiant de base. A courir après tout ce qui repousse les limites de la technologie, nous pourrions nous perdre dans l'hermétisme de l'exploit technique.
Notre étudiant de base donc, pourrait s'accommoder du manque de place, s'il pouvait travailler chez lui avec les documents empruntés. Or, la réalité est tout autre : il n'y aura jamais assez d'exemplaires pour que tous les étudiants puissent emprunter ; pensons aussi aux usuels et aux divers « exclus du prêt » qu'ils ne peuvent que photocopier. Toutefois, pour être banalisée, la photocopie ne va pas sans poser quelques problèmes à la profession. Laissons de côté ceux qui sont liés au droit d'auteur, que traduit bien le néologisme « photocopillage », pour ne retenir ici que le « côté pratique », lié à la qualité et au coût de la photocopie.
L'enquête
Les résultats de l'enquête de satisfaction réalisée à la bibliothèque universitaire de Toulon et du Var * ont fait apparaître que les étudiants qui la fréquentent ne sont que moyennement satisfaits par le service de photocopie. A la question : « Es-tu satisfait des photocopieurs ? », beaucoup d'entre eux ont répondu négativement, comme le démontre le tableau récapitulatif ci-dessous :
Si 35 % d'entre eux estiment que le service rendu est « correct », il faut noter que 17 % des étudiants ont eu de mauvaises expériences avec les photocopieurs. Si on analyse plus finement les résultats, en tenant compte en particulier du cycle d'études, on constate que les étudiants du 2e cycle, qui sont également ceux qui font le plus de photocopies, sont les moins satisfaits. Quoi qu'il en soit, les mécontents (qui estiment le service mauvais ou médiocre), atteignent 46 %, voire 70 % pour le 3e cycle. Cela mérite réflexion...
Qu'on le déplore ou non, la photocopie fait partie du paysage universitaire, elle est entrée dans les mœurs de nos étudiants qui, dit-on, en consommeraient chacun jusqu'à 210 par an ! Puisqu'on n'y peut plus rien changer, autant en prendre son parti et s'organiser en gardant constamment à l'esprit ce principe de bon sens : « Les gains des uns sont nécessairement des pertes pour les autres ».
Toutes les bibliothèques disposent d'un parc de photocopieurs relativement important, les uns à usage interne, les autres mis à la disposition du public. Leur mode d'exploitation varie de l'acquisition pure et simple à la location ou au dépôt. Chacun de ces choix correspond bien sûr à une conception du gestionnaire, étayée sur des arguments que nous allons développer.
Il faut cependant rappeler au préalable que, pendant des années, nous avons manqué de crédits d'équipement, ce qui, évidemment, ne permettait pas d'envisager l'acquisition de photocopieurs, quel que fût l'intérêt de cette solution. Si la situation a changé, notamment grâce à la contractualisation, on continue à s'interroger sur l'intérêt de cette mise de fonds initiale : les photocopieurs ne sont pas la seule préoccupation du bibliothécaire, le matériel et le mobilier nécessitent également des crédits d'équipement, sans les solutions d'échange que proposent les professionnels de la photocopie.
L'achat de photocopieurs
Cette solution, on l'a vu, suppose des crédits d'équipement toujours rares et dont on n'est pas assuré qu'ils se renouvelleront. Elle présente cependant l'avantage de laisser au gestionnaire le choix de la tarification des photocopies. En effet, les coûts de gestion sont en sa faveur. Ils comprennent essentiellement : l'amortissement du photocopieur, les frais de maintenance de l'appareil, le prix des consommables (encre, papier, mais également les cartes magnétiques qui tendent à remplacer les monnayeurs). Il reste néanmoins un grand point noir : la manipulation de l'argent, qui suppose, au préalable, la création d'une régie (laquelle requiert une certaine compétence) et qui peut, suivant l'importance de la bibliothèque et le nombre de photocopieurs mis à la disposition du public, occuper un agent. Ce dernier aura, en outre, le bénéfice de l'indemnité de régie, payée sur le budget de l'établissement. En bonne logique, il faudrait ajouter aux frais de gestion énumérés plus haut le salaire ou la part de salaire (charges comprises) de l'agent chargé de la gestion des photocopieurs.
Les coûts cachés
On aborde ici un aspect particulier de la gestion des services à caractère administratif, celui des coûts cachés, ou plutôt négligés, parce qu'ils ne pèsent pas directement sur les budgets des établissements. Ces derniers, qui n'ont sûrement pas le complexe de la compétitivité, investissent beaucoup dans le matériel depuis quelques années, sans que le service du public en soit sensiblement affecté. Si le chiffre d'affaires, pardon !, le nombre de livres prêtés par étudiant avait augmenté, cela se saurait ! Tous les chiffres d'exploitation que nous fournissent désormais les systèmes informatiques de gestion dont toutes les BU sont équipées, toutes les enquêtes de satisfaction faites ici et là sont sans équivoque : les étudiants, qui constituent ce que nous appelons une clientèle captive, qui sont obligés de lire des livres pour les besoins de leurs études et surtout à cause des examens, préfèrent, dans leur grande majorité, les acheter plutôt que d'aller les emprunter à la bibliothèque.
Or, le but à atteindre, c'est bien, non seulement la satisfaction du public, mais l'élargissement de ce public. Notre souci de compétitivité doit être la conquête de nouveaux étudiants. Hélas ! La compétitivité n'est pas automatiquement liée au niveau d'investissement, elle l'est également à l'efficacité avec laquelle les investissements sont mis en oeuvre. Dans le cas des bibliothèques, tous les investissements doivent aboutir à une plus grande disponibilité du personnel pour le service du public : les bons investissements sont ceux qui permettent de dégager des postes ! Il n'est pas certain que l'acquisition et la gestion des photocopieurs par la bibliothèque aboutissent à ce résultat...
Dernière remarque enfin : le nombre élevé de photocopies, la maladresse et parfois la malveillante ingéniosité des utilisateurs imposent le choix de matériels à la fois robustes et aux nombreuses performances (réduction, agrandissement, etc.), bref, très chers. L'usure risque d'être plus rapide que ne le prévoit l'amortissement comptable ; d'autre part, l'exigence de la clientèle habituée à utiliser des machines toujours plus performantes pousse également au renouvellement du parc. Autant de raisons d'examiner d'autres solutions avant de prendre la décision d'achat.
La location
Cette solution, qui libère le gestionnaire des soucis qu'on vient de souligner, peut être adoptée à tout moment, puisqu'elle ne nécessite aucun investissement financier. Elle a fait florès dans les années 70, précisément parce qu'à cette époque les gestionnaires avaient le plus grand mal à obtenir des crédits d'équipement. En quoi consiste-t-elle exactement ?
Il existe sur le marché français de nombreuses sociétés de location de photocopieurs, Rank Xerox étant sans doute la plus connue ; d'autres, telles Gestetner ou Tecfax, pratiquent aussi bien la vente que la location. Les unes et les autres proposent le même type de contrat : location de la machine, avec, le plus souvent, double facturation forfaitaire pour la location et la maintenance, à la copie pour les consommables (hors papier), - qui tient compte de l'usure et donc du remplacement des pièces.
Dans la plupart des cas, le prix-copie proposé, qui est en fait le cumul des deux facturations, divisé par le total annuel supposé de photocopies, ne définit pas le prix de revient de la photocopie, qui permettrait de calculer son prix de vente à l'étudiant, compte tenu du bénéfice de la bibliothèque. En effet, il faut y ajouter, soit la location du monnayeur ou sa maintenance, si on l'a acheté, soit la location ou la maintenance du lecteur de cartes magnétiques à laquelle il faut ajouter le prix de la carte elle-même.
Qu'il s'agisse d'une exploitation par monnayeur ou par lecteur de cartes, il faudra tous les jours faire un relevé de caisse, exactement comme dans le premier cas, ce qui nous renvoie au problème des coûts cachés.
Le véritable avantage de la location, c'est de libérer le gestionnaire du souci du renouvellement du parc, qui est transféré à la société de location.
Le dépôt
C'est incontestablement la solution qui pose le moins de problèmes de gestion, ceux-ci étant totalement pris en charge par la société prestataire de service. La plus connue sur le plan national est la société SEDECO, qui s'est taillé une belle part du marché que représentent les bibliothèques universitaires ; mais on en rencontre également d'autres qui ont une taille régionale ou simplement locale. Dans ce dernier cas, il est raisonnable de s'interroger sur leur durée de vie, afm de ne pas avoir à subir les effets d'une éventuelle faillite.
La société SEDECO dépose gratuitement des photocopieurs de marque OCE qui sont d'une robustesse à toute épreuve, ce qui est pour elle une bonne précaution, et qui sont équipés de lecteurs de cartes magnétiques. Elle prend en charge tous les frais de maintenance, ainsi que la fourniture du papier, ce qui n'est pas le cas pour les sociétés de location ; la vente des cartes magnétiques est assurée par un distributeur de cartes, dont la recette est sous la responsabilité exclusive de la société SEDECO, qui fait intervenir une société de collecte de fonds ! Ceci mérite d'être noté, puisqu'il s'agit de la disparition de ce que nous avons appelé le coût caché.
Dans tous les cas, la bibliothèque qui accepte le dépôt des photocopieurs reçoit une ristourne sur toutes les photocopies effectuées, généralement de 3 centimes par photocopie, ce qui représente une recette annuelle qui n'est pas du tout négligeable pour un souci de gestion quasiment nul.
Les précautions de base
Avant de choisir le mode d'exploitation des photocopieurs, le gestionnaire doit s'interroger sur leur destination : on peut considérer que, s'ils sont à usage interne, utilisés par conséquent par des personnels formés, ils dureront plus longtemps avec très peu de pannes. Le choix qui doit s'imposer, c'est l'acquisition : en effet, un photocopieur, dont l'amortissement comptable est généralement fixé à 5 ans (c'est celui-ci que nous avons retenu pour nos calculs), durera au moins 8 ans, ce qui donnera un prix de la copie très bas dès la 6e année d'exploitation.
S'agissant de photocopieurs mis à la disposition du public, le problème se pose de façon différente :
- l'usure de certaines pièces peut être plus rapide que ne le prévoit l'amortissement,
- le type de lecteur de cartes imposé peut être onéreux dans un système d'exploitation qui propose une valeur monétaire de départ de 20 copies et devenir plus avantageux à mesure qu'on augmente la valeur monétaire ; mais a-t-on le droit d'imposer aux étudiants un investissement de départ de 100 copies ?
- l'exigence de la clientèle, habituée à utiliser ailleurs qu'à la BU des machines toujours plus performantes, peut pousser au renouvellement du parc.
Tous ces arguments sont autant de raisons qui pourraient privilégier la location.
La bibliothèque universitaire de Toulon a étudié de près les solutions envisageables, en s'imposant l'obligation de proposer un premier prix de copie qui n'excède pas 40 centimes et une valeur monétaire de base à 20 copies seulement.
Notre décision de consulter d'autres prestataires de service a conduit la société OCE, finalement retenue, à revoir sa politique commerciale et à proposer un prix unique pour la maintenance de tous les appareils, prix qu'elle a ramené à 10,07 centimes au lieu d'un coût moyen antérieur de 14,41 centimes.
Ceci nous amène à souligner l'importance de l'appel à la concurrence et à la remise en question fréquente des contrats. Si après cette démarche, nous ne changeons pas de fournisseur, du moins saurons-nous pourquoi nous le conservons ; si nous obtenons de meilleures propositions, c'est autant de gagné pour la bibliothèque!
Dans le cas présent, les nouvelles propositions de la société retenue feront économiser à la BU environ 50 000 francs par an. Cela valait la peine ! Quels que soient les paramètres mis en avant, quelles que soient les normes qu'on s'impose, au moment de choisir, on se trouve toujours devant un choix et, par conséquent, devant un risque d'échec ! C'est que la gestion n'a rien d'une science exacte, c'est probablement ce qui en fait l'intérêt.