Un éditeur d'oeuvres littéraires au XVIIe siècle
Toussaint Du Bray (1604-1636)
Roméo Arbour
Bien connu des bibliographes pour ses travaux antérieurs, et en particulier son Ere baroque en France 1, Roméo Arbour nous livre ici une remarquable reconstitution de l'itinéraire professionnel d'un libraire parisien du premier XVIIe siècle aujourd'hui oublié, bien qu'il joue un rôle de premier plan dans la publication de la plupart des œuvres littéraires majeures de cette époque.
Un outil de référence
Ce faisant, il contribue à mieux faire connaître ce monde de la librairie parisienne étudié dans sa thèse par Henri-Jean Martin 2, et pour lequel les monographies sont encore trop rares. L'ouvrage de Roméo Arbour vient donc rejoindre dans la célèbre collection à la couverture verte celui que Reed avait jadis consacré à Barbin 3. Il comporte trois parties. La première constitue la biographie de Toussaint Du Bray. La seconde est un catalogue chronologique à descriptions longues des quelque 350 ouvrages édités par ce libraire. A une description bibliographique fine, s'ajoutent des informations précises sur le contenu des privilèges, dédicaces et autres pièces liminaires, les marques, bois, ornements et caractères utilisés, et des localisations des exemplaires repérés et examinés. Cet outil de travail est complété par une troisième section comprenant 32 illustrations, les textes liminaires composés par Toussaint Du Bray à l'intention de ses lecteurs, et la transcription d'une vingtaine d'actes notariés relatifs à l'activité du libraire.
Cet ouvrage est donc tout à la fois un outil de référence extrêmement précis auquel ne manqueront pas de se reporter les bibliographes désireux d'identifier les éditions, mais aussi une importante contribution à la connaissance du monde littéraire du premier XVIIe siècle. Ce faisant, l'auteur ne jouait pas la facilité puisque de nombreux documents qui auraient pu éclairer l'activité de Toussaint Du Bray ont aujourd'hui disparu. Né vers 1580, décédé en 1636, fils d'un marchand-frippier, Toussaint Du Bray fut le premier de sa lignée à se lancer dans la librairie dans les dernières années du XVIe siècle sous la marque des « Espics meurs », pour finir par publier une dizaine d'ouvrages par an, bien qu'il n'ait jamais eu d'atelier d'imprimerie, et tenir boutique rue Saint-Jacques et au Palais. Son fils Jean devait lui succéder en 1637. Par ses alliances, en particulier avec d'autres familles du monde du livre comme les Chappelet et les Mariette, la dynastie Du Bray devait s'élever jusqu'à une charge de secrétaire du roi acquise en 1774, le premier degré vers la noblesse alors qu'il était déjà bien tard !
Instrument de travail
Si l'exemple de Toussaint Du Bray témoigne de cette lente ascension sociale des membres du monde du livre, et ce, malgré la faillite qui ne l'épargna pas à la fin de sa vie, il est surtout emblématique de ces rares libraires qui ont joué un rôle majeur dans la diffusion de la production littéraire de leur temps. A côté d'ouvrages de théologie, de droit et de sciences, Du Bray est surtout connu pour avoir édité la plupart des romans qui comptèrent durant le premier tiers du XVIIe siècle, et des auteurs de premier plan de son époque : Sorel (dont il manqua pourtant le Francion), Molière, d'Essertines, Gomberville... et surtout d'Urfé. L'un des mérites du livre de Roméo Arbour, au-delà du cas de son héros, est en effet de nous éclairer sur la genèse de l'Astrée qui mit un quart de siècle à se constituer à travers divers avatars, et ce, malgré le succès immédiat qui salua la parution de sa version primitive.
Instrument de travail pour le bibliographe et le bibliothécaire qui mesureront le sérieux du matériau mis à leur disposition, et ce malgré les sources qui se dérobent comme à plaisir, cet ouvrage dépasse largement le cadre un peu étriqué de l'histoire de l'édition parisienne (à laquelle il constitue pourtant un apport non négligeable) pour devenir une contribution de poids à l'histoire littéraire du premier XVIIe siècle.