Un espace pour le livre

guide à l'intention de tous ceux qui construisent, aménagent ou rénovent une bibliothèque

par Marie-Françoise Bisbrouck

Jacqueline Gascuel

Paris : Editions du Cercle de la Librairie, 1993. - 2e éd. - 420 p. ; 24 cm. - (Collection Bibliothèques ; ISSN 0184-0886)
ISBN 2-7654-0501-8 : 270 F.

C'est avec un grand plaisir que j'ai abordé la lecture de la 2e édition de l'ouvrage de Jacqueline Gascuel, plaisir qui s'est maintenu tout au long d'un texte sensiblement enrichi, tant dans son contenu que du point de vue de sa présentation par rapport à l'édition précédente.

L'ouvrage est, comme le précise l'auteur, un « guide pratique » à l'intention de ceux qui construisent, aménagent ou rénovent une bibliothèque; c'est aussi un instrument de réflexion sur l'organisation des bibliothèques du point de vue du bien-être du public et de la satisfaction de ses besoins d'une part, des impératifs d'organisation et de gestion qui incombent au personnel sous l'angle de la diffusion comme de la conservation des collections documentaires sur supports multiples d'autre part.

Un espace pour le livre et les lecteurs

C'est de ce fait d'abord un excellent manuel de bibliothéconomie, fortement fondé sur l'expérience des attitudes de lecture - ou de non-lecture - des adultes, des adolescents et des enfants, et, plus généralement, de leur mode de fréquentation d'une bibliothèque selon la diversité des activités qui y sont pratiquées, et de leur mode d'appréhension des espaces que l'on met à leur disposition.

L'ouvrage est organisé en une douzaine de chapitres, dont la première moitié entrelace savamment descriptions et analyses des besoins du public et du personnel en termes de documents comme en termes d'ambiances et d'espaces (chapitres I, II, III et VI surtout) et conseils pratiques pour aménager ces espaces, notamment par « une mise en scène des documents » (chapitres III, IV et V).

Le propos est précis, concret, tout en étant souvent nuancé 1, tant il est vrai qu'il n'y a pas une organisation unique, mais des systèmes d'organisation, un public, mais des publics, un espace unique « modèle », mais des architectures plus ou moins sensibles et fines.

Après la « visite détaillée » des différents espaces constitutifs d'un bâtiment de bibliothèque, le chapitre VII invite à rassembler « les pièces de la mosaïque », ce qui doit permettre de constituer un tableau cohérent, c'est-à-dire « un espace pour le livre et les lecteurs » (p. 219). Sont abordés alors les organigrammes de fonctionnement, les liaisons fonctionnelles indispensables, tant du point de vue du public que de celui du personnel, les questions relatives au nombre de niveaux et à leurs proportions, les abords, etc.

Une bibliothèque compacte, flexible, accessible...

Le chapitre VIII consacré à l'action culturelle, éducative et sociale est devenu un chapitre à part entière. Il met l'accent sur l'indispensable projet culturel qui doit sous-tendre toute opération de construction ou de rénovation d'une bibliothèque, en lien étroit avec la collectivité maître d'ouvrage. Il aborde, de ce fait, les différents espaces d'animation que peut - ou doit - comprendre une bibliothèque : salle polyvalente ou salle de conférences, auditorium, salle d'heure du conte, lieu d'exposition, artothèque, ainsi que les espaces plus spécifiquement liés à l'action socio-éducative (salles de travail de groupe, ludothèque, centre de documentation sociale, etc.).

Le chapitre IX, très enrichi, reprend les notions de réseaux de bibliothèques dans une commune ou un département, bibliothèques départementales et bibliothèques-relais, fruits de la politique de décentralisation des années 80. Compte tenu de l'importance de ces notions, on peut juste se demander si la place de ce chapitre est vraiment judicieuse et s'il n'aurait pas gagné à se trouver au début de l'ouvrage. Le chapitre X aborde la question si délicate du réemploi d'un bâtiment existant et oriente - autant que faire se peut - vers les bâtiments les plus faciles à reconvertir comme les bâtiments industriels dont il existe de bons exemples, par rapport aux églises, couvents et autres bains-douches, casemes ou commissariats de police dont nos bibliothèques publiques ont été si souvent gratifiées !

« Construire le programme » est volontairement abordé par l'auteur à la fin de l'ouvrage (chapitre XI), car, dit-elle, en introduction « nous ne souhaitons pas mettre au premier plan la démarche de programmation, mais étudier auparavant le contenu, sans hésiter à rappeler certaines vérités premières de la bibliothéconomie... » On peut ici ne pas être tout à fait d'accord avec l'auteur, surtout quand elle parle d'un « effet de mode récente » concernant la démarche de programmation ! Nul ouvrage n'est exempt d'un tout petit défaut !

Le dernier chapitre (XII) - nouveau - est consacré à la forme des bâtiments de bibliothèques et à une reprise des « Dix commandements » de l'architecte britannique Harry Faulkner Brown, pour lequel une bibliothèque doit être compacte, flexible, accessible, extensible, variée, organisée, etc. (p. 341), tous critères qui devraient bien, enfin, être retenus par les maîtres d'ouvrages et les maîtres d'œuvre français, depuis le temps qu'on le leur dit 2 !. Des plans de bibliothèques tant françaises (Corbeil, Antony, Villeurbanne, Aix-en-Provence, Chambéry, Jean-Pierre Melville/Paris 13e arrondissement et La Joie par les livres à Clamart) qu'étrangères (bibliothèques d'Exeter, de l'architecte Louis Kahn, et du Mount Angel Benedictine College (Orégon) viennent soutenir le propos.

Programmes indicatifs

Les annexes reprennent quelques-uns des programmes indicatifs de surfaces conseillés par la Direction du livre et de la lecture en 1984 - en réalité sur la base de documents élaborés en 1975 et révisés partiellement en 1982 - en établissant une comparaison avec ce qui est maintenant conseillé par la même Direction depuis le décret du 12 mars 1986 sur la décentralisation, puis en 1993 pour les annexes, abaissant de 300 à 100 m2 (!) pour une population groupée de 8 000 habitants, la surface minimale 3. Font également partie des annexes le vocabulaire des termes et sigles courants utilisés dans les domaines de l'architecture, de l'urbanisme et des bibliothèques (très précieux), une bibliographie plus importante que dans l'édition antérieure, ainsi qu'un index (également précieux dans un document de cette nature) et une table des matières détaillés.

La présentation de l'ouvrage est soignée et les nombreuses illustrations, graphiques, plans et références tant dans le domaine des études sociologiques, que des statistiques, que des écrits importants sur l'architecture et l'urbanisme en général, et appliqué aux bibliothèques en particulier, en font un instrument de travail très appréciable, qui éclairera - on le souhaite vivement - les différents partenaires d'une opération de construction ou de rénovation d'une bibliothèque sur les erreurs à ne pas (à ne plus) commettre 4 !.

L'expérience de Jacqueline Gascuel et son analyse fine de l'évolution des bâtiments de bibliothèques depuis une vingtaine d'années sont à nouveau mises à notre service. Souhaitons qu'un jour, pas trop lointain, l'indispensable travail d'évaluation des nombreux bâtiments de bibliothèques réalisés durant cette période soit enfin entrepris et vienne renforcer sa propre recherche. Il en sortirait des connaissances accrues de la manière dont publics et personnels s'approprient ces nouveaux espaces, de leur prix de revient, des coûts de fonctionnement induits par les choix architecturaux... et bibliothéconomiques : cela nous permettrait de faire évoluer nos bibliothèques, car « la médiathèque est perpétuellement à réinventer » (p. 13).

  1. (retour)↑  Par exemple : « Nous nous contenterons d'affirmer que le respect de la liberté des lecteurs, la reconnaissance de la légitimité de leurs attitudes spontanées supposent une tès grande variété de nature et d'implantation des éléments meublants des différents secteurs de la bibliothèque » (p.46).
  2. (retour)↑  Dans ce grand débat sur la forme des bâtiments de bibliothèques, sur leur visibilité et leur flexibilité, Jacqueline Gascuel souligne à juste titre « l'antinomie qui existe entre vouloir faire de la médiathèque un signal et la souhaiter extensible pour s'adapter à la croissance des collections » (p.343). C'est en effet tout le problème !
  3. (retour)↑  Encore deux ou trois ans et il restera des timbres-poste de 20m2 pour lesquels les communes n'ont jamais eu besoin des encouragements de l'administration des bibliothèques ! Elles savent très bien faire des bêtises par elles-mêmes !
  4. (retour)↑  « Il est hélas ! impossible de construire l'édifice qui demain s'imposera... mais il est sûrement souhaitable d'éviter que la construction actuelle vieillisse mal et qu'elle fige des pratiques dès maintenant aperçues comme sujettes à mutation » (p. 344).