Librarianship and bureaucratic organisation

a study in the sociology of library profession ln India

par Jean-Claude Utard

P. K. Jayaswal

New Delhi : Concept publishing company, 1990. - 194 p. ; 23 cm. - (Concepts in communication, informatics and librarianship ; 18).
ISBN 81-7022-321-0 : Rs 175.

Les bibliothécaires paraissent intéresser aujourd'hui les sociologues. Leurs origines sociales, leurs formations intellectuelles, la manière dont ils travaillent, la perception qu'ils ont de leurs fonctions ont fait l'objet d'enquêtes sociologiques récentes. Ainsi connaissons-nous, sur les bibliothécaires français, l'étude de Bemadette Seibel.

Un objet d'étude

Cet intérêt pour notre profession ne se limite pas d'ailleurs aux seuls pays occidentaux, puisque nous arrive aujourd'hui ce travail sur les bibliothécaires indiens. L'interrogation initiale de son auteur, P. K. Jayaswal, était, certes, différente de celle de Bernadette Seibel. Il s'agissait d'abord de voir comment s'articulait la relation entre une profession avec ses caractéristiques individuelles, voire individualistes, et une organisation - et même pour tout dire l'organisation bureaucratique -dans laquelle s'insérait cette profession. La démarche initiale était donc plutôt théorique, et d'ailleurs l'ouvrage de P. K. Jayaswal débute par une assez longue introduction qui définit et articule cette question de la distinction profession / organisation et réfléchit à l'évolution générale des métiers dans une société s'industrialisant et se bureaucratisant.

La profession de bibliothécaire a donc été choisie ici comme objet d'étude en fonction d'une problématique fort générale de la sociologie du travail. Cependant, passée cette introduction, nous retrouvons vite des territoires plus connus.

Lente féminisation

Une enquête a donc été réalisée par notre auteur, en 1985, à New Delhi, ville qui concentre 10 % des 21 000 bibliothécaires indiens et 15 % du nombre total des bibliothèques indiennes. Parmi ces bibliothécaires, seuls ont été sélectionnés les bibliothécaires diplômés (« trained librarians »). Finalement, 200 questionnaires ont été dépouillés, leurs auteurs appartenant à 5 bibliothèques universitaires, 2 bibliothèques publiques et 15 établissements spécialisés.

Si nous laissons de côté certaines caractéristiques indiennes (provenances régionales, appartenance à des castes), les résultats de cette étude peuvent apporter d'utiles points de comparaison avec la situation française.

Ainsi, si deux tiers des bibliothécaires indiens sont encore des hommes, on assiste à une lente féminisation depuis le début des années 60 de ce métier, l'évolution indienne commençant à rejoindre la situation générale des pays industrialisés.

Par ailleurs, lorsque l'on étudie l'origine sociale des bibliothécaires, on observe que la majorité d'entre eux provient désormais des couches inférieures des classes moyennes (ou intermédiaires), voire des classes populaires. La profession apparaît donc comme un élément de mobilité sociale ascendante pour les personnes qui y entrent.

Mais, dans le même temps, le prestige économique et social de la profession de bibliothécaire est très en deçà de celui d'autres professions plus modemes, liées aux services du privé ou à l'industrie. D'où le fait que désormais les hommes s'en détachent ou que les enfants des classes supérieures s'en détoument.

Interrogés sur leur sort, les bibliothécaires les plus satisfaits sont ceux qui ont fait preuve du plus de mobilité professionnelle. Cette mobilité favorise d'ailleurs le statut économique des bibliothécaires : ceux qui bougent vont vers des postes offrant de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires. Inversement, nombre de femmes y sont satisfaites « car elles semblent avoir une orientation non carriériste, et que, de fait, leur revenu est un revenu subsidiaire pour leur famille ».

Servir le client

Quant à leur travail et à l'image qu'ils en ont, les bibliothécaires mettent en avant le fait de servir leurs clients (« their clients »). Une proportion notable y investit même des motifs humanitaires. Mais, chose curieuse, la plupart se contentent de vouloir servir les usagers immédiats, peu raisonnent en terme d'utilité plus large, d'utilité collective : les besoins immédiats des usagers habituels oblitèrent la réflexion sur une utilité sociale élargie...

Cependant, selon l'auteur - mais cet aspect est assez succinctement abordé -, cette image que les bibliothécaires servant et renseignant le lecteur ont d'eux-mêmes correspondrait fort bien à l'attente que ces mêmes lecteurs développent : le service aux usagers doit passer avant les préoccupations organisationnelles et bureaucratiques... Malheureusement, si 65,5 % des bibliothécaires indiens considèrent que servir l'usager est leur priorité, que cela constitue l'image même de leur fonction, ils ne sont plus que 38 % à considérer que ceci est à l'heure actuelle valorisé par leurs organisations.

D'autres statistiques sont alors apportées pour examiner le degré de bureaucratisation des bibliothèques et les interférences sur la profession : hyperspécialisation des tâches, degré d'autonomie, partage des responsabilités, attitude tournée ou non vers les « clients »... L'auteur démontre facilement que trop de spécialisation ou trop de tâches administratives détoume de l'usager, inhibe l'autonomie et menace à terme le professionnalisme même des bibliothécaires indiens : ainsi 62,5 % de ceux-ci ont peu ou pas de responsabiblité bureaucratique alors même qu'ils exercent des responsabilités professionnelles ou qu'ils démontrent un fort engagement professionnel. Inversement, presque 50 % des responsables haut placés dans la hiérarchie bureaucratique présenteraient de faibles indicateurs d'engagement professionnel...

Laissons donc à l'auteur le soin de conclure que la bureaucratisation croissante des bibliothèques est un très sérieux obstacle au développement réel du professionnalisme des gens qui y travaillent.