Action culturelle et coopération intercommunale
Paris : La Documentation française, 1992. - 136 p. ; 24 cm. - (Collection du Département des études et de la prospective du ministère de l'Education nationale et de la Culture)
ISBN 2-11-002844-00 : 110 F.
« Si l'engouement pour la coopération culturelle des collectivités locales se mesurait à la fortune du terme de partenariat dans la bouche des élus, des fonctionnaires et des experts chargés du secteur, il y aurait vraiment lieu de se féliciter » (Emmanuel Wallon). Or, on ne se félicite pas vraiment. Car si personne ne remet en cause la légitimité d'une gestion intercommunale pour les ordures ménagères ou les transports en commun, il paraît plus douloureux de franchir les frontières administratives quand il s'agit d'équipements ou de projets culturels.
Une sorte de malédiction
La question devient cependant de plus en plus d'actualité, et c'est pour établir un état des lieux et des réflexions dans ce domaine que l'Observatoire des politiques culturelles avait décidé d'organiser, en décembre 1991, un Séminaire sur l'action culturelle et la coopération intercommunale. Réunissant des élus locaux, des professionnels, des chercheurs, il s'agissait d'apporter des éléments de réflexion et des hypothèses de travail, à partir d'expériences variées, tant en milieu rural qu'en milieu urbain.
Devant le désajustement flagrant qui existe entre les niveaux de territorialité et les logiques d'intervention des politiques culturelles, la tentation est grande d'ignorer les frontières communales ou cantonales pour fédérer les bonnes volontés au service de l'intérêt communautaire, en prenant en compte une dimension nouvelle : « le bassin culturel » ou « bassin de vie ». Cela a donné lieu à des tentatives dignes d'intérêt mais, pour la plupart, inabouties. On est frappé par cette sorte de malédiction qui pèse sur les projets culturels intercommunaux, par la distorsion entre les motivations légitimes qui leur donnent naissance et les non moins évidentes causes de leur échec.
Comment ne pas être séduit par les objectifs de « Culture commune », instance de proposition, outil de développement culturel au service d'une vingtaine de communes du Bassin minier du Pas-de-Calais ? Connaissant le coût des équipements culturels, leur rayonnement rarement limité à la commune d'implantation, il paraît logique de vouloir confier leur gestion à un organisme intercommunal. C'est aussi ce qu'essaie de mettre en place, depuis vingt ans, le district de Saint-Omer, l'un des rares districts en France à s'être doté de compétences culturelles et qui voudrait gérer un réseau de bibliothèques, à l'échelon de l'agglomération.
Jouer la complémentarité
Mais les élus locaux ont parfaitement assimilé le rôle stratégique de la culture pour asseoir l'identité d'une collectivité. Et ils revendiquent la gestion de leurs équipements, quel qu'en soit le coût, afin que ne leur échappe pas leur orientation culturelle ni l'image de marque qui s'y rattache. L'Etat a mis en place le processus de décentralisation tout en encourageant un développement sans précédent des investissements culturels, sans remettre en cause la pertinence des niveaux de territorialité, sans l'accompagner d'un indispensable aménagement du territoire.
La nouvelle loi sur l'Administration territoriale de la République prévoit des compétences culturelles facultatives pour les communautés de villes ou de communes. On peut espérer que cette possibilité, assortie d'un aspect non contraignant, ouvrira des perspectives à ceux qui souhaitent exploiter le consensus indiscutable qui réunit tous les partenaires sur l'intérêt de donner à la culture une dimension intercommunale.
L'essentiel de l'ouvrage est consacré à la description d'expériences avortées. Si les causes d'échecs apparaissent assez bien (esprit de clocher, manque de concertation préalable), on a du mal à se contenter d'explications irrationnelles. On imagine bien qu'il soit nécessaire de faire preuve de volontarisme, que des partenaires qui ont des affinités réussissent mieux à mettre en place des projets communs que des adversaires politiques. Mais il aurait peut-être été intéressant d'apporter plus d'éléments positifs concrets, d'analyser les quelques réussites - il y en a -, pour en dégager les structures porteuses et, peut-être, tenter d'imaginer d'autres modes de gestion que ceux que l'on connaît, évoquer davantage les pratiques contractuelles qui font discrètement leurs preuves, de la ville nouvelle à la commune rurale.
Bien que réduits à la portion congrue, les chapitres consacrés à l'analyse des expériences et aux hypothèses d'avenir n'en apportent pas moins l'essentiel de ce que l'on peut dire aujourd'hui sur ce sujet. Tous les politologues et praticiens s'accordent à reconnaître l'aspect inéluctable de la coopération intercommunale dans les politiques culturelles futures. Qu'il s'agisse de spectacle vivant ou de services (bibliothèques, écoles de musique), il faudra jouer la complémentarité dans un fonctionnement en réseau, afin de rentabiliser l'existant. Cela renvoie à la nécessaire notion d'aménagement culturel du territoire ainsi qu'à une évolution des mentalités s'appuyant sur la formation des élus, tout autant que des professionnels, afin qu'émerge un objectif fort : celui de l'intérêt communautaire.
Si une telle évolution paraît envisageable pour les équipements de proximité, il n'en ira sans doute pas de même pour les grands projets emblématiques surinvestis par les collectivités. A moins justement que, dans un contexte économique difficile, les seules collectivités capables d'investir dans de grands équipements ne soient bientôt plus que les organismes intercommunaux...