Constuire une bibliothèque universitaire. De la conception à la réalisation
Paris : Le Cercle de la librairie, 1993. - 304 p. : ill. ; 30 cm. - (Coll. Bibliothèques)
ISBN 2-7654-0518-2 : 395 F
Le nouveau manuel élaboré, sous la direction de Marie-Françoise Bisbrouck, à la DPDU 1 avec un groupe d'experts varié et motivé, vient à son heure. Il honore ses auteurs par sa rigueur et son exhaustivité. Il n'y manque en effet ni les grandes idées, exposées dans une première partie sur les missions des bibliothèques universitaires (Daniel Renoult) et leur place dans l'université et la ville (Pierre Merlin, directeur de l'Institut français d'urbanisme), ni les analyses les plus techniques en matière de sécurité, d'ergonomie ou de circulations par exemple.
Une démarche maîtrisée
Jamais, il faut le dire, la démarche de programmation des bibliothèques n'avait été en France aussi maîtrisée. L'analyse des besoins fait l'objet de passages les plus novateurs, incluant des paramètres qu'on néglige habituellement en particulier celui de la variation des rythmes de la vie des étudiants. Curieusement cette question n'avait pas, jusqu'à ces dernières années, retenu l'attention des programmateurs américains, habitués à voir grand et peu soucieux de rentabilité des espaces. La crise économique a mis ces questions à l'ordre du jour, y compris aux Etats-Unis et les calculs de taux de remplissage des places de lecture (comparés même à ceux des salles de spectacle ou des transports en commun) intéressera sans doute nos collègues mieux dotés que nous.
L'une des nouveautés aussi de ce manuel est de nous présenter, de façon détaillée, plusieurs expériences étrangères qui peuvent paraître exemplaires (Boston, Kassel, Stockholm et Groningen) et de prendre en compte les données utilisées à l'étranger pour les comparer aux nôtres. Les comparaisons sont cruelles : 70 heures d'ouverture hebdomadaire en Allemagne (la BPI 2 n'ouvre « que » 64 heures), 1 agent pour 115 étudiants (à ce taux les bibliothèques françaises devraient tripler leurs effectifs), 1 place pour 12 étudiants à Birmingham Polytechnic (ce qui donnerait 25 000 places en région parisienne !), etc. Mais il est bon de les rappeler, pour stimuler nos efforts. Ce souci d'intemationalisation se retrouve dans la bibliographie, dont la richesse explique la compétence de ceux qui l'ont maniée puisqu'elle inclut non seulement les ouvrages de référence étrangers mais aussi ceux des domaines voisins (archives) et de tous les domaines concernés (éclairage, acoustique, maintenance des locaux...).
Nouveautés et complétude
Le chapitre sur l'analyse quantitative des besoins offre donc une méthodologie solide que chacun adaptera à son terrain, car, Daniel Renoult le répète, ces données ne sont pas des normes. Chaque site doit trouver ses mesures, mais une chaise est une chaise et les schémas modulaires qui nous apprennent ici à composer avec les mètres linéaires, compacts ou non, en accès-libre ou en magasin, avec les postes de travail, avec ou sans écran, les salles de travail en groupe et les bureaux du personnel, constituent en quelque sorte un vocabulaire de base incontestable que chacun articulera à sa guise mais dont il ne pourra faire l'économie. En avons-nous assez griffonné de ces plans improvisés d'implantations ou de réaménagements en calculant tant bien que mal les m2 nécessaires ! Ils sont ici présentés avec clarté, précision et il reste au bibliothécaire à les transposer dans son espace et à les traduire dans le langage qu'il voudra.
Il est difficile de relever les lacunes dans un ouvrage qui semble à peu près complet. Pour mémoire, j'ai regretté qu'on n'insiste pas davantage sur l'ensemble des questions de signalétique, essentielles en bibliothèques (d'autant que des études précises ont été publiées en France à ce sujet), et qu'on oublie, dans le chapitre sur l'ergonomie, la consultation debout des lecteurs, pratique universelle qu'il faut prendre en compte pour les flux (engorgements de certains secteurs), les postes de travail (écritoires, tables hautes). Ce ne sont que deux défaits : on en signalera d'autres pour la deuxième édition.
Nouveauté aussi, la part accordée aux questions financières (Jacques Chalançon, ingénieur des Ponts et Chaussées) et aux procédures des jurys d'architecture si mal maîtrisés (Laurent Maunory, architecture urbaniste), aux contraintes techniques (accès des handicapés, mesures de flexibilité, mesures d'ambiance... par Hubert Dupuy et Brigitte Joachim).
Ces 300 pages seront donc notre manuel, à garder sous la main, car, au-delà de ceux qui ont la chance de participer à la programmation de nouveaux équipements, trop rares encore, il sera d'usage quotidien pour tout aménagement, amélioration des dispositions des postes de travail ou des rayonnages (cf. l'excellent chapitre de Jacqueline Leroy sur le mobilier), références aux normes de conservation et de sécurité, références aux taux moyen d'encombrement au sol, de charge, de flux de circulation, aux systèmes de protection ou de transport des documents.
Il faut dire aussi que ce manuel dépasse de beaucoup les intérêts des seules bibliothèques universitaires. Il leur est particulièrement adapté mais d'une part, les questions posées par d'autres bibliothèques de recherche ne sont pas sensiblement différentes, et d'autre part, même pour la lecture publique, il existe un tronc commun d'expériences et des leçons identiques. Tout ce qui est dit sur les étapes de l'élaboration du projet (Yves Dessuant, architecte), sur la conversion des bâtiments existants (Denis Froidevaux, auteur des bibliothèques municipales de Nevers et d'Arles) est valable dans tous les cas de constructions de bliothèques appelées à recevoir un large public.
Des experts
Il est satisfaisant de constater que les experts français, à la tâche depuis deux décennies, ont su capitaliser leur savoir et nous le présenter avec une telle compétence. Marie-Françoise Bisbrouck d'abord, nous fait ici profiter de sa longue expérience à la Direction du livre (où elle avait piloté la publication de La bibliothèque dans la ville en 1984, aux éditions du Moniteur, épuisé et dont on attend une nouvelle version) et à La Villette, ainsi que Jacqueline Leroy, conservateur, à l'origine de la BPI aux côtés de J.-P. Seguin, de l'Institut du monde arabe et aujourd'hui à la bibliothèque de l'Ecole des mines, François Lombard, architecte, l'un des programmateurs du Centre Pompidou et secrétaire du jury de la bibliothèque d'Alexandrie, Hubert Dupuy, conservateur et Isabelle Crosnier, architecte, nous font part de la leur pour le Centre technique du livre en chantier à Marne-la-Vallée pour la Bibliothèque de France et les BU d'Ile-de-France, Madeleine Jullien et Maggy Pezeril de leur récente expérience de conservateurs, programmatrices de nouvelles BU, l'une à Montpellier, l'autre à Paris VIII.
Une telle réunion d'expertise nous rend d'autant plus déconcertés devant les erreurs et les tergiversations de la programmation de la Bibliothèque de France, ou devant le mépris auquel se sont heurtés les conservateurs lors de la décision de construire à Jussieu une bibliothèque, dont le parti s'apparente de toute évidence plus à celui d'un musée que d'une bibliothèque universitaire et transforme les utilisateurs en personnes handicapées. Espérons que l'autorité de ce manuel évitera à l'avenir de telles contre-performances et stimulera la création architecturale. Le bâtiment doit être beau, mais si le programme ne l'est pas, le bâtiment ne le sera pas davantage. C'est de l'harmonie des usagers que naît l'harmonie des volumes et la gratuité n'a pas plus de sens en architecture qu'en économie. C'est ce que nous enseigne, pour l'un et l'autre, ce travail de fond, fruit, on peut le dire, de vingt années d'expériences communes entre les architectes et les bibliothécaires francais.