La création face aux systèmes de diffusion
rapport du groupe « Création culturelle, compétitivité et cohésion sociale »
Paris : La Documentation française, 1993. -142 p. ; 24 cm.
ISBN 2-11-002942-0 : 80 F.
Dans le cadre de la préparation du XIe Plan, un certain nombre de groupes thématiques ont travaillé selon les deux axes stratégiques de ce Plan : la compétitivité et la cohésion sociale. D'où le nom de baptême un peu surprenant de ce groupe.
Cinq aspects prioritaires
Le mandat confié au groupe portait sur « cinq aspects prioritaires » : les industries culturelles (poids économique, création-production-diffusion), le rôle des entreprises, les jeunes générations et la création, les réponses culturelles aux phénomènes d'exclusion, le rayonnement de l'expression culturelle française à l'étranger. A la lecture de son rapport, il me semble que le groupe n'a pas rempli entièrement son mandat et n'a traité que les points 1, 2 et 5.
Quelles sont les grandes lignes de ce rapport ?
- Les industries culturelles, de plus en plus soumises au poids d'une diffusion de plus en plus concentrée, sont porteuses de trois risques : le renchérissement du coût de la création, l'uniformisation des contenus, l'affadissement des systèmes linguistiques et culturels.
- Selon les secteurs, le poids accru de la diffusion peut être un phénomène positif (pour les disques de musique classique, augmentation du nombre de titres au catalogue) ou négatif (développement des chaînes de librairies au détriment des librairies de proximité).
- L'écrit est menacé, mais garde un rôle fondamental.
- Une « nouvelle donne culturelle » est apparue, à la suite de deux grandes innovations techniques, les outils multimédias et l'image de synthèse : « Ces nouvelles techniques contituent une culture nouvelle ».
- Les réponses à apporter à cette situation sont : tempérer le poids des diffuseurs par une politique de concurrence, mieux protéger la propriété littéraire et artistique, aider les contenus et la qualité, réaffirmer le rôle premier de l'Education dans la formation culturelle, moderniser les modes d'intervention publique.
Trois sujets de perplexité
Tout ceci ne serait qu'assez superficiel et exagérément banal si, par transparence, ne se devinait une vision atrophiée du monde culturel. Pour ma part, et par ordre croissant d'importance, je distingue trois sujets de perplexité.
Le premier, à évacuer rapidement, est la multiplicité des erreurs et des à-peu-près. Je n'en citerai ici que trois : « Le secteur public de l'audiovisuel (F2, F3, La Sept-Arte, RFO, Radio-France, RFI, l'INA) », comme si RFI et RFO ne faisaient plus partie de Radio-France. « Ce réseau de librairies assure aujourd'hui 42 % des ventes de livres » (p. 25), non : 28,4 % 1; en ce qui concerne les disques, « de nombreuses évolutions, dont la plus frappante est l'apparition et l'extension rapide des ventes des disques compacts » (p. 25), alors que, me semble-t-il, l'évolution la plus frappante serait plutôt l'effondrement du nombre des disquaires. Restons-en là.
Ma deuxième perplexité, plus grave assurément, est l'absence à peu près totale des destinataires des produits culturels. On parle création (peu), production et surtout diffusion (et tout particulièrement télévision), mais aucunement destination, réception, médiation, appropriation ni, a fortiori, démocratisation. A la lecture de ce rapport, on pourrait croire les enjeux culturels calfeutrés dans les studios de cinéma et les régies de télévision - mais à part les téléspectateurs, il n'y a personne au bout de la ligne. Pour expliquer ceci, encore une citation : la diffusion de livres est décrite en une page qui évacue toute critique en s'abritant derrière « la polysémie du terme », comme « l'instance qui fait connaître le produit éditorial (le représentant qui visite les librairies) ».
Ma troisième perplexité - qui confine à l'inquiétude - est de songer qu'il s'agit là d'un texte destiné à alimenter les réflexions de l'Etat sur l'avenir des politiques culturelles. N'y avait-il pas lieu de se pencher sur des questions autrement plus stratégiques que celles de l'image de synthèse ou de la reprographie en bibliothèque ? Sur les bouleversements documentaires dus au stockage et à la transmission des informations numérisées, sur les cultures communautaires, le rôle des équipements de quartier dans la lutte contre les exclusions, le partage des compétences et des charges entre l'Etat et les collectivités territoriales, la formation des futurs citoyens et des futurs créateurs, sur tous ces enjeux, le Plan ne devrait-il pas produire une véritable réflexion ?
Le droit de prêt
Pour finir, convient-il de faire un sort à la proposition d'instaurer un droit de prêt sur les bibliothèques ?
Citons intégralement les 14 lignes du chapitre 2.3., « Créer un droit de location et de prêt dans les bibliothèques » : « Après quelques années de discussion, le Conseil européen a publié, le 19 novembre 1992, une directive relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d'auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle. Cette directive devra être transposée dans les législations des Etats membres au 1er juillet 1994. Elle est d'une application relativement souple, car elle permet pour chaque Etat de mettre en œuvre des exemptions. De plus, des aménagements sur le niveau de rémunération peuvent être étudiés pour favoriser les objectifs de promotion culturelle. L'instauration d'un tel droit de prêt et de location, qui existe déjà au Royaume-Uni, en Allemagne ou aux Pays-Bas, n'est pas sans soulever des difficultés, notamment financières, d'autant plus que la doctrine reste souvent la gratuité de l'accès aux bibliothèques publiques, notamment celles gérées par l'Etat. Toutefois, la mise en œuvre, modérée et progressive, d'un droit de prêt est un objectif indispensable de maintien d'un potentiel fort en matière d'édition, mais aussi en matière de phonogrammes et de vidéogrammes ».
Comment répondre à une opinion à ce point dépourvue d'argument ?
Par une autre citation : « La diffusion du livre bute sur l'obstacle économique du coût pour le consommateur individuel. Il revient aux bibliothèques de prendre le relais. Car accoler une consommation individuelle et une consommation publique aussi malthusiennes l'une que l'autre ne sert les intérêts de personne, et sûrement pas ceux de la lecture. C'est une diffusion abondante du livre quasi gratuit qui, en créant et cultivant le besoin de lire des livres, développera à sa suite le goût et le besoin de posséder des livres en propre (...) » 2.