Pour une bibliothèque nationale des arts
Françoise Benhamou
Pierre Encrevé
Emmanuel Hoog
Philippe Bélaval
ISBN 2-11-002953-6 : 65 F.
Le point commun de ces ouvrages pourrait être : l'avenir de la rue de Richelieu ou un rapport peut en cacher un autre. Tout d'abord, un bref rappel historique :
- Mai 1983 (acte 1 ou répétition générale) : le rapport d'André Chastel, publié à la Documentation française 1, suivi du rapport (confidentiel) de Marc Fomacciori, conduisent, après divers atermoiements, à la création en mars 1986 d'une association de préfiguration d'un Institut national d'histoire de l'art destiné à la fois (après une étude de définition rédigée en juin 1988 par Antoine Schnapper) à doter la communauté scientifique d'un instrument fédérateur et à sauver la Bibliothèque d'art et d'archéologie Jacques Doucet. Las ! comme le dit joliment Françoise Benhamou, « les vicissitudes politiques et d'autres errements dans le suivi du projet aboutirent à la dissolution de l'association ». (L'enquête et l'étude effectuées pour l'association par Bruno Pons semblent ne pas avoir abouti...).
- 1989 (interlude) : le recteur de Paris envisage de transférer la Bibliothèque Doucet au Grand Palais.
- Janvier 1990 (acte 2) : la décision de déménager l'intégralité des imprimés de la Bibliothèque nationale fait naître l'idée d'une Bibliothèque des arts rue de Richelieu. Michel Melot remet en décembre 1991 un rapport qui ne sera jamais diffusé.
- Décembre 1991 (acte 3) : sont créées parallèlement une Association pour la Bibliothèque nationale des arts et une mission de réflexion sur l'institut international d'histoire des arts, confiées respectivement à Françoise Benhamou et à Pierre Encrevé, dont les rapports sont parus en 1993 à la Documentation française. (François Fossier réalise ensuite une étude, non diffusée, sur l'offre parisienne).
- Mai 1993 (acte 4) : changement de gouvernement. Tandis que l'administrateur général de la Bibliothèque nationale remercie Françoise Benhamou, le nouveau ministre de la Culture et de la Francophonie confie à Philippe Bélaval une double mission, destinée à « permettre au gouvemement de prendre les décisions nécessaires à la bonne fin du projet de la Bibliothèque de France, d'une part, et à l'approfondissement des projets de réutilisation du site de la rue de Richelieu et de la rue Vivienne (...), d'autre part ». Les deux rapports ont été diffusés lors de la conférence de presse du ministre le 21 juillet 1993.
De rapport en rapport, le suspense reste entier, le projet inabouti...
Pour une Bibliothèque nationale des arts
S'il n'ouvre guère de perspectives sur les missions « nationales » de l'ensemble proposé par le regroupement rue de Richelieu des départements spécialisés de la Bibliothèque nationale, de la Bibliothèque d'art et d'archéologie, de la Bibliothèque centrale des musées nationaux, et des fonds d'architecture de l'ENSBA 2, le rapport de Françoise Benhamou a le mérite de proposer une analyse détaillée de ces différentes entités, et avant tout des départements « non déménageurs » de la Bibliothèque nationale. On peut regretter que certains postulats de départ ne soient pas justifiés (l'abandon du projet en Ile-de-France d'un Centre des arts du spectade pour le Département du même nom n'est par exemple pas mentionné), mais on peut trouver intérêt à la description qui est fournie des collections et services, modalités d'accueil ou de catalogage, articulations et recoupements. Il est intéressant, en particulier, de noter à quel point les départements spécialisés de la Bibliothèque nationale sont plus ouverts (à différents types de publics et selon des modalités très variables) que les départements des imprimés et périodiques.
L'influence des départements spécialisés explique peut-être l'importance accordée par Françoise Benhamou aux problèmes de partages et rattachements administratifs. Revendiquant longuement le maintien des manuscrits à Richelieu, contestant à la Bibliothèque de France son département Image (et démontrant au passage les limites de l'organisation par supports de la Bibliothèque nationale), elle propose la création provisoire d'un groupement d'intérêt public culturel, puis d'un établissement public à double tutelle dont l'autonomie vis-à-vis de la Bibliothèque de France serait préservée par la création d'une « réunion des bibliothèques nationales » et qui s'associerait à l'Institut intemational d'histoire des arts (entre autres) par un nouveau GIP...
La grande faiblesse de ce rapport réside dans son approche des publics : non seulement il ne nous éclaire en rien sur les besoins, n'apportant aucun des éléments chiffrés indispensables, mais il comporte plusieurs incohérences. Après avoir annoncé en introduction une bibliothèque à trois niveaux (grand public, recherche, accès aux collections patrimoniales), il propose de consacrer le bâtiment (600 places) aux chercheurs (définis à partir du niveau maîtrise), d'accueillir le grand public (« salle des actualités » et expositions), mais d'exclure (« provisoirement ») les étudiants de 1er cycle. La différence d'approche avec les départements spécialisés est maintenue en l'état.
Très affirmatif sur la nécessité de l'accès des chercheurs aux magasins (classés après 1996 de façon « thématique »...), plutôt vague quant au maintien du prêt existant actuellement à la Bibliothèque d'art et d'archéologie, ce rapport, en voulant ménager les uns et les autres, rencontre ses limites. S'il émet des propositions assez construites en matière de conservation et de valorisation, il brosse un programme ambitieux mais encore flou des collections et services audiovisuels, ignore tout des missions de réseau, et confie la constitution d'une photothèque... à l'Institut international d'histoire des arts. Certaines bases sont jetées, notamment en ce qui concerne la modernisation des départements spécialisés, mais la cohérence de l'ensemble est encore à trouver.
L'Institut international d'histoire des arts
Dans un rapport assez solidement construit, Pierre Encrevé propose d'installer dans « l'îlot Vivienne » une structure fédérative dotée de quatre missions et de 3 départements.
Un premier ensemble, intitulé « Fédération doctorale interuniversitaire » rassemblerait tous les enseignements de 3e cycle parisiens, en association avec l'Ecole nationale du patrimoine, les grandes écoles d'application du ministère de la Culture, les écoles d'architecture, et les formations doctorales de province. Le second département, la « Fédération de recherche en histoire des arts », proposerait à toutes les unités de recherche françaises des lieux de travail et éventuellement des projets communs. Un centre de documentation constituerait le troisième département, selon les axes suivants : repérage des sources, politique documentaire, politique d'archives, constitution de collections documentaires. Enfin, la quatrième fonction : échanges scientifiques intemationaux, serait transversale à l'ensemble. Suggérant que l'Institut accueille également diverses associations et sociétés, Pierre Encrevé reprend l'idée, chère à André Chastel, de « maison des historiens d'art ».
Ce rapport fournit donc l'occasion opportune d'un recensement dit « exploratoire », mais assez complet et chiffré, des formations de 3e cycle existantes, des équipes de recherche et de tous les partenaires possibles de l'Institut. C'est là l'une de ses forces.
En revanche, la définition donnée à la fonction documentaire de l'Institut est beaucoup moins daire et cohérente. Partant du postulat, fort contestable en histoire de l'art, que bibliothèque et documentation sont « deux fonctions autonomes », Pierre Encrevé ne cesse de démontrer l'inverse en assignant au centre de documentation des fonctions bien connues des bibliothèques et évoquées par Françoise Benhamou (accès aux bases bibliographiques, constitution d'un catalogue collectif, informatisation des catalogues de ventes, acquisition ou édition de microfilms et CD-Rom, recueil de fonds d'archives, etc.), et en prenant soin à plusieurs reprises de préciser que les rôles respectifs de l'Institut et de la BNA devront être clarifiés...
L'idée forte du projet documentaire pourrait être la constitution d'une « grande diapothèque-médiathèque à usage pédagogique » et le travail sur les corpus d'œuvres ; l'essentiel des autres propositions semble en fait répondre au voeu des historiens d'art de voir l'Institut pallier les lacunes des bibliothèques et documentations existantes.
Conscient des limites de cette distinction, Pierre Encrevé, contrairement à Françoise Benhamou, insiste sur la nécessité de regrouper dès que possible la Bibliothèque et l'Institut dans un seul et même établissement public.
L'avenir du site Richelieu-Vivienne
Le rapport présidé par Philippe Bélaval réexamine donc l'essentiel des propositions de Françoise Benhamou et de Pierre Encrevé. Le projet, de consacrer le site Richelieu-Vivienne à l'histoire des arts, se voit confirmé et défendu. Il est à la fois recentré et élargi.
Recentré sur un éventail moins vaste de disciplines et de missions : pour couper court au débat disciplinaire, Philippe Bélaval propose que « les arts plastiques occidentaux constituent un noyau dur », et que les autres disciplines fassent l'objet d'une étude complémentaire, visant notamment à reprendre l'idée de réseau et de « pôles d'excellence » associés. De même, trois missions sont déclarées prioritaires : la constitution et l'exploitation d'un fonds documentaire important, les activités d'enseignement, de recherche et d'échanges scientifiques, enfin une fonction en direction du grand public à laquelle Philippe Bélaval tient à accorder une importance égale, donnant ainsi une dimension nouvelle au projet.
L'intérêt principal de ce rapport réside en effet dans l'éclairage nouveau qu'il apporte à certains aspects. Ainsi, aux arguments souvent évoqués en faveur du projet : les besoins criants de la communauté scientifique et l'occasion unique fournie par le site, il ajoute la perspective de « retombées économiques et sociales pour la collectivité tout entière » (création d'emplois dans un secteur en pleine expansion, apport de devises étrangères lié au tourisme et à la recherche, renforcement de la francophonie dans une discipline à dominante anglosaxonne, etc.). On peut ne pas partager cet optimisme, on ne peut en revanche que se réjouir de ses incidences sur l'orientation générale du projet. Pour des raisons d'équilibre économique, « d'éthique républicaine », et de « dimension culturelle du projet » (cette dernière pouvant contribuer à donner un « supplément d'âme » au quartier) le public admis à fréquenter le nouvel ensemble est enfin à la mesure du bâtiment.
L'ouverture préconisée touche à la fois les publics et les missions, et répond à plusieurs des critiques que nous avions émises 3. La double nécessité de services horizontaux, et de prestations pouvant « bénéficier aussi à la province » est enfin clairement affirmée. Déplorant la fragmentation du projet, Philippe Bélaval demande la désignation claire d'un responsable du projet, la création d'une association (unique cette fois) de préfiguration et, plus fermement que ses prédécesseurs, la mise en place d'une structure administrative forte : un établissement public placé sous la triple tutelle des ministres chargés de la culture, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il impose ainsi une négociation certes « serrée » et « délicate », mais indispensable à la réussite du projet, négociation que l'extrême prudence de ses prédécesseurs (Michel Melot, Françoise Benhamou, Pierre Encrevé) semblaient juger perdue d'avance...