La conservation entre microfilmage et numérisation
Philippe Rouyer
Organisées conjointement par l'Armell (Agence régionale des métiers du livre et de la lecture des Pays de Loire) et la Bibliothèque nationale, les journées d'étude de Sablé, les 8 et 9 octobre 1993, ont réuni près d'une centaine de personnes : archivistes, bibliothécaires, façonniers, revendeurs, spécialistes de la micrographie et de la numérisation.
Le thème choisi : « la conservation entre microfilmage et numérisation », aurait pu générer des débats houleux entre les partisans de l'une et ceux de l'autre technologie. Fort heureusement, ces vaines polémiques sont passées de mode. L'objectif n'est plus de promouvoir par tous les moyens tel ou tel support, mais d'assurer dans les meilleures conditions la sauvegarde du patrimoine écrit, en utilisant au mieux les divers outils mis à notre disposition.
La préservation de la presse
Première constatation, à travers les exposés de la journée du 8 : les microformes - microfilms et microfiches - restent le premier support de conservation, que ce soit dans les services d'archives, les bibliothèques publiques ou les bibliothèques universitaires.
La préservation des quotidiens a été historiquement, la première application de la micrographie dans les bibliothèques. Else Delaunay a souligné le rôle capital du Département des périodiques de la Bibliothèque nationale dans le sauvetage des collections de la presse nationale au lendemain de la guerre. Elle a rappelé à ce propos que Jean Prinet, alors chef du Département, fut l'artisan majeur de la création, en 1958, de l'ACRPP (Association pour la conservation et la reproduction photographique de la presse).
Quarante ans ont passé, et la tâche n'est pas totalement achevée, notamment pour ce qui est de la presse de province. Plusieurs programmes sont en cours, associant le ministère de la Culture, les agences régionales de coopération, et souvent d'autres partenaires. L'atelier de l'Armell, qu'a présenté Philippe Vallas, est un bon exemple du dynamisme de ces agences : la production de film a triplé entre 1988 et 1992.
Aux archives, les applications sont nombreuses, et vont de la reproduction des manuscrits au microfilmage de la presse régionale, sans parler de l'Etat civil centenaire, filmé par la Société généalogique de l'Utah (Mormons). L'utilisation de la photographie, sous toutes ses formes, est en progression régulière. Michel Quetin précisait dans son exposé, que les Archives départementales étaient passées de 8 ateliers en 1954 à plus de 80 ateliers en 1992. A la Bibliothèque de France, le microfilm ne sera pas abandonné, bien au contraire. La future Bibliothèque nationale de France poursuivra la politique de reproduction des ouvrages sur microfiches, et le transfert des documents sur support numérique s'effectuera souvent à partir d'une microforme. Dominique Maillet a précisé que, sur les 100 000 documents qui auront été numérisés pour l'ouverture, 60 000 l'auront été à partir de microfiches.
En résumé, la micrographie se porte bien, et ne se limite pas au marché somme toute assez limité, du patrimoine. D'après les enquêtes de Bernard Fages, chargé de mission à la Bibliothèque nationale, le marché français de la micrographie représenterait un chiffre d'affaire de 1 milliard de francs, se répartissant à peu près également en matériel/consommables et en prestations de service. Il connaît une progression lente, mais régulière, notamment en micrographie documentaire 16 mm, présentant à une échelle réduite, le même profil que le premier marché mondial, le marché américain.
Evolution des techniques
Tous les exposés que nous avions entendus au cours de cette première journée démontraient la prééminence du microfilm dans le secteur du patrimoine. D'où l'intérêt de répertorier les microfilms originaux. Tel sera, à l'échelle européenne, l'objectif d'Eromm (European Registrer of Microfilm Masters) que présenta Jean-Marie Arnoult. Subsisteraient chez les participants quelques interrogations, voire des inquiétudes : n'assistions-nous pas à l'« été indien » de la micrographie ? Avions-nous la certitude que les fabriquants allaient continuer à produire matériels et consommables ?
Les communications du 9 octobre furent précédées d'une table ronde sur l'évolution des techniques de la micrographie, introduite par un exposé de Bernard Fages. Technologies éprouvées, la photographie n'en est pas pour autant figée. Bien que peu spectaculaires aux yeux du grand public, les progrès sont manifestes.
Plus performants, plus stables, les films d'aujourd'hui sont très différents de ceux que nous utilisions il y a vingt ans : les domaines d'application se sont étendus, vers des échelles de réduction plus élevées, la reproduction des photographies ou des documents en couleur. Avec des atouts indéniables, et des inconvénients moins sensibles depuis qu'existent des passerelles entre l'enregistrement analogique et la numérisation (lecteurs-numériseurs, numériseurs de microformes), le support photographique n'offre pas la souplesse des supports numériques. Toutefois, les avantages manifestes de ces derniers ne doivent pas nous faire oublier les difficultés du transfert. Gérard Cathaly le souligna, au cours de son intervention. Si, en théorie, les problèmes techniques peuvent toujours être résolus, il faut compter avec les contraintes budgétaires, les difficultés de financement, les incidences sur l'organisation, l'inadéquation parfois entre les besoins réels de l'utilisateur et les produits proposés sur le marché.
Supports numériques et CD sur verre
C'est ce que nous avons retenu du programme, à ce jour inachevé, de numérisation de la presse locale, entrepris par l'Agence de coopération de la région Lille-Pas-de-Calais, qui a été exposé avec une grande honnêteté par Geneviève Tournouer. De même, l'expérience de numérisation aux Archives contemporaines à Fontainebleau n'est pas à ce jour totalement satisfaisante. Joël Poivre estime que les systèmes de GED ne sont pas très bien adaptés à la recherche documentaire, et que, de ce fait, les supports numériques ne sont pas encore des supports de conservation.
Maria Antonia Colomar venait de Séville présenter un système d'archivage électronique de l'Archivo general de Indias, qui semble parfaitement concilier les impératifs de la gestion et les besoins des lecteurs.
Pour clore la journée, John Mathews, de Digipress, a décrit un nouveau support documentaire : le CD sur verre. D'une résistance exceptionnelle à l'humidité, aux températures élevées, aux chocs thermiques, le CD sur verre aurait une durée de vie de 20 à 100 fois supérieure aux disques traditionnels. Cette technologie, qui peut s'appliquer à tous les disques compacts, garantirait la pérennité de l'information actuellement diffusée sur disques compacts, qu'il s'agisse de son, d'images ou de texte. Le CD sur verre pourrait être appelé à un grand développement. Le transfert d'informations sur support papier, à des fins de conservation, et non de diffusion, n'entre vraisemblablement pas dans son domaine d'application.
La dernière table ronde avait pour thème : l'avenir de la conservation passe-t-il par la numérisation ? D'après les exposés et les échanges qui avaient précédé, on pouvait répondre par l'affirmative, étant entendu que la numérisation n'était qu'une technologie parmi d'autres, que toutes se complétaient, sans s'exclure. Ainsi, la réalisation de supports de substitution fiables et d'emploi convivial, ne dispense en aucune façon de restaurer, et d'appliquer des traitements de conservation aux originaux. On pourrait aussi répondre que l'avenir de la conservation passe avant tout par l'information, et la formation des professionnels du patrimoine, et par conséquent par l'organisation de journées telles que ce colloque de Sablé.