Les horaires d'ouverture des bibliothèques municipales
Jacques Vidal-Naquet
Les horaires d'ouverture des bibliothèques municipales favorisent-ils la réalisation de leurs missions fondamentales ? L'étude de l'évolution des horaires des centrales des bibliothèques municipales de 1980 à 1991 est suivie d'une réflexion sur la notion d'ouverture. Quels choix de fonctionnement sont faits par les responsables de bibliothèque (ouverture du dimanche, nocturne, horaire unique, etc.) pour quel type de bibliothèque et pour quelle offre ?
Do the opening hours of public libraries give some help to their main aim ? In this paper, the study of evolution of opening hours of head public libraries, between 1980 and 1991, is followed by the consideration of the real notion of opening hours. What kind of choices are made by the heads of the libraries (opening on sunday, opening at night, single opening and closing schedules, etc.), for what kind of libraries and for what kind of supply ?
Werden die Stadtbibliotheken zur Erfüllung ihrer Grundaufträge durch ihre Öffnungszeit gefördert ? Bei Untersuchung der zwischen 1980 und 1991 von den zentralen Stadtbibliotheken geleisteten Öffnungszeit überlegt der Verfasser den Begriff der Öffnung. Was für Arbeitsweise wird von den Bibliothekbehörden gewählt (Sonntag- und Abendöffnung, einartige Zeit usw.), was die verschiedenen Bibliothektypen und deren Fähigkeiten betrifft ?
Les bibliothèques qui dépendent des collectivités publiques sont ouvertes à tous. Aucun citoyen ne doit en être exclu du fait de sa situation personnelle. En conséquence, elles doivent rendre leurs collections accessibles par tous les moyens appropriés, notamment par des locaux d'accès facile, des horaires d'ouverture adaptés aux besoins du public, des équipements de desserte de proximité et le recours aux techniques de communication à distance. Charte des bibliothèques (article 4) adoptée par le Conseil supérieur des bibliothèques, dans sa séance du 7 novembre 1991
Le paysage des bibliothèques françaises a considérablement évolué au cours des dix dernières années. Rappelons avec Anne-Marie Bertrand 1 quelques données essentielles pour mesurer l'ampleur de cette mutation : si l'on en croit les statistiques de la Direction du livre et de la lecture (DLL), le nombre des bibliothèques municipales s'accroît, de 1980 à 1989, de 70 % ; de 1977 à 1989, la dépense de fonctionnement exprimée en francs par habitant desservi passe de 40,11 F à 84,37 F ; 27 000 m2 mis en service chaque année de 1977 à 1980, 70 000 m2 entre 1989 et 1991. Ainsi, depuis 15 ans, les villes accordent une importance de plus en plus grande au renouveau et à l'extension de leurs bibliothèques qui ouvrent des services de plus en plus diversifiés. La bibliothèque, un des établissements culturels les plus répandus, est souvent le fleuron des politiques culturelles.
Pourtant la question de l'accès à ces collections a été largement sous-estimée si l'on en croit Louis Yvert 2, qui souligne que, malgré d'importants progrès en matière d'effectifs et l'accroissement de la fréquentation, la moyenne des horaires d'ouverture n'a pas augmenté de 1980 à 1987.
La question des horaires d'ouverture des bibliothèques municipales est présente tant dans le discours des pouvoirs publics que dans celui des professionnels. Déjà évoquée dans le rapport Vandevoorde en 1979 3, puis à plusieurs reprises par Jean Gattégno, elle se pose aujourd'hui de manière de plus en plus insistante, et le rapport annuel du Conseil supérieur des bibliothèques s'en inquiète à plusieurs reprises 4. La presse professionnelle évoque cette question régulièrement, notamment à l'occasion de l'ouverture de nouveaux équipements. Insistance toute naturelle pour une question non sans rapport avec les missions fondamentales des bibliothèques en général et avec le développement de la lecture en particulier.
Cest pourquoi il était intéressant d'étudier les différents aspects de cette problématique : approche statistique, bien entendu, mais aussi tentative d'aller au-delà des chiffres et de cerner ce que recouvrait la notion d'ouverture. Une première partie de cette étude a porté sur les évolutions en cours, perceptibles à travers les données statistiques recueillies par la DLL et nous en présenterons les principaux résultats. Une deuxième partie était plus particulièrement consacrée à la perception des horaires d'ouverture par les responsables de bibliothèques : principes ayant présidé à leur élaboration, rapport entre horaires choisis et modèle de bibliothèque, perspectives d'évolution (rôle des nouvelles technologies...), enfin modalités d'ouverture.
En prenant comme hypothèse de départ que les horaires d'ouverture sont un des critères essentiels pour évaluer l'activité des équipements 5, analysons quelques évolutions sensibles depuis 1980.
Quelques données méthodologiques
Avant d'aller plus loin, il est nécessaire de rappeler quatre limites qui ont été données à cette étude :
- seules les centrales des bibliothèques sont prises en compte dans cette étude, non que le cas des annexes de quartier nous paraisse négligeable, mais par manque de données sur cette question dans la base de données de la DLL ;
- le cas de Paris qui ne possède pas de centrale n'est donc pas évoqué ;
- la période étudiée va de 1980 à 1991, période qui a vu un essor considérable des bibliothèques publiques et le développement de la décentralisation dont, notamment, la mise en place de la procédure du concours particulier des bibliothèques ;
- enfin, la question de l'accueil des classes et des publics spécifiques, dont on ne peut douter qu'il s'agisse d'une forme d'ouverture, n'a pas été traitée. Ce type d'accueil concerne en particulier les sections jeunesse.
Sources ufilisées
Les données chiffrées que nous citons proviennent de la base de données et des statistiques publiées de la DLL. Les chiffres cités, pour 1991, ne sont pas définitifs mais traduisent des tendances certaines. Ne sont commentés dans cet article que ceux qui concernent les heures d'ouverture hebdomadaires qui donnent les informations essentielles. D'autres aspects, heures d'ouvertures annuelles, jours d'ouverture hebdomadaires et annuels, sont abordés dans le mémoire ayant servi de base à cet article 6.
Le tableau 1 récapitule l'ensemble des résultats de 1980 à 1991 présentés par tranches démographiques, afin de pouvoir comparer des bibliothèques comparables par la population desservie. Précisons que nous avons ajouté aux tranches démographiques habituelles de la DLL une tranche spécifique pour les villes de moins de 2 000 habitants soit 88 % des communes. Cet éparpillement des communes, spécificité française, n'est évidemment pas sans conséquences sur le fonctionnement des bibliothèques. Le tableau 2 présente la répartition par tranches horaires d'ouverture des bibliothèques, de 1987 à 1991. Pour éviter une inflation de chiffres, nous ne présentons pas ici les tableaux complets année par année auxquels on pourra se reporter dans l'étude initiale.
Principaux enseignements
Depuis 1980, et malgré l'essor considérable des bibliothèques publiques en France, la moyenne horaire hebdomadaire d'ouverture ne cesse de décroître, passant de 22h03 à 16h43. Résultats, certes, alarmants, mais qu'il faut nuancer. Si l'on excepte les villes de moins de 10 000 habitants, la moyenne nationale reste constante, soit 26h46 en 1980 et 26h43 en 1991.
Deux facteurs peuvent donner une première explication à cette baisse de la moyenne nationale : la baisse particulièrement sensible de la moyenne horaire des villes de plus de 20 000 habitants, déjà signalée par Louis Yvert, d'une part, la proportion prépondérante des bibliothèques des villes de moins de 5 000 habitants dans l'échantillon d'autre part. En 1980, ces dernières ne représentaient que 12 % de l'échantillon ; en 1991, près de 48 % des bibliothèques recensées se trouvent dans une commune de moins de 5 000 habitants. C'est déjà en soi une petite révolution. Claudine Belayche et Hugues Vanbesien signalent, dans une note interne de la DLL, que la multiplication des constructions et la diffusion de la bibliothèque municipale dans les petites communes sont les traits marquants de ces dernières années. Ils estiment enfin que l'ouverture de l'aide de l'Etat à ces communes qui y avaient peu accès jusqu'ici a joué très favorablement. Par ailleurs, si le nombre des bibliothèques dans les petites communes a effectivement augmenté, il faut signaler l'effort de recensement des bibliothèques municipales mené par la DLL avec l'aide des bibliothèques départementales de prêt.
On ne doit pas se hasarder à une interprétation trop hâtive de l'évolution de la moyenne nationale et en tirer des conclusions générales et négatives sur le fonctionnement des bibliothèques publiques. Seule une approche par tranches démographiques permet de tirer les premières conclusions.
Avant d'aller plus loin dans l'analyse, il est nécessaire de voir comment se répartissent les bibliothèques par tranches horaires.
En 1991, seulement 13,45 % des bibliothèques ouvrent leurs portes 30 heures et plus, contre plus de 20 % en 1987. A l'autre extrême du tableau, plus de 60 % des bibliothèques sont ouvertes moins de 20 heures. Si, et nous le verrons par la suite, on ne peut se contenter de juger une situation uniquement sur des critères quantitatifs, on peut cependant s'interroger sur la faiblesse de l'amplitude horaire dans plus de 80 % des bibliothèques françaises et sur la dégradation de cette situation au fur et à mesure des années. Peut-on pour autant fixer un seuil au-delà duquel une bibliothèque ne remplit plus ses missions ? Prenons garde d'énoncer une réponse trop catégorique qui condamnerait définitivement l'existence de petites bibliothèques, dont l'ouverture, aussi réduite qu'elle soit, répond néanmoins à une attente.
Une analyse plus poussée peut être tentée par une approche de l'évolution des moyennes horaires par tranches démographiques. Comme il a déjà été signalé dans le rapport Vandevoorde, la moyenne horaire hebdomadaire suit une courbe ascendante selon la taille des communes, règle qui souffre évidemment des exceptions notables. Il est à craindre que le volume des fonds ne suive la même courbe ascendante. Un citoyen d'une petite ville aurait-il moins de besoins que celui d'une grande ville ?
Soulignons enfin que la courbe des dépenses prises en compte pour le calcul du concours particulier 1re part suit le même trajet que la courbe des horaires. En 1990, les villes de 2 000 à 5 000 habitants dépensaient 29,38 F par habitant pour leur bibliothèque, tandis que les villes de 100 000 à 300 000 habitants en dépensaient 66,99 F. Des exceptions : Marseille, 32,73 F/h ; Salaise-sur-Sanne en Isère (3 546 hab), 185,81 F. Il est proportionnellement beaucoup plus difficile à une petite commune de créer une bibliothèque, certains coûts étant incompressibles.
Les villes de 100 000 habitants et plus
Ce sont là des villes qui connaissent au mieux une situation stable, et souvent une baisse. Signalons le cas de la bibliothèque municipale de Bordeaux dont l'ouverture dans de nouveaux locaux s'est assortie d'une réduction d'un tiers des heures d'ouverture, passant de 45h à 30h 7. A l'opposé, signalons le cas de la bibliothèque municipale de Toulouse qui, si elle ouvre bien 69 heures hebdomadaires, n'ouvre en fait que sa section étude - il n'y a pas de lecture publique à la centrale - et ce, pendant une période limitée de l'année. Double exemple qui relativise l'exploitation qui peut être faite des données recueillies. Comme le dit l'adage bien connu : « Il y a la vérité, il y a le mensonge, il y a les statistiques ».
Les villes de 20 000 à 100 000 habitants
Ce groupe de villes subit une forte baisse de sa moyenne horaire. Faut-il y voir le reflet d'une crise financière qui toucherait particulièrement les villes moyennes ? « Il est clair, lit-on dans le rapport annuel du Conseil supérieur des bibliothèques, que les budgets de fonctionnement des villes s'essoufflent, surtout lorsqu'ils courent après des équipements ambitieux ». Signalons le cas de la ville d'Arles qui a connu en 1991 une forte baisse de son budget d'acquisitions, puis la suppression de l'ouverture le dimanche en 1992, suite aux difficultés financières de la ville. D'autres villes connaissent des situations comparables quant à leur budget d'acquisition : Bordeaux, Nancy, Roanne, etc. Ces réductions budgétaires qui touchent, dans un premier temps, les collections riquent à terme de réduire l'amplitude horaire des bibliothèques comme l'exemple d'Arles semble le laisser présager.
Les villes de 5 000 à 20 000 habitants
Seul ce groupe de villes voit sa moyenne horaire augmenter régulièrement de 1980 à 1990 puis amorcer une légère baisse en 1991.
Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette évolution. Signalons tout d'abord que les villes de plus de 10 000 habitants consacrent une part importante de leur budget culturel 8 aux bibliothèques : 16,2 %. Chiffre qui souligne bien le rôle déterminant des collectivités locales. Depuis 1986, le concours particulier « bibliothèque municipale » de la dotation générale de décentralisation est utilisé principalement par les communes petites et moyennes : 75 % des nouveaux bâtiments, soit un tiers des m2 mis en service, sont construits dans les communes de moins de 10 000 habitants. Le concours particulier, en favorisant l'ouverture de bibliothèques répondant à des normes satisfaisantes, semble aussi avoir une influence sur leur fonctionnement ultérieur.
L'action des bibliothèques départementales de prêt qui ont « le souci de créer un véritable réseau départemental avec une cohérence interne » 9 semble avoir une incidence positive sur leur fonctionnement. La loi du 13 juillet 1992 devrait accentuer le phénomène signalé 10. Cette loi crée un concours particulier des bibliothèques au sein de la dotation générale de décentralisation des départements et prendra en compte l'ensemble des investissements départementaux pour la lecture publique, que ce soit au profit de la bibliothèque départementale de prêt ou au profit des bibliothèques des communes, renforçant ainsi le rôle moteur des départements. Une sérieuse ombre reste au tableau : l'absence de bibliothèques dans 68 villes de plus de 10 000 habitants 11.
Les villes de moins de 5 000 habitants
Cest évidemment pour ces villes que la situation est la plus préoccupante. Si le nombre de ces bibliothèques est en constante augmentation depuis 1980, leurs horaires d'ouverture sont loin d'atteindre un seuil acceptable et notamment dans le cas des bibliothèques des villes de moins de 2 000 habitants. L'objectif fixé par Bertrand Calenge 12, 12h pour les villes de 3 000 habitants et 20h pour les villes de 5 000 habitants relève encore, pour un grand nombre de ces bibliothèques, du vœu pieux. C'est naturellement pour ces bibliothèques que des solutions doivent être trouvées ; l'une d'elle pourrait être, comme le souligne Bertrand Calenge, l'intercommunalité, seul moyen de pallier l'éparpillement des communes françaises.
Autres indicateurs
Pour clore cette approche statistique des horaires d'ouverture des bibliothèques, il est nécessaire de confronter l'indicateur heure d'ouverture aux autres indicateurs traditionnels utilisés dans les bibliothèques. Les données que nous possédons montrent toutes une hausse sensible de l'effort des villes dans des domaines tels que l'accroissement des surfaces (13 % d'augmentation de la surface pour 100 000 habitants), l'augmentation des effectifs (+ 11 % pour le personnel de catégorie A et B depuis 1987), ainsi que celle du nombre de prêts par habitant. Cependant, les données 1990 de la DLL laissent apparaître la baisse du nombre total de prêts en 1990 par rapport à 1989. C'est peut-être aussi là, un premier effet de la baisse des horaires d'ouverture déjà signalée.
Effort sur les services offerts qui devrait donc être accompagné d'un effort sur la durée de service. Cela passe-t-il nécessairement par une augmentation continue des effectifs ? On peut en douter quand on sait que les charges de personnel représentent déjà environ 81 % des dépenses de fonctionnement prises en compte pour le calcul du concours particulier 1re part.
D'autres solutions, d'autres modes de gestion doivent être trouvés. Un exemple est parlant à cet égard : si la bibliothèque de Nantes (9 600 m2) ne nécessite que 14 personnes au minimum pour ouvrir ses portes, il en faut 30 à Aix-en-Provence (7 605 m2). A propos de la bibliothèque municipale de Bordeaux, dont le cas est souvent cité dans les revues professionnelles, doit-on croire Chantal Bourrague, adjointe au maire, quand elle affirme qu'une ouverture toute la journée exigerait la présence de 50 personnes supplémentaires 13 ! Le rapport annuel du Conseil supérieur des bibliothèques rappelle que « le secret de l'ouverture tardive des bibliothèques américaines ou de la BPI n'est pas ailleurs que dans la rationalisation de leur gestion et de leur architecture. A la BPI, une trentaine d'agents suffit le dimanche pour accueillir pendant 12h de suite plus de 10 000 lecteurs » 14.
Des services nouveaux
Ce tour d'horizon de la situation soulève bien des interrogations, cependant cette approche statistique de la question ne peut suffire - on en voit vite les limites -, car elle ne prend pas en compte la notion de services offerts. Ouvrir plus, mais pour quels services ?
Dans les nouveaux bâtiments, des horaires réduits - on l'a vu pour Bordeaux mais aussi pour Arles -, mais un ensemble de services nouveaux offerts à la population constituent un contexte nouveau qui interdit toute comparaison avec la situation précédente. C'est pourquoi nous nous sommes attardés sur le contenu de cette ouverture, sur ses modalités et sur ses perspectives d'avenir. Cette partie de l'étude a été menée à l'aide d'entretiens - trop peu pour établir une typologie des attitudes - menés auprès de responsables de bibliothèques, qui nous ont permis d'aller plus avant dans l'appréhension de la question.
Nous nous sommes interrogés sur la diversité des horaires rencontrés dans les bibliothèques, au moins autant que sur le nombre d'heures d'ouverture. A quelle attente spécifique correspond cette diversité des horaires qui, de l'horaire saisonnier à l'ouverture du dimanche, et en tenant compte de certaines contraintes, vise à satisfaire le public ?
Au moment de définir les horaires de sa bibliothèque, le directeur se doit de tenir compte des moyens qui lui sont alloués en personnel, de l'avis plus ou moins impératif des élus et d'une analyse de l'environnement, du contexte socio-économique régional, de l'offre culturelle locale. Enfin, l'architecture du bâtiment lui-même joue un rôle non négligeable. Peu ou prou, tous nos interlocuteurs ont évoqué ces différents aspects.
Le personnel, l'élu et le public
La question du personnel, des effectifs, est évidemment au centre des préoccupations des responsables. D'ordre quantitatif tout d'abord - sa limitation est l'obstacle toujours cité à une ouverture plus large -, mais aussi d'ordre qualitatif, car la formation du personnel est un des éléments fondamentaux de la qualité de l'accueil revendiquée plus ou moins fortement par les bibliothécaires. Le personnel est donc l'acteur essentiel, force, mais aussi faiblesse de l'établissement lorsqu'il ne correspond pas exactement au profil que l'on désire.
Autre acteur dont le rôle sera déterminant, l'élu. Pour ce dernier, la question des horaires peut être fondamentale car, comme le remarque Bernard Laffon, « C'est à travers l'amplitude horaire qu'on lira toute la politique municipale ». Dans cette optique, le critère quantitatif l'emporte souvent sur le critère qualitatif. Tout sera affaire de négociation entre l'élu - souvent amateur d'une ouverture qui se voit et dont on parle, telle une ouverture du dimanche - et le gestionnaire à la recherche de la meilleure adéquation entre les moyens qui lui sont affectés et ses objectifs. Deux discours qui ne coïncident pas toujours, tant la question de la bibliothèque et notamment celle des horaires - la bibliothèque de Nantes a été au centre d'une polémique sur ce sujet - peuvent se révéler un enjeu politique. De la qualité de ce dialogue dépendra en grande partie la qualité de l'accueil.
Un troisième acteur devrait intervenir, le public. Etonnamment, au-delà des considérations de principe - il doit être le plus large possible -, il est peu évoqué lors de la définition des horaires. Les méthodes du marketing permettant d'identifier les différents segments du public sont encore peu entrées dans les moeurs des bibliothèques, à quelques exceptions près. Incidemment pourtant, on justifie tel ou tel choix par la volonté de toucher tel ou tel public, mais le cas reste rare et ne dépasse pas généralement le domaine de l'intuition.
Face à ces acteurs, interviennent des éléments liés aux contextes local et régional. La bibliothèque est une institution qui s'inscrit dans un tissu socio-économique qui ne sera pas sans influence sur les choix à faire. Une analyse complète de l'environnement comprenant d'une part un volet socio-économique - « C'est, nous dit le responsable de la bibliothèque municipale de Roanne, par la nature même des missions obligatoires aujourd'hui pour Roanne, en situation de redéploiement économique, que se posera le problème des horaires d'ouverture de la future médiathèque » -, et, d'autre part, un volet culturel, pourra être menée. Pour ce dernier aspect, l'analyse du réseau dans lequel s'intègre la bibliothèque, et, éventuellement, l'insertion dans un complexe culturel sont des contraintes qui interviennent dans le choix des horaires.
Enfin, l'architecture joue un rôle non négligeable dans la définition des horaires, et l'oubli de cette donnée dans la programmation d'un équipement peut être très dommageable. De la possibilité ou non de centraliser l'accueil et le prêt, de la possibilité ou non de procéder à des ouvertures différenciées, de l'existence ou non d'une entrée unique dépendront l'organisation, la répartition des différents postes de travail et, par conséquent, l'amplitude des horaires d'ouverture. Là encore, les décisions prises sont porteuses de choix qui s'inscrivent dans l'architecture.
Le choix des horaires
La philosophie de la bibliothèque transparaît dans le choix des horaires. De la manière de répondre aux différentes contraintes évoquées précédemment va dépendre la définition d'un certain type de bibliothèque.
Les entretiens que nous avons menés nous permettent d'identifier trois grands types de bibliothèques.
Une conception traditionnelle de la bibliothèque se fonde sur la distinction des supports, chaque support correspondant à une section (discothèque, périodiques...). Dans ce cas, la solution des horaires différenciés sera souvent retenue, choix reposant essentiellement sur des raisons d'ordre technique.
Une volonté affichée de mettre tous les supports sur le même plan et de favoriser ainsi une « multipratique » sera affirmée par le choix d'un horaire unique pour tous les secteurs de la bibliothèque.
Enfin, une nouvelle conception fondée, elle, sur une analyse des pratiques des différents publics entraîne un choix d'horaires différenciés. Cette solution est retenue par la future bibliothèque de Roanne, liée au choix de la départementalisation, qui a pour corollaire la volonté de bien cibler les publics et donc de travailler avec des horaires adaptés pour chaque public cible.
Autre aspect sur lequel l'approche statistique ne nous donne aucune information, la répartition des horaires. Horaire unique, horaire différencié, mais aussi choix d'une nocturne, d'une ouverture du dimanche (double question très débattue) qui, au-delà du nombre, sont aussi des moyens de répondre à l'attente du public. Le nombre d'heures n'est donc pas la seule réponse possible ; tout est question de politique. Ainsi la bibliothèque de Corbeil-Essonnes a longtemps privilégié les actions extérieures sur une large amplitude horaire, afin de toucher des publics qui ne se rendaient pas à la bibliothèque.
L'argumentaire utilisé pour justifier des horaires d'ouverture restreints repose souvent sur la défense de la qualité de l'accueil. Il y aurait des bibliothèques libres services ouvertes un grand nombre d'heures et des bibliothèques privilégiant la qualité, ouvertes de manière plus restreinte et refusant tout recours à du personnel de type vacataire étudiant... Au-delà de cette affirmation sans doute un peu excessive, idée sacrilège pour certains, unique solution pour d'autres, on trouve la définition de niveaux de services selon les jours et les heures. Réponse peut-être à des horaires trop faibles.
En effet, pour ne prendre qu'un exemple, faut-il ouvrir le fonds local ou le fonds patrimonial autant que les autres secteurs de la bibliothèque ? Enfm, en termes de services rendus, une interrogation demeure. Qu'est-ce qu'ouvrir une discothèque, une section jeunesse, une bibliothèque enfin ? Le contenu de cette ouverture, les pratiques mises en œuvre par les lecteurs ne sont sans doute pas toujours les mêmes dans tous les cas de figure. Quels que soient les choix faits, ils doivent être clairement revendiqués et affirmés, afin que chacun sache quels services et de quelle qualité lui sont offerts.
Au-delà de ces interrogations, on peut se demander si les nouvelles technologies peuvent dégager de nouvelles perspectives et ainsi modifier l'appréhension de la notion d'ouverture. Un accès aux collections via une interrogation à distance, un distributeur de livres qui fonctionnera 24 heures sur 24, comme la bibliothèque d'Orléans en a le projet, ou encore l'automate de prêt de la bibliothèque de Roanne ne sont-ils pas des moyens de définir une nouvelle forme d'ouverture - complémentaire d'une ouverture traditionnelle - qui n'est pas toujours perceptible à travers les statistiques ? On le voit, derrière la notion d'ouverture, se cachent bien des aspects qui ne transparaissent pas dans les statistiques officielles et qui mériteraient d'être étudiés plus en profondeur. A quand une évaluation prenant en compte toutes ces approches ? A quand une étude sur les effets réels des horaires choisis, une étude affinée des usages en bibliothèque, prenant en compte les différents horaires choisis et les risques d'exclusion liés à ces choix ?
Septembre 1993