Les documents de substitution
Françoise Leresche
Depuis plusieurs décennies, la fragilité des documents qui constituent leurs collections a conduit les bibliothèques, soucieuses de conjuguer les impératifs de la conservation et de la diffusion, à produire des documents de substitution permettant des consultations multiples, sur place et à distance, tout en évitant la manipulation des documents originaux.
Le cas des papiers fabriqués à partir de pâtes de bois depuis le milieu du XIXe siècle est bien connu : on estime qu'environ 15 % des documents conservés risquent d'être rapidement incommunicables et nécessitent des mesures urgentes de sauvegarde. La fabrication de microformes de substitution constitue à l'heure actuelle la réponse la mieux adaptée à la préservation de ces fonds.
Mais les microformes ne représentent qu'un aspect - sans doute le plus important en nombre et le mieux connu des usagers - du recours à des documents de substitution. La pratique de la copie des documents audiovisuels sur des supports moins fragiles et plus facilement manipulables (bandes magnétiques, vidéo, etc.) en vue de leur consultation en est une autre illustration. Et la numérisation est appelée à jouer très vite le même rôle...
Par ailleurs, la publication simultanée d'un même document sur plusieurs supports est un phénomène éditorial de plus en plus répandu : publications officielles disponibles sur papier ou sur microfiches, abonnement possible à un périodique sur papier, sur microfilm ou sur support électronique sont désormais des cas fréquents.
Dans un tel contexte, le catalogage des documents de substitution apparaît comme un problème sur lequel il devient urgent de se pencher - à défaut d'y apporter une réponse définitive.
Cette réflexion est d'autant plus nécessaire que ce problème n'est pas réellement abordé par les ISBD élaborés par l'IFLA, et que l'on se trouve de ce fait en face d'un vide normatif au niveau international.
Un principe général
Confrontés à la nécessité de signaler ces documents, les bibliothécaires américains ont entrepris depuis plusieurs années une importante réflexion sur la description bibliographique des documents disponibles sur plusieurs supports.
Les grandes bibliothèques européennes engagées dans des campagnes de microfilmage pour la sauvegarde de leurs collections, telles la British Library et la Bibliothèque nationale, ont également été amenées à aborder la question du signalement des documents de substitution, les microformes ne constituant un outil de préservation efficace des documents originaux que dans la mesure où leur existence est connue et leur localisation aisée et rapide. Dans cette optique, elles ont effectué des choix pragmatiques, directement liés à l'objectif poursuivi, pour l'élaboration de leurs catalogues de microformes de substitution.
L'examen de ces expériences diverses permet de dégager un principe commun pour le catalogage des documents de substitution.
Une seule notice est établie pour le document original et son (ou ses) substitut(s) ; le document original fait l'objet de la description bibliographique de base, à laquelle viennent s'ajouter des informations plus ou moins détaillées sur le (ou les) document(s) de substitution.
En revanche, l'articulation entre le signalement de la reproduction et la description du document original a donné lieu à différentes options.
L'une consiste à donner toutes les informations utiles sur le document de substitution (adresse bibliographique, description matérielle, et éventuellement collection et cote du master) dans une zone de note qui constitue en quelque sorte une notice dans la notice. C'est cette solution qui a été retenue par le Register of Preservation Masters (RPM) britannique et qui est utilisée dans la base américaine RLIN (Research Libraries Information Network).
L'autre consiste à utiliser les données locales pour décrire le document de substitution. Dans cette organisation, à la notice bibliographique sont rattachées autant de notices de données locales qu'il existe d'exemplaires disponibles (exemplaire original et exemplaire(s) de substitution). La notice de données locales propre à un document de substitution contient, outre sa cote, toutes les informations bibliographiques nécessaires à son identification (adresse bibliographique, description matérielle, cote de l'exemplaire reproduit, éventuellement collection). Cette solution était préconisée dans le rapport de la réunion des bibliothécaires américains consacrée au catalogage des documents disponibles sur plusieurs supports *. C'est elle qui prévaut en France.
Ce principe général de catalogage a été repris par les projets de catalogues collectifs de microformes de substitution qui voient actuellement le jour - qu'il s'agisse au niveau européen du projet EROMM (European Register of Microform Masters) ou au niveau international du projet IROMM (International Register of Microform Masters), piloté par les Etats-Unis (en l'occurrence la Commission on Preservation and Access) - et tend à s'imposer comme une norme de fait.
Le choix entre une zone de note structurée intégrée dans la notice bibliographique ou la notice de données locales pour donner les informations bibliographiques propres au document de substitution relève plus de choix techniques liés aux possibilités des systèmes informatiques. Il ne semble pas constituer un obstacle pour l'échange des notices.
L'importance de ces catalogues collectifs internationaux de documents de substitution pour la conservation du patrimoine écrit a par ailleurs amené l'IFLA à prendre en compte, par le biais du format, le problème de la description bibliographique de ces documents. Une étude sur le catalogage des microformes de substitution en UNIMARC est actuellement en cours au sein du Permanent UNIMARC Committee, chargé par l'IFLA de la maintenance et du développement du format UNIMARC. Elle devrait aboutir à la publication d'un fascicule consacré à cette question.
Deux méthodes divergentes
Cette méthode de catalogage découle directement des objectifs et des besoins de la préservation. C'est le document original qu'il est important de signaler, car la microforme n'est que le substitut qui permet d'assurer sa sauvegarde. Etablir la description bibliographique à partir du document original est tout à fait légitime dans cet objectif. Eviter la redondance d'informations et la lourdeur du catalogage que représenterait l'établissement d'une notice bibliographique distincte, liée à la précédente, pour décrire le document de substitution s'explique par le nombre considérable de documents concernés.
Toutefois, cette pratique, pour satisfaisante qu'elle soit pour les documents de substitution, n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes.
En effet, elle est en contradiction avec les principes des ISBD qui exigent qu'une notice de description bibliographique distincte soit établie pour chaque édition différente d'un même document, notamment dans le cas de deux éditions sur des supports différents, l'existence d'une version sur un autre support étant signalée en note.
Le catalogueur se trouve ainsi confronté à deux méthodes divergentes de catalogage. La tâche qui s'impose aujourd'hui est de définir le domaine d'application de chacune. Qu'est-ce qu'une reproduction ? Que considère-t-on comme un document de substitution ? Quand a-t-on au contraire affaire à un document qui relève de la description bibliographique traditionnelle ? Qu'est-ce qui distingue une reproduction en fac-similé - pour laquelle les normes de catalogage prévoient l'établissement d'une notice de description bibliographique particulière - d'une microforme reproduisant le même document, établie par la Bibliothèque nationale dans le cadre de son plan de sauvegarde ? Y-a-t-il une différence entre les microfiches éditées par le Journal officiel, les microfilms reproduisant Le Monde disponibles par abonnement et les microfilms reproduisant un quotidien du siècle dernier, établis par l'ACRPP (Association pour la conservation et la reproduction de la presse périodique) ? Autant de frontières subtiles à définir avec prudence mais netteté.
La multiplication des documents publiés sur différents supports, comme les facilités technologiques de transfert des documents d'un support à un autre, font de ce débat une question d'actualité.
L'ISDS est actuellement confronté à ce problème pour l'attribution des ISSN à des publications en série publiées sur des supports différents et mène une réflexion sur la notion de reproduction. Ses conclusions devraient apporter une certaine clarification dans ce débat.
Mais, d'ores et déjà, parmi les critères de distinction qui peuvent être avancés, l'intention de commercialisation selon une démarche éditoriale semble être le plus opérationnel. Plus encore que la simultanéité de la publication sur des supports différents, il permet de distinguer le document de substitution établi à des fins de sauvegarde de la reproduction publiée par un éditeur, qui est assimilable à une édition telle que la définissent les ISBD.
Mars 1993