Éditorial

Peut-être un jour lira-t-on, dans une Histoire des bibliothèques françaises au XXIe siècle, que celles-ci, après avoir connu une brève période de développement à la fin du siècle précédent, étaient tout aussi vite retombées dans les oubliettes de l'Histoire.

Si un tel pessimisme de science-fiction n'est pas de mise, ni même véritablement à l'ordre du jour, un certain nombre de signes annonciateurs de la fin de l'ère de prospérité sont bien là, depuis plusieurs mois déjà. Les réductions budgétaires auxquelles sont contraintes certaines collectivités territoriales ont conduit des bibliothèques à réduire leurs horaires d'ouverture, d'autres (ou les mêmes) à restreindre leurs acquisitions ; certains projets de construction sont retardés, parfois annulés, etc. Dans une situation qui reste dans l'ensemble bonne, dans une période où le développement se maintient, ces contrecoups ne doivent pourtant pas être ignorés. Ils nous imposent de pérenniser plus fortement certaines offres, ils réaffirment l'impérieuse nécessité de la coopération, ils rendent plus aiguë la nécessité de penser et d'agir en réseau ; ils obligent à conjuguer beaucoup plus étroitement bibliothèques et gestion, bibliothèques et économie, sujet sur lequel se penchera une prochaine livraison de la revue.

Tous les sujets traités dans ce numéro, qu'ils portent sur les horaires d'ouverture des bibliothèques, sur les « raisons de l'absence » de certains jeunes, sur les services rendus (ou à rendre) à certaines communautés étrangères, sur les possibilités de la bibliothèque électronique en marche, sur les politiques d'acquisition d'une nouvelle Bibliothèque nationale, ou qu'ils s'essaient justement à bâtir une « économie de la conservation », s'ils sont thèmes nécessaires en toute période, prennent, dans le contexte qui vient d'être rappelé, une acuité nouvelle. La prospérité ne sera pas éternelle.

Le souci de l'éthique politique, la réflexion sur la place et le rôle d'une bibliothèque dans les déchirures communautaires nous viennent, eux, de Belfast. Là-bas, la bibliothèque veut donner la parole à tous, offrir les écrits de tous, malgré la violence, malgré des fractures pour l'instant inconciliables. Et il semble bien qu'elle y réussisse. Si ses moyens sont modestes, sa volonté est immense. Et si la seconde était aussi vitale que les premiers ?