British librarianship and Information work 1986-1990

2. Special libraries, materials and processes

par Yves Desrichard
ed. by David W. Bromley and Angela M. Allott.
London : Library Association Publishing, 1993. - 353 p. ; 24 cm.
ISBN 1-85604-001-1 : £ 65.00

Tous les cinq ans depuis soixante ans, les bibliothécaires anglo-saxons font le point sur les évolutions de leur profession, et du monde des bibliothèques en général, dans le Royaume-Uni.

Sous le titre British librarianship and information work 1986-1990, la dernière édition de cette institution éditoriale propose un tableau synoptique de cinq années. Le tome 2, consacré aux Special libraries, materials and processes, propose en une vingtaine de chapitres un état des lieux des bibliothèques d'étude, de recherche, universitaires,... alors que le tome 1 1 est consacré aux bibliothèques publiques.

Selon les cas, les articles sont des recensements bibliographiques ou de véritables points sur les questions traitées, établis à partir de questionnaires ou d'interviews ou basés sur la culture professionnelle des rédacteurs. A chaque fois, une abondante bibliographie permet à loisir d'approfondir le sujet traité 2.

La fin des « golden eighties »

En fait, la présence de chapitres consacrés à des sujets « transversaux » (nouvelles technologies, marché du livre, patrimoine, informatisation), permet de considérer que le seul volume 2 offre un bon résumé de ce qui a marqué nos collègues anglo-saxons, pour ce qui les concerne 3, à la fin des « golden eighties ». D'évidence, compte tenu de l'image de marque dont ont toujours bénéficié, en France, les bibliothèques anglo-saxonnes, les tendances majeures de ces évolutions quinquennales, ou supposées telles, ne manqueront pas d'intéresser les bibliothécaires français.

Tout en conseillant la lecture de l'ouvrage, on peut proposer au lecteur pressé les lignes de force qui se dégagent de cette description, laissant à chacun le soin de lire dans le détail ce qui concerne son propre domaine d'action, des bibliothèques d'art aux cartothèques, en passant par les fonds musicaux ou la littérature grise.

D'évidence, le monde des bibliothèques n'échappe pas aux enjeux politiques qui, pendant ces années marquées par le gouvernement de Mme Thatcher, ont agité le pays. Nombre de décisions, de lois et de règlements, voire, de manière plus diffuse, la politique résolument libérale pratiquée, n'ont pas été sans influence sur le destin et le devenir des bibliothèques comme de leurs personnels.

Ainsi, bon nombre d'auteurs dénoncent une précarisation accrue des emplois, qui va souvent de pair avec le recrutement de non-professionnels, jugés moins coûteux. Si la tendance va aux réductions d'effectifs, elle s'accompagne naturellement d'une gestion plus stricte des personnels déjà en place : les politiques d'évaluation qualitative et quantitative des services, mais aussi des personnes, visent à accroître la rentabilité des établissements, en diminuant les coûts liés aux différentes prestations.

« A more entrepreneurial, custo-mer-oriented service » définit parfaitement l'évolution des missions et prestations des bibliothèques anglo-saxonnes, évolution à laquelle aucun secteur ne peut échapper, même s'ils sont diversement touchés (les bibliothèques médicales plus que celles liées à des organismes gouvernementaux par exemple).

Ainsi, on notera le parallèle symbolique entre l'évolution du HMSO (Her Majesty's Stationery Office), l'organisme chargé de la publication de la majorité de la documentation officielle élaborée par le gouvemement, les assemblées et les organismes publics, vers une plus grande rentabilité, et l'augmentation du nombre d'« information brokers », sorte de courtiers de l'information, qui sont maintenant près de deux cents en Grande-Bretagne.

Dans le domaine cartographique, l'Ordnance Survey, équivalent de notre Institut géographique national, voit son fonctionnement rationalisé, au moment même où l'intérêt du grand public est grandissant pour les produits cartographiques : coïncidence heureuse qui, liée au développement de nouvelles technologies d'élaboration et de consultation des fonds cartographiques, permet d'afficher un bilan satisfaisant de cette « privatisation rampante ».

Désengagement de l'Etat et mécénat privé

Tous les secteurs ne conjuguent pas ainsi heureusement les avantages du secteur public et d'une gestion privée : les bibliothèques d'art, ou celles qui possèdent des fonds musicaux, connaissent de gros problèmes dans une époque où, loi du marché aidant, « arts are expected to pay for themselves ».

Corollaire obligé, l'implication du secteur privé dans les missions d'intérêt public (par le biais du mécénat ou de contrats) produit, selon les cas, heureux résultats ou échecs patents.

Du côté des échecs, on peut citer, de manière anecdotique, la mésaventure de cette bibliothèque publique qui, ayant confié la diffusion nationale d'un livre sur les jardins du comté tiré à près de 10 000 exemplaires à une entreprise privée, a eu la surprise de constater qu'elle avait réussi à en vendre... 47 exemplaires 4 !

Plus positif, le Mellon Microfilm Project, financé par la fondation américaine Andrew W. Mellon, a financé le microfilmage d'importantes collections de périodiques de bibliothèques aussi prestigieuses que la Bodleian Library, et les interventions du J. Paul Getty Trust ont permis à de nombreuses bibliothèques d'art et d'architecture de développer des projets conséquents - notamment en matière d'informatisation 5 - dans un contexte difficile. On peut citer aussi l'action du Pilgrim Trust, voué comme son nom l'indique à préserver « the national heritage of Britain ».

Le désengagement de l'Etat, et le souci de privilégier l'économie libérale, se sont traduits par la promulgation d'un grand nombre de lois dont certaines ont eu d'importantes conséquences sur le monde des bibliothèques.

C'est évidemment dans le domaine de l'édition que les conséquences sont les plus sensibles pour les bibliothèques : le débat sur le Net Book Agreement, qui n'est pas sans rappeler celui sur le prix unique du livre français, agite la profession tout autant que les éditeurs, distributeurs, diffuseurs et libraires, ces derniers devant faire face à un mouvement de concentration prononcé, alors même que le nombre de titres publiés (près de 500 000 titres disponibles en 1990) est en constante augmentation 6 .

De même, la réforme du NSH (National Service Health), vers une responsabilisation plus grande des praticiens comme des patients, et l'obligation du secteur médical de travailler dans le cadre de budgets stricts, ont obligé les bibliothèques du secteur de la santé à renforcer la collaboration entre les professionnels des bibliothèques concernées, les médecins et les étudiants en médecine.

Le Copyright, Designs and Patents Act et le dépôt légal

Plus important, car concernant l'ensemble des bibliothèques, le Copyright, Designs and Patents Act de 1988 7, modifiant les règles de protection du droit d'auteur et de rémunération desdits auteurs, a eu des implications diverses selon les secteurs d'activité, et les types de supports concernés.

Pour chaque type de produit, des organismes de perception de droits se constituent, avec lesquels les bibliothèques s'efforcent de collaborer, pour négocier notamment des conditions de rémunération prenant en compte leurs spécificités.

On retiendra par exemple l'accord a priori exemplaire conclu avec l'industrie du disque, dont les représentants, réunis au sein du BPI (British Phonographic Industry), reconnaissent le rôle d'institution culturelle des bibliothèques publiques, et acceptent en conséquence de percevoir des droits minimes sur les prêts de disques consentis dans ces établissements.

Dans d'autres secteurs, le bilan est plus contrasté, comme pour l'industrie vidéographique où la collaboration entre bibliothèques et vidéo-clubs s'avère difficile.

Lié aux problèmes de copyright, le Public Lending Right se charge, apparemment à la satisfaction générale, de reverser aux auteurs des royalties à titre de compensation pour le prêt de leurs ouvrages en bibliothèque. Infirmant les tendances libérales du gouvernement, ce service est intégralement financé par l'Etat au bénéfice des bibliothèques des collectivités locales, pour un montant qui, en 1990, a représenté 3,5 millions de livres pour 17 000 auteurs (très diversement) concernés.

Dans le même ordre d'idée, la réforme du dépôt légal se heurte parfois aux intérêts commerciaux, ainsi de la tentative d'élaboration d'une « National Discography », inaboutie faute de pouvoir règler les problèmes de royalties avec les auteurs, ou de la collecte de la musique imprimée, ou des difficultés d'application du dépôt légal audiovisuel, soumis plus que d'autres aux problèmes d'obsolescence rapide des supports.

L'influence de la British Library

Par-delà la diversité des problèmes ou des actions, frappe aussi l'importance de la British Library 8. Il n'est pas un chapitre, en effet, où la BL ne soit pas citée, comme étant à l'initiative de rapports ou d'études sur les sujets, souvent très spécialisés, concernés, ou permettant des rencontres, informelles ou institutionnalisées, entre professionnels sur des sujets d'intérêt commun.

L'une des forces de la BL semble être en effet sa capacité à créer et à contrôler, dans chaque domaine d'intervention, des organismes spécifiques apppliqués à tel ou tel problème : le BL Computing and Telecommunications and Acquisitions, le BL National Bibliographic Service, le BL Processing and Cataloguing, le Consultative Group on Newspapers, le Department of Manuscripts new cataloguing system, sans oublier bien sûr le BL Document Supply Center, produisent ou proposent d'innombrables recensements, répertoires, catalogues, recueils, conseils, études, comparaisons, rapports, qui irriguent l'ensemble des professionnels anglo-saxons, faisant fi des clivages qui, ailleurs, peuvent limiter l'action des bibliothèques nationales.

Parmi les multiples actions recensées dans l'ouvrage, on peut citer celles du National Preservation Office, qui développe une politique nationale de conservation et de microfilmage (vu là-bas comme support de consultation, mais pas forcément de substitution), en liaison avec le Newsplan, lui aussi initié par la BL pour le microfilmage de périodiques locaux par les bibliothèques nationales concernées, tandis que le BL Bibliographical Services Department joue un rôle de recours et de référence dans les règles de catalogage et de classification, tout comme dans les modifications apportées au format UK-MARC.

Chacun des départements spécialisés de la BL (Music Library, Map Library, National Sound Archive...) est une référence constante pour les autres bibliothèques du domaine : règles de catalogage et d'indexation, catalogues collectifs ou bibliographies nationales, édition de lettres d'information ou de livres de référence, il n'existe aucun secteur où la BL et son personnel n'exercent une influence profonde.

Le travail en réseau

Pour autant, la BL n'a pas un rôle monopolistique sur les bibliothèques anglo-saxonnes, où la pratique du travail en réseau se développe, justement soulignée par nombre d'auteurs 9 : LASER (ex-VISCOUNT), BLCMP, SLS (ex-SWALCAP), BLAISE (initié par la BL) sont abondamment cités, mais il convient d'accorder une mention particulière au réseau JANET : créé en 1984 par le Computer Board for the Universities and Research Councils, ce réseau de type X-25 relie actuellement plus d'une centaine d'universités, instituts polytechniques, organismes de recherche et autres, parmi lesquels la BL, offrant par exemple la consultation mutuelle des catalogues des bibliothèques associées, des forums électroniques, des informations diverses, ou encore des services de prêt entre bibliothèques. Paradoxalement, les auteurs soulignent que les réseaux locaux sont, eux, encore peu développés.

Information technology

L'avènement des nouvelles technologies est lui aussi considéré comme l'une des évolutions fondamentales du secteur, même s'il est freiné par les coûts souvent élevés des techniques comme des produits.

Si nombre d'auteurs rappellent que l'utilisation du courrier électronique et du fax a révolutionné les habitudes des bibliothèques et des bibliothécaires, le CD-Rom semble s'imposer comme « le » support professionnel des années 90, dont la mise en réseau permet en outre d'optimiser l'utilisation.

Si certains auteurs se demandent si l'édition électronique va remplacer le support papier pour mieux répondre (une fois de plus) non, d'autres célèbrent les vertus de ce support, la diversité des titres et des services proposés, tout en soulignant que, loin de se résumer à une innovation technique, le développement des CD-Rom et, plus généralement, celui de l'« Information Technology » ont des conséquences majeures sur le comportement des usagers comme des professionnels.

End-users

« The late 80s might well be viewed as the age of technology based access to information by the end-user », souligne l'un des auteurs : de fait, le rôle du bibliothécaire ou du documentaliste comme la nature des demandes des usagers subissent des mutations profondes, que tous les auteurs voient comme durables.

Ainsi, le développement de centres de documentation spécialisés dans le secteur commercial ou industriel, symptomatique des « golden eighties », voit les professionnels du secteur s'approprier les outils (banques de données) comme les méthodes aux dépens des professionnels de l'information, l'« information management » leur permettant de se passer d'intermédiaires, gagnant en temps et en coût, sinon en efficacité...

Paradoxalement, de telles évolutions semblent décevantes dans le domaine de la formation, même si la collaboration entre bibliothécaires et éducateurs autour du concept d'« information skills » permet de développer la formation à la recherche et à l'utilisation d'informations, notamment dans le secteur universitaire.

A cet égard, il n'est donc pas étonnant que se multiplient les études et in consequo les articles sur les lectorats, les lecteurs et leurs stratégies de recherche, même si, comme le note avec humour l'un des auteurs, « there are elements of masochism involved in conducting user surveys » : la bibliographie de l'article consacré à ce sujet comporte près de 200 références !

Un outil d'orientation

Par-delà la description pointilliste ou générale des bibliothèques spécialisées anglo-saxonnes, British Librarianship and Information Work 1986-1990 pourra aussi être utilisé par les bibliothécaires français comme guide d'orientation des sources d'information anglo-saxonnes dans certains domaines, comme par exemple les thèses ou la littérature grise 10, puisque les outils décrits sont souvent les mêmes.

De même, le chapitre consacré aux brevets et dépôts de marque sapporte un nombre considérable d'informations sur les modalités de dépôt des brevets, les problèmes juridiques, les bases de données, la législation européenne sur la question, ainsi que les bibliothèques où ces documents sont accessibles : on signalera notamment l'existence du PIN (Patents Information Network), réseau de bibliothèques - publiques principalement - qui propose, sur un plan régional, la fourniture de brevets, notamment à la clientèle d'entreprise.

A cet égard, on constatera que les Anglais sont plus « euro-conscious » que certaines déclarations de leurs hommes politiques le laisseraient supposer : beaucoup d'auteurs détectent l'influence du SEM (Single European Market, Marché unique) sur les bibliothèques, déplorent que « there is no tradition in Europe of free distribution of official documents », tandis que, dans un chapitre entièrement consacré aux publications officielles, sont détaillés les efforts de rationalisation des centres de documentation spécialisés dans la diffusion des publications officielles de la Communauté européenne et des autres institutions, ainsi qu'un grand nombre d'initiatives et de produits sur le sujet, apparemment très utilisés les uns comme les autres.

Complété par un répertoire des sigles utilisés (malheureusement incomplet), et par un index très détaillé, British Librarianship and Information Work 1986-1990 propose finalement un bilan contrasté mais optimiste des bibliothèques anglo-saxonnes.

Entre les soucis parfois sévères d'une meilleure gestion des équipements et des personnes, la diminution des budgets d'acquisition ou l'augmentation du coût des publications - qui amène souvent les bibliothèques à diminuer leurs acquisitions de périodiques pour préserver leurs abonnements -, les bibliothèques anglo-saxonnes peuvent néanmoins se targuer d'accueillir 32 % de la population (chiffres 1990), pourcentage à rapprocher des 38 % d'acheteurs de livres en librairie.

De fait, l'importance sociale, politique, culturelle, éducative, des bibliothèques anglo-saxonnes transparaît constamment dans cet ouvrage de référence, dont on aimerait trouver un équivalent français 11.

  1. (retour)↑  Cf. Bulletin des bibliothèques de France, t. 38, 1993, n° 5, p. 110-112.
  2. (retour)↑  A titre indicatif, l'ouvrage comprend plus de 1 400 références bibliographiques !
  3. (retour)↑  On regrette un peu qu'un chapitre ne propose pas un résumé de ce qui a pu compter, hors du Royaume-Uni, dans le monde des bibliothèques.
  4. (retour)↑  A signaler qu'un chapitre entier est consacré aux ouvrages publiés et/ou édités par des bibliothèques.
  5. (retour)↑  Domaine qu'on peut pourtant considérer comme peu « porteur » pour les mécènes.
  6. (retour)↑  On notera à ce sujet, et pour une fois avec satisfaction, que, si les problèmes de retours trop rapides et de mises en place trop brèves des nouveautés sont communs à la Grande-Bretagne et à la France, les délais de livraison anglo-saxons sont estimés à deux ou trois semaines en moyenne, bien supérieurs à ceux pratiqués dans notre pays.
  7. (retour)↑  Dont on regrette qu'il ne fasse pas l'objet d'un résumé détaillé de ses principales dispositions, regret qui, d'ailleurs, vaut pour toutes les nouvelles lois ou règlements cités dans le cours de l'ouvrage, qui vaudraient à eux seuls un chapitre spécial.
  8. (retour)↑  Il convient de rappeler que, comme son nom l'indique, la British Library n'est pas la bibliothèque nationale de l'ensemble du Royaume-Uni, qui comporte aussi les bibliothèques nationales du Pays de Galles, d'Ecosse et d'Irlande.
  9. (retour)↑  Elle est si importante dans le domaine du catalogage et du partage de notices que les catalogueurs sont considérés par certains comme « an endangered species »...
  10. (retour)↑  Avec la description de SIGLE, System for Information on Grey Literature, projet européen associant notamment le BLDSC et l'INIST (Institut national pour l'information scientifique et technique).
  11. (retour)↑  Qui fasse périodiquement suite à la monumentale Histoire des bibliothèques françaises