Les moniteurs étudiants
aide au catalogage
Marie-Catherine Cadet
Que de changements depuis le temps où chaque bibliothécaire annotait dans son coin un rouillon de notice, tapé par une secrétaire, relu et corrigé, dupliqué enfin. Le temps où chaque conservateur forgeait, en lui donnant l'empreinte de sa personnalité, son thésaurus de vedettes matières, alchimie secrète d'où sortait, enfin, LE catalogue de LA bibliothèque. Et il n'est pas si lointain, ce temps-là : quelques années à peine.
Un travail plus rationnel
Une étape capitale a été l'introduction de l'informatique. Le catalogage en réseau Sibil, OCLC, BN Opale, etc., a incité à un alignement général des bibliothèques sur des formes d'autorité précises : les vedettes auteurs et les vedettes matières sont les mêmes d'un établissement à l'autre, élaborées par un seul cerveau central, national et même international. La conception isolée des catalogues a cédé la place à une conception « partagée ». L'organisation globale du travail est plus rationnelle.
Les conservateurs, autrefois occupés par leur réflexion sémantique, sont devenus des « coordinateurs » et, rassurés par les barrières normatives de ce nouveau catalogage, ont progressivement délégué à leurs bibliothécaires la totalité de l'exécution.
Un deuxième transfert des tâches, plus modeste mais non négligeable, se dessine actuellement. Il est lié, dira-t-on, à un concours de circonstances. La politique de redressement des bibliothèques, menée à terme par un doublement des crédits à la documentation, a pour conséquence un engorgement de certains services de catalogage, engorgement contre lequel les directeurs doivent prendre des mesures d'urgence. Une circulaire ministérielle *, préconisant l'emploi de moniteurs-étudiants au catalogage, leur ouvre certaines perspectives.
A Toulon, c'est l'augmentation massive du volume de livres à traiter qui a incité à tenter une expérience : appelée à gérer, outre les crédits ministériels, le legs Béguet, rente conséquente versée à l'université pour la création d'une bibliothèque juridique et économique, la bibliothèque négocie, en 1992, l'attribution de 10 heures de moniteur-étudiant par semaine, payées par le legs.
Un apprentissage progressif
La bibliothèque emploie ces moniteurs aux acquisitions et au catalogage.
Ils sont formés par le bibliothécaire, qui évalue les tâches pouvant leur être déléguées sans risque pour le service :
- recherche des notices sur les Compact Discs et dans la base (limitée à l'ISBN) ;
- « prévalidations » ou « précréations » : remplissage partiel de la trame OCLC pour les champs à données facilement identifiables à partir du document (comme le nombre de pages et de centimètres), ou contrôlées par le système (comme le n° ISBN) ;
- tenue des statistiques de créations-dérivations et doubles.
Bien sûr, la pratique du système informatique nécessite un apprentissage progressif. Pour un moniteur qui ne vient travailler que quelques heures par semaine, il faut compter deux mois avant de pouvoir obtenir un travail sans pilotage : inutile d'engager l'opération si le moniteur ne reste que trois mois. A Toulon, le poste de travail est occupé par deux personnes. Au terme de sa formation, le moniteur-étudiant vient sur les plages d'utilisation laissées vacantes par l'équipe de bibliothécaires, ce qui permet une plus large utilisation du poste.
Le moniteur n'exécute pas seulement les tâches à caractère répétitif. Le bibliothécaire fait ponctuellement appel à lui pour des précisions terminologiques, se servant ainsi des connaissances de l'étudiant qui, au niveau licence ou maîtrise, recadre précisément les concepts spécifiques à son domaine. Il conforte ainsi le bibliothécaire qui, au départ et par définition, n'est pas spécialiste d'un domaine.
Une étroite collaboration
Cette symbiose du savoir-faire du bibliothécaire et des connaissances de l'étudiant est bénéfique pour le service. Le bibliothécaire, partiellement dégagé du travail de base, dispose alors du temps nécessaire à la réflexion qu'il doit mener sur la cotation et l'indexation. Il garde, par la validation finale, le contrôle entier de son travail.
Du point de vue du gestionnaire, le rapport 6h bibliothécaire pour 1h moniteur semble optimal. Il permet d'accroître le nombre de notices traitées - de 15 à 20 % environ -, ainsi que la qualité du service. Le bibliothécaire doit cependant adhérer au projet pour travailler en étroite collaboration avec le moniteur. A Toulon, cette entente est cimentée par l'intérêt commun qu'ils portent à la discipline traitée.
Un dernier aspect non négligeable de la participation de l'étudiant est l'implication directe des « clients » que sont les lecteurs dans l'« entreprise » qu'est la bibliothèque : une équation à l'ordre du jour quand on parle de l'efficacité du service public. Le moniteur-étudiant permet de connaître les problèmes ou les satisfactions qu'éprouve une catégorie d'usagers de la bibliothèque. Dans le cadre du legs Béguet, les deux moniteurs choisis sont présentés par le directeur de l'UFR (Unité de formation et de recherche) aux autres étudiants en amphithéâtre, afin que ceux-ci puissent soumettre leurs observations. Sur le plan humain, le moniteur apporte la fraîcheur et le dynamisme de sa jeunesse. Cela peut représenter, dans certains services, un ballon d'oxygène. Il faut au demeurant surmonter la crainte de travailler dans une totale transparence vis-à-vis des UFR, de perdre une certaine autonomie décisionnelle aux acquisitions, de faire état des faiblesses que présente inévitablement la bibliothèque, à l'instar de toute organisation.
En conclusion, notre expérience nous amène à dire que l'emploi de moniteurs-étudiants au catalogage est positif. Ce travail en tandem, s'il est voulu et non imposé au bibliothécaire, augmente l'efficacité du service tout en rendant la tâche plus attrayante. Enfin, l'implication directe d'un usager de la bibliothèque dans son organisation est une petite pierre, mais une pierre précieuse, dans l'édifice des relations entre la bibliothèque et son université. Elle contribue à l'image de marque de celle-ci.