L'image fixe
Denis Bruckmann
L'image fixe est, en France, la seule catégorie de document à ne pas encore faire l'objet de norme pour sa description signalétique. L'explication de ce fait n'est pas simple à fournir.
Un retard historique
Démarche trop innovante ? De nombreuses instances étrangères de normalisation ont pourtant montré le chemin aux Etats-Unis, en Italie, en Espagne, qui ont successivement fait paraître leur document dans les années 80.
Inadéquation de l'esprit de la description ? Qu'elle naisse des techniques de la gravure ou de la photographie, l'image fixe est pour la plupart de ses avatars une image multiple ou multipliable, à laquelle le principe du catalogue collectif semble devoir s'appliquer particulièrement bien.
Les fondements de la description bibliographique, par exemple la distinction très claire entre les caractéristiques de l'édition et celles qui sont propres à l'exemplaire, ou encore les notions d'édition, de réédition ou de réimpression et de retirage, épousent avec aisance l'histoire bibliographique ou artistique d'une gravure ou d'une photographie. Enfin, l'image fixe est très souvent liée à un ensemble ou à une série (port-folio, suite, livre illustré, collection éditoriale d'images), et là encore, beaucoup des concepts de la bibliographie sont d'une grande utilité. La méthode de description n'est donc pas à mettre en cause.
Dès lors, à quoi tient ce retard ? C'est d'abord un retard historique, dans de nombreux établissements, voire dans l'enseignement bibliothéconomique lui-même : l'image fixe est un de ces documents complexes dont le classement, par auteur ou par sujet, a longtemps paru pouvoir dispenser de toute description. Une autre raison est la relative spécialisation des collections. Malgré les apparences, les établissements où l'on trouve toutes sortes d'images fixes ne sont pas les plus nombreux. Orientées vers la gravure et ses déclinaisons, par exemple l'imagerie, ou bien vers la photographie et ses avatars photomécaniques, ainsi la carte postale, les collections à décrire ne se laissent pas facilement appréhender par une norme qui réunirait dessin, gravure et photographie et ne respecterait pas, dit-on, les spécificités de chaque technique.
Enfin, et plus profondément, une fragmentation extrême du paysage des établissements concernés a gêné les efforts de normalisation. Alors que, pour le livre, la publication en série, le phonogramme ou l'image animée, les bibliothèques et les centres d'archives sont les principaux dépositaires des documents et ont des méthodes et des ambitions communes, l'estampe ou la photographie flirtent beaucoup avec les agences de presse ou d'illustration - encore peu soucieuses d'un travail collectif -, ou avec les musées, et les territoires de l'histoire de l'art, comme on le sait, sont bien peu propices au consensus...
Mieux vaut tard que jamais
L'AFNOR avait relancé, au milieu des années 80, un groupe de travail sur l'image fixe qui a fait appel aux compétences de tous les acteurs de ce secteur : conservateurs de musées et de bibliothèques, historiens de l'art, gestionnaire d'agences de presse ou d'illustration, spécialistes et amateurs. Le travail a été long et difficile. Il s'est heurté à tous les obstacles évoqués plus haut (tension entre classement et description, spécificité des techniques et traits communs à toutes les images fixes, oppositions idéologiques entre approche muséographique et traitement bibliographique) et a accompli un travail théorique considérable sur la filiation des documents (état, édition, impression, tirage, etc.).
Un texte, consensuel, mais qui nécessitait une expérimentation pratique des principes édictés, a longtemps reposé entre les mains de quelques membres du groupe de travail qui ont pu en vérifier la validité en l'utilisant, notamment à la Bibliothèque nationale, pour le catalogage de milliers d'estampes et de photographies anciennes ou contemporaines.
Cette année verra la réunion d'un nouveau groupe chargé de mettre à jour un texte plus clair, et plus simple.
L'encouragement de la presse
La lecture de la presse n'est pas un mince encouragement à ce travail de longue haleine. La mixité des techniques (le collage, la photocopie, la photographie peinte), aussi bien que les techniques nouvelles (image de synthèse, photographie électronique, hologramme, conversion des images en bit-map), ont donné à la dénomination « image fixe » une légitimité que la gravure ou la photographie n'avaient semble-t-il pas suffi à lui décerner. On rencontre aujourd'hui fréquemment l'expression, dans les journaux spécialisés comme dans la presse générale, et plus personne ne s'en étonne. C'est la mesure anecdotique du chemin parcouru : il y a des années, les premières réunions du groupe de travail AFNOR s'étaient engagées dans un débat plutôt vif sur cette expression que d'aucuns jugeaient d'une complète absurdité...
Mai 1993