Voyage en Internet
Jacques Faule
Internet, au foisonnement presque déraisonnable, est d'abord un lieu de rencontre sans hiérarchie. En fait, c'est la contribution de chacun qui est appréciée, discutée, critiquée et non son titre ou sa fonction.
Le réseau des réseaux
Cette volonté de se mettre en réseau et la simplicité de rapports, que la rédaction électronique suppose et induit, gagnent le milieu professionnel français : j'en veux pour signe la détermination de certaines grandes institutions comme le Conseil supérieur des bibliothèques, la Bibliothèque de France, l'Ecole polytechnique, la Chambre de commerce et d'industrie de Paris - et le Centre Benjamin Franklin - à se brancher sur « le réseau des réseaux », et aussi la forte détermination des pionniers de l'Urfist 1, au premier rang desquels figure Anne Sanouillet qui vient d'animer à Nice Sophia-Antipolis une journée de formation et de réaliser un précieux micro-guide d'Internet 2.
La qualité du service rendu par le bibliothécaire et le documentaliste repose indéniablement sur la conjonction de deux compétences : la connaissance documentaire et le savoir-faire technique. Ce qui est décisif aujourd'hui, c'est le facteur temps. Les réseaux permettent de gagner en rapidité : sur la même machine, l'interrogateur reçoit des données, les traite et les expédie, ceci en quasi-simultanéité.
Le courrier du troisième type
Frédéric Vitoux dans Libération du 16 juin 1992 décrit excellemment « le courrier du troisième type » : « Le réseau préféré des professionnels de la high tech est Internet, une gigantesque toile d'araignée à l'échelle planétaire : 25 millions d'abonnés dans le monde, un trafic quotidien équivalent à 26 millions de pages de texte. Ce réseau est aujourd'hui exploité par un consortium à but non lucratif rassemblant IBM, MCI Telecommunications et Merit New Network. »
Dennis Allison, professeur d'architecture informatique à l'université de Stanford et cofondateur de Hal Computers Systems, note, quant à lui : « Pour tuer la recherche aux Etats-Unis, il suffit de couper Internet », et il ajoute : « Le gain en productivité est énorme : des échanges qui prendraient des semaines par courrier classique sont réglés en un ou deux jours grâce à Internet ». Cela explique pourquoi la plupart des courriers électroniques grand public y sont connectés.
Cependant, s'il semble impensable, aux Etats-Unis, de se passer du courrier électronique, ce dernier n'a pas, en France, le même impact et l'usage du minitel n'est pas encore comparable à celui de l'Electronic Mail dans les entreprises américaines. Bien après le développement des messageries privées aux Etats-Unis, le minitel vient de lancer « Minicom ». Pratique et simple si l'on veut vérifier l'état de son compte en banque, le minitel, écrit Frédéric Vitoux, est « le Solex de la connectique française : c'est simple, ça marche, mais, dans l'entreprise, il n'est pas un outil de management. » Le fait qu'en France, le courrier classique fonctionne bien n'incite pas non plus les entreprises françaises à avoir recours au courrier électronique, alors qu'aux Etats-Unis, une lettre pouvant mettre une semaine d'est en ouest - et encore si elle ne se perd pas -, il est logique que les envois importants se fassent par l'intermédiaire de services privés, plus onéreux bien sûr.
Enfin, conclut Frédéric Vitoux, une grande majorité des patrons français sont « illettrés » dans le domaine de l'informatique. « Quant aux énarques, ajoute-t-il, la majorité d'entre eux considère le fait de taper eux-mêmes un simple mémo comme la dégradation ultime. Difficile dans ces conditions de voir l'exemple venir d'en haut, pour encore une génération ».
Un collège invisible
Réseau informel, collège invisible de bibliothécaires : 1 400 sites en Europe 3 et 8 000 sites hors Europe, aux Etats-Unis, en Asie, en Israël et en Australie sont connectés précisément à Internet. L'un des plus grands forums électroniques, le PASC-L (Public access computing systems) est animé par 4 000 bibliothécaires de quarante nationalités différentes. Participant à cette table ronde, je reçois tous les matins une vingtaine de messages, de dix lignes à deux pages, sur tous les problèmes que se pose la profession.
Un dernier mot sur Internet qui, grâce au système de passerelle mis en place par certains gros ordinateurs, permet d'accéder non seulement à d'énormes catalogues, mais aussi au texte intégral d'oeuvres classiques ; ainsi la recherche de citations sur l'ensemble des sonnets ou des pièces (33 pièces sur 38) de Shakespeare est proposée sur Dartmouth College Library Online System.
Enfin, G. Brett met en garde contre ce qu'il appelle la prolifération des réseaux et une croissance incontrôlée d'Internet, qu'il considère déjà comme un accès à l'excès (« to access to excess »). Il est vrai, fait-il remarquer, que, via Internet, on accède déjà à quelque deux cents catalogues qui comptent parmi les plus grands du monde. Il ne s'agit plus seulement pour le bibliothécaire de naviguer, au gré des flots, dans une bibliothèque électronique, mais de se transformer en cybernéticien, c'est-à-dire de tenir un gouvernail.