Les documents musicaux

Catherine Massip

Le caractère intemational de la musique et, par conséquent, des partitions musicales, ainsi que les échanges nécessaires d'informations bibliographiques qui en découlaient ont, depuis les années soixante, incité les bibliothèques et centres de documentation musicaux à conduire une réflexion poussée sur la normalisation du catalogage. L'existence d'une forte structure associative, l'Association internationale des bibliothèques, archives et centres de documentation musicaux (AIBM), qui a créé en son sein commissions et groupes de travail internationaux afin de préparer des textes communs, a contribué fortement au développement de textes normatifs. En effet, l'AIBM est devenu l'organe expert qui prépare les textes soumis à l'IFLA et qui nomme officiellement auprès des groupes de travail de l'ISO les experts qui suivent les projets.

Catalogage de la musique imprimée

Entre 1957 et 1971, la Commission internationale du Code de catalogage préparait un premier texte, le Code international de catalogage de la musique *, qui servirait de base, avec les Anglo-American cataloging rules, (AACR) à la publication de l'ISBD (PM, for Printed Music). Désireuse de s'associer au programme de l'IFLA sur le contrôle bibliographique universel, l'AIBM créa en 1976 un groupe de travail conjoint sur l'ISBD (PM) patronné par la Section de catalogage de l'IFLA ; composé de six membres, il commença ses travaux au congrès de Bergen sous la présidence de Heinz Lanzke de la Deutsche Bibliothek et avec la participation d'Yvette Fedoroff, représentante de la France. La première version fut soumise à enquête publique en 1979 et le document final accepté par l'IFLA et l'AIBM en 1980. Ce document suit le schéma général de l'ISBD (G) et tient compte de la première édition révisée de l'ISBD (M). Comme le soulignait H. Lanzke « Il essaie de maintenir l'équilibre entre les principes bibliographiques généraux et fondamentaux inscrits dans l'ISBD (G) et les problèmes particuliers que soulève le catalogage de la musique imprimée ». En résumé, les principales différences entre les deux ISBD sont les suivantes :
- présence de la zone 3, zone de la présentation ;
- caractère facultatif d'un certain nombre d'éléments ;
- plus grande souplesse dans le choix des sources d'information pour chaque zone, en raison du caractère peu standardisé de la musique imprimée qui se traduit, par exemple, par l'absence fréquente de page de titre, ou d'éléments de datation présents sur celle-ci ou sur son substitut ;
- absence de l'élément 8.2 (Titre clé) du schéma ISBD (G).

L'ISBD (PM) avait aussi l'immense mérite de clarifier un certain nombre de définitions techniques s'appliquant à la musique et à ses diverses présentations, définitions comprises de façon parfois contradictoire selon les pays et les langues utilisées. Il fut traduit en français par Yvette Fedoroff et publié par la Bibliothèque nationale en 1982. Une révision après une période d'expérimentation de cinq ans était prévue.

Ce premier texte servit immédiatement à l'élaboration de la norme expérimentale Z 44-069 Catalogage de la musique imprimée : rédaction de la description bibliographique. Le premier état de ce document, établi par un groupe d'experts, fut remis à l'AFNOR en 1987 et soumis à enquête publique. Sa publication fut retardée par le début des travaux de révision de l'ISBD (PM), toujours par les soins d'un groupe d'experts de l'AIBM. Il a paru préférable d'attendre la publication de la deuxième version révisée de l'ISBD (PM) en 1991 (en cours de traduction en français par le Centre de coordination bibliographique et technique (CCBT) et le département de la Musique de la Bibliothèque nationale), afin d'intégrer dans la norme française les modifications intervenues entre temps. Celles-ci portent essentiellement sur la zone 1 (zone du titre et de la mention de responsabilité) rédigée de façon plus cohérente et plus complète.

La nouvelle version du fascicule de documentation Z 44-069 préparée par le CCBT doit être soumise prochainement à enquête publique par les soins de l'AFNOR. Elle tient compte, non seulement de l'ISBD (PM) mais aussi de la norme française Z 44-050 concernant le catalogage des monographies.

Titres uniformes musicaux

La rédaction de titres uniformes pour la musique est ressentie depuis longtemps comme une nécessité par les bibliothèques musicales, confrontées à de difficiles problèmes de classement des notices : une certaine liberté, voire une indéniable fantaisie, règnent dans l'édition musicale et une même œuvre peut recevoir des titres fort différents. Les AACR avaient déjà proposé un corpus de solutions, mais, contrairement à ce qui s'est produit pour le catalogage de la musique imprimée, l'AIBM, très contrainte par les documents normatifs de l'IFLA, a dû rester en deçà des vœux des bibliothécaires. Son rôle s'est limité à la création d'un groupe de travail chargé d'élaborer un « complément musical » au document de l'IFLA Guidelines for Authority and Reference Entries (1984) qui entr'ouvrait discrètement la porte aux titres uniformes musicaux.

Sous la direction d'Alison Hall (Canada), fut préparé un texte provisoire général révisant certains paragraphes du document de base et ajoutant quelques définitions fondamentales et de nombreux exemples musicaux : le titre uniforme proprement dit y est défini comme un élément secondaire toujours dépendant d'une autorité personne physique ou collectivité. Il eut le mérite d'ouvrir une brèche qui permit à l'AFNOR d'établir un groupe d'experts animé par Elisabeth Giuliani de l'Etablissement public de la Bibliothèque de France.

Le document en est actuellement à la phase qui suit l'enquête publique. Ce texte très complet, Forme et structure des titres uniformes musicaux, servira aussi bien pour la musique imprimée que pour les enregistrements sonores. Il a l'ambition de répondre aux problèmes posés par la musique occidentale et par les musiques non européennes et liturgiques. Il intègre les suggestions d'un groupe de travail de l'AIBM sur les titres uniformes des sources musicales anonymes médiévales qui seraient désignées par leur lieu de conservation. Les travaux du groupe d'experts sur les titres uniformes ont donné lieu à des échanges très nourris et riches entre bibliothécaires travaillant sur des fonds spécialisés en bibliothèques publiques (par exemple celles de la Ville de Paris), en bibliothèques de recherche ou en bibliothèques d'enseignement comme les conservatoires.

International Standard Music Number

Dernier né des documents normatifs, le texte sur l'ISMN a été préparé par l'ISO TC 46/SC 9, où l'AIBM était représenté par Anders Lönn (Suède). L'ISMN, qui intéresse au premier chef les éditeurs musicaux pour la gestion de leur production courante, sera formé de la lettre M et de huit signes numériques identifiant l'éditeur et la publication concernée. A la différence de l'ISBN, aucun signe numérique n'identifie le pays. La numération devrait être gérée par l'agence de l'ISBN à Berlin. Un manuel pratique doit voir le jour pour permettre l'application d'un texte général qui a laissé volontairement dans l'ombre les nombreuses difficultés soulevées par la mise en œuvre de cette nouvelle numérotation normalisée.

L'indexation matières

Pour les usagers des bibliothèques musicales, la présence d'un fichier « matières musicales » appliqué à la musique imprimée et manuscrite va de soi. Comment, en effet, répondre à une question telle que « Je recherche les sonates pour clarinette et piano écrites au XIX, siècle » ou bien « Je souhaite connaître les œuvres pour deux pianos que vous possédez » ?

Dès l'origine du département de la Musique de la Bibliothèque nationale, un tel fichier fut conçu et enrichi régulièrement : il comporte plusieurs centaines de milliers de fiches dont, à titre d'exemple, 40 000 fiches pour la seule musique de piano du XIXe siècle, qu'il a fallu sous-classer par genres et même par thèmes littéraires. Etant donné l'importance matérielle de ce fonds, l'évolution du thésaurus utilisé s'est faite de façon à la fois rigoureuse et pragmatique en privilégiant l'accès par effectif instrumental. Aussi, les premiers contacts pris en 1985 avec la cellule « Coordination matières » furent-ils décevants, puisque la notion même d'indexation matières appliquée à une œuvre de création était alors contestée. Heureusement, la fréquentation du fichier Laval diffusé sur support papier et traduit de celui de la Bibliothèque du Congrès démontrait à l'époque qu'il était parfaitement possible de concevoir une indexation matières s'appliquant aussi bien aux livres sur la musique qu'à la musique imprimée, en dépit de l'absolue pauvreté de RAMEAU dans ce domaine.

Lorsque le département de la Musique a abandonné le catalogage manuel pour un catalogue informatisé dans la base BN Opaline, deux hypothèses étaient envisageables : soit utiliser et saisir le riche fichier manuel local avec tous les risques d'isolement et de manque de cohérence que cette démarche comportait, soit s'intégrer dans un système diffusé au plan national - l'indexation RAMEAU - qu'il fallait impérativement développer en accord avec les bibliothèques spécialisées dans le domaine musical. Nous savons que diverses bibliothèques musicales - et discothèques - ont été et seront confrontées à ce dilemme.

Pour notre part, nous avons choisi délibérément l'abandon d'un système local, aussi perfectionné soit-il, afin de nous intégrer à un système d'indexation généralisé, ce choix étant conforté par les résultats très positifs de l'utilisation du fichier Laval dont nous avions extrait et analysé les termes musicaux en 1988-1989.

Actuellement - et pour répondre aux réticences des usagers -, se déroule un très important travail de mise à jour et d'enrichissement de RAMEAU en termes musicaux. Ce travail a débuté au mois de novembre 1992 par les soins d'une spécialiste, Laurence Decobert, travaillant dans le cadre de l'Etablissement public de la Bibliothèque de France, sous la responsabilité de Véronique Lacan du Centre de coordination bibliographique et technique (CCBT) de la Bibliothèque nationale.

Environ 940 notices avaient été créées ou modifiées en mars 1993. Ont été repris, mis à jour et complétés les domaines suivants : instruments de musique et familles d'instruments, grands domaines musicaux, vedettes identifiant la musique pour instrument soliste, vedettes identifiant les duos instrumentaux ou vocaux, formes musicales à distribution variable, autres formes ou genres musicaux etc. Dans certains cas, il a fallu s'écarter et enrichir le répertoire canadien, notamment dans le domaine de la musique contemporaine et dans celui de la musique vocale. Ont été également repris des termes musicaux présents dans RAMEAU et correspondant à un état antérieur de Laval ; une mise à jour des définitions, des liens, des termes exclus ainsi qu'une révision de la cohérence entre les différentes notions ont été réalisées. D'une façon concrète, l'indexation matières du Supplément « Musique » de la Bibliographie nationale française suit, depuis 1992, ces principes.

En résumé, les développements récents de l'indexation matières pour la musique me semblent un bon exemple des difficultés et des solutions possibles qui se présentent à un professionnel travaillant dans un fonds de documents réputés très spécialisés, ce qui ne signifie pas qu'ils doivent échapper obligatoirement à la rigueur normative.

Avril 1993