Les bibliothèques portugaises
Florence Carneiro
Les bibliothèques du Portugal 1, pays qui se caractérise historiquement par une grande décentralisation et une large autonomie des collectivités locales, n'ont pas de lien organique entre elles et ne sont pas réunies sous l'autorité d'une Direction des bibliothèques comparable à la structure que l'on peut trouver en France.
Organisation administrative
Chacune des bibliothèques lusitaniennes dépend complètement de l'institution, grande ou petite, où elle se trouve implantée. Pourtant, le ministère de l'Education nationale exerce un pouvoir indirect sur les bibliothèques des établissements d'enseignement. Du secrétariat d'Etat à la Culture - placé sous l'autorité du premier ministre - relèvent l'Institut de la Bibliothèque nationale et du livre (IBL), les archives et les bibliothèques publiques.
En ce qui concerne les bibliothèques municipales, une politique de lecture publique fut définie en 1986 par le secrétariat d'Etat à la Culture. L'Institut portugais du livre et de la lecture (aujourd'hui Institut du livre) apporte depuis cette date une aide technique et financière substantielle aux municipalités qui acceptent de respecter les normes bibliothéconomiques nationales.
Le Conseil supérieur des bibliothèques portugaises se compose de membres nommés par les pouvoirs politiques parmi les directeurs de bibliothèques et d'institutions scientifiques telles que l'Institut national de la recherche scientifique (INIC) ou la fondation Gulbenkian. Il siège à l'Institut de la Bibliothèque nationale et du livre et dépend du secrétariat d'Etat à la Culture. Un rôle consultatif lui est imparti sur tous les problèmes liés aux bibliothèques et au livre : par exemple, la réforme du dépôt légal, le prix du livre et la gestion documentaire.
Les bibliothèques d'université
L'institution - faculté, laboratoire, etc. - gère sa bibliothèque, service parmi les autres, à sa guise. Elle lui octroie un budget et du personnel comme elle le juge opportun. Les professionnels, tous grades confondus, font partie de l'administration du lieu. Ainsi, par exemple, il peut arriver que l'on déplace un poste budgétaire de la bibliothèque vers la comptabilité.
Traditionnellement, chacune des bibliothèques d'une même université ou d'une même faculté a sa vie propre. Aucune réglementation hiérarchique ne lie les bibliothèques d'institut à celle de la faculté dont elles dépendent, ni celles des facultés à celle de leur université. Aucun lien formel ne rattache les bibliothèques des facultés d'une même université entre elles. L'état de santé de la bibliothèque universitaire et sa politique documentaire dépendent des décisions du conseil de bibliothèque composé de bibliothécaires, de professeurs et du Recteur de l'université. Il arrive qu'un centre de documentation d'institut soit plus riche et mieux doté que la bibliothèque générale de la faculté dont il dépend. Le volume global de la documentation recensée au sein des 137 bibliothèques d'institut est sensiblement égal à celui des 46 bibliothèques universitaires proprement dites 2.
On assiste ainsi à un éparpillement des moyens documentaires, financiers et humains. Pourtant, et ceci dépend des bibliothécaires en place, il arrive parfois que la bibliothèque universitaire joue un rôle de conseil auprès de celles des instituts. Ainsi la bibliothèque de l'Institut supérieur technique, comparable à une faculté, participe à la gestion de presque tous les centres documentaires de cet institut.
A contrario, lorsque l'Etat créa l'Université nouvelle de Lisbonne en 1974, il recommanda de confier à la bibliothèque centrale l'ensemble des fonds documentaires, mais sans succès. Chaque professeur a bien vite reconstitué son propre centre de documentation. Ces mêmes recommandations appliquées aux jeunes universités de Minho et Aveiro, créées en 1973 et 1975, ont permis de mettre sur pied un service documentaire central qui fonctionne et que l'on peut comparer aux services communs de documentation français.
Catalogue collectif national d'ouvrages et de périodiques
Le Portugal a opté pour la mise en place d'une base de données bibliographiques nationale unique. Un décret d'avril 1987 décide la création de « Porbase » et charge la Bibliothèque nationale de coordonner le projet. Cinq ans après, 74 bibliothèques y participent : des bibliothèques universitaires, des bibliothèques municipales, des centres de documentation spécialisés privés et publics.
Cette base est gérée à la Bibliothèque nationale sur GEAC 9000. Les bibliothèques sont équipées de micro-ordinateurs monopostes et du logiciel CDS / ISIS de l'UNESCO, distribués par la BN et paramétrés par elle en format UNIMARC. Dix-sept établissements peuvent interroger le catalogue en ligne ; en revanche, le catalogage partagé n'est, pour l'instant, pas pratiqué.
A ce jour, Porbase comprend 400 000 notices (240 000 monographies, 140 000 périodiques, cartes, plans, etc.). Depuis un an et demi, 50 000 notices d'autorité ont été chargées. La stratégie adoptée consiste à :
- cataloguer rapidement les acquisitions (catalogage provisoire),
- rédiger la notice d'autorité définitive,
- enfin établir les liaisons rétrospectives d'autorité dont la normalisation est prévue pour les 18 mois à venir.
Dans le cadre du projet CLIP (Compatibilité des langages d'indexation au Portugal), des groupes de travail réunissant bibliothécaires et chercheurs se sont constitués par discipline et par région afin d'élaborer une liste d'autorités-matières normalisée : « Siporbase ». Un thésaurus avec correspondances CDU est prévu.
Pour le moment, la Bibliothèque nationale charge les disquettes envoyées par chaque bibliothèque participante. Ensuite elle contrôle et corrige les nouvelles données.
Lors de l'interrogation, qui utilise les opérateurs booléens, les notices apparaissent suivies de la liste des bibliothèques qui possèdent l'ouvrage.
Chaque bibliothèque rentre d'abord ses nouvelles acquisitions et détermine les modalités de la saisie du rétrospectif suivant ses intérêts propres. Par exemple, la BU des Açores intègre en premier lieu ses fonds régionalistes. Par ailleurs, un plan national de catalogage rétrospectif a été établi pour le XIXe siècle, notamment pour les périodiques de la bibliothèque publique de Porto.
Depuis la mise en place de Porbase, la Bibliothèque nationale forme chaque année 350 personnes à son utilisation.
Malgré les recommandations nationales, certaines bibliothèques ont opté pour un autre système informatique, généralement compatible avec Porbase.
Le SIIB-Centro (Système d'informations bibliographiques de la région Centre), avec DOBIS-LIBIS, regroupe, depuis janvier 1989, les bibliothèques universitaires de Beira Interior (Covilhã), Aveiro, Coimbra et quelques autres bibliothèques de cette région. Tout comme le service Porbase, le SIIB-Centro assure la formation des personnels.
Plus localement, la bibliothèque de l'Institut supérieur d'agronomie de l'Université technique de Lisbonne travaille avec Texto et la BU d'Evora avec Documenta. D'autres bibliothèques encore, telle celle de l'Institut national d'administration, ont choisi un petit système intégré de gestion de l'ensemble des opérations bibliothéconomiques.
Ce système, prometteur dans le principe, est trop récent pour avoir donné toute sa mesure : les infrastructures (équipement informatique, réseau téléphonique) restent encore insuffisamment développées.
La coopération entre bibliothèques
Porbase n'est pas le seul élément fédérateur des bibliothèques portugaises : les bibliothécaires poursuivent depuis des années une réflexion sur leur métier.
Au sein de l'Association portugaise de bibliothécaires, d'archivistes et de documentalistes (la BAD) 3 ils mènent une politique active de recherche et de formation. Ils participent aussi à des équipes qui visent à infléchir la politique documentaire.
Le Groupe de travail des bibliothèques universitaires 4, dans un texte daté de mars 1992 et adressé au ministre de l'Education nationale et au Conseil des recteurs des universités portugaises, rappelle « l'extrême dispersion des fonds, aggravée en partie par des dysfonctionnements internes, et alliée au manque de cohérence, à l'absence de coordination et à la fragmentation des efforts » d'autant plus que, jusqu'ici, Porbase n'est pas assez performante pour briser l'isolement des bibliothèques.
Pour remédier à cet état de fait, ce groupe de recherche propose que l'ensemble des bibliothèques d'une même université soit placé sous la responsabilité d'une direction unique. A chaque université, il demande de définir une politique documentaire, de formation et de recherche, et de considérer la bibliothèque comme un « centre nerveux » de l'institution. Il appelle enfin à la création d'un réseau documentaire institutionnel.
Le GTIB (Groupe de travail pour l'informatisation des bibliothèques) 5 dans le cadre du projet communautaire Ciencia, en avril 1992, a rédigé un cahier des charges type sur l'implantation d'un système informatique intégré compatible avec Porbase et SIIB-Centro. Ce document est destiné aux bibliothèques qui désirent acquérir de tels outils et s'insérer dans le réseau national.
Le gouvernement, suivant en cela les recommandations de la CEE, a entrepris une politique d'assainissement et de restructuration de l'administration. Les réductions de crédits et de postes budgétaires frappent aussi les services culturels et de recherche scientifique. Dans ce nouveau paysage, il devient urgent de revoir l'organisation des bibliothèques afin de remédier à la sous-utilisation et à l'éparpillement des talents.