La grande misère des bibliothèques anglaises
Alors qu'en France, les bibliothèques publiques connaissent un essor sans précédent depuis plus de 10 ans, il semble que nos voisins d'Outre-Manche rencontrent de sérieuses difficultés, comme en témoignent des articles parus récemment dans la presse britannique.
Délabrement des rayonnages
Tel est le titre d'un article de Catherine Bennett, paru dans le Guardian du 1er mars dernier 1. « Il se passe quelque chose d'étrange dans la bibliothèque du quartier d'Holborn [à Londres] : il y a plein de rayonnages vides. " En fait, dit l'un des bibliothécaires, nous sommes en train de massacrer la bibliothèque ".
Les bibliothèques ne sont pas le sujet le plus sensationnel du monde. Même en Grande-Bretagne, c'est Fergie qui fait la une des journaux plutôt que les bibliothèques. C'est pourquoi ce massacre des livres a pu passer inaperçu. Le problème des bibliothèques publiques est difficile à appréhender car celles-ci sont gérées par les collectivités locales avec tout le désordre et le désintérêt que cela implique. D'ailleurs, vous-même avez peut-être envie d'arrêter là votre lecture. Hé bien ! Faites-le si vous pensez que les bibliothèques n'existeront plus dans quelques années, des bibliothèques encore gratuites, avec suffisamment de livres pour être encore utiles, des bibliothèques ouvertes aux heures qui vous conviennent.
Fermetures et suppressions en tout genre
C'est la deuxième de ses trois bibliothèques de référence que le conseil municipal démantèle. La bibliothèque municipale de Saint Pancras a été fermée en 1988, malgré des manifestations protestant contre la fermeture. Actuellement, la section de référence sur le commerce et l'industrie d'Holborn, qui a déjà souffert de restrictions budgétaires et d'une politique d' " ouverture " anti-élitiste ayant mélangé livres de références et livres de prêt, va être également dispersée.
" C'est extrêmement déprimant " dit l'un des bibliothécaires, parlant prudemment à mi-voix.
" J'ai toujours pensé que l'importance de l'information était son côté démocratique, l'accès à l'information donne du pouvoir ". Si c'est ainsi, pourquoi les bibliothécaires ne font-ils rien ?
" Notre seule arme est de faire grève " dit l'un d'eux, " mais nous ne sommes pas une industrie et il serait très difficile de retrouver un travail si on était renvoyé ".
Un quart des livres est vendu à bas prix, le reste va être déménagé dans la bibliothèque de prêt de Holborn où on leur a fait de la place en vendant d'autres livres. Ce fonds va ainsi rejoindre les bandes vidéo, la littérature de gare, et des rayonnages de romans de Kung Fu en langue originale.
" Je serais la dernière personne au monde qui pourrait trouver des arguments pour couper les crédits de la bibliothèque " dit le sous-directeur des " loisirs " à Camden, chargé des bibliothèques, qui n'est pas bibliothécaire. " Je pense que c'est un service valable et que cela va au-delà des livres. En période de récession, on aurait plutôt besoin d'un tel service ". Alors pourquoi a-t-il récemment envisagé d'éliminer la moitié de ses bibliothèques ? Pourquoi ses annexes sont-elles fermées jusqu'à trois jours par semaine ? " Quand je porte mon autre casquette, celle de membre du conseil municipal, il n'est pas question que je tolère des dépassements de crédits trop importants ". Ainsi ce n'est pas sa faute si la qualité de service des bibliothèques ne cesse de diminuer.
Une tradition fortement ancrée
" Mais alors, à qui la faute ? " demande Lee Montague, un acteur qui mène une campagne en faveur d'une bibliothèque municipale du quartier d'Hampstead, où les journaux et périodiques ne sont plus achetés par le conseil municipal, mais par " Les amis de la bibliothèque ". " Ce n'est pas ma faute, je ne gaspille pas. Je paie ma Poll Tax. 2 Comment se fait-il que certaines municipalités peuvent fournir ces services et d'autres pas ? ".
Partout où le service fourni par les bibliothèques se réduit de plus en plus à des collections mal réparties de livres en mauvais état, on trouve des lecteurs mécontents qui protestent en vain.
" Ils disent que c'est à cause de restrictions budgétaires, mais la bibliothèque est pleine chaque jour " dit une gardienne d'enfants, qui, deux fois par semaine, conduit son petit groupe à la bibliothèque de East Greenwich. Charmante bâtisse en briques rouges, construite en 1905, elle est l'une des nombreuses bibliothèques bâties au tournant du siècle, grâce à William Carnegie. Celui-ci écrit en 1913 : " Les bibliothèques méritent la première place comme instruments d'élévation des masses ". Cette déclaration ne plaît sans doute pas à certains bibliothécaires britanniques qui disent que les bibliothèques publiques, fondées en 1850, sont "une invention bourgeoise destinée à faire taire les travailleurs ".
C'est en effet cette même bourgeoisie victorienne qui s'arrangeait pour que les bibliothèques soient ouvertes le soir, afin que le prolétariat puisse se calmer jusqu'à des heures tardives. Maintenant, les bibliothèques sont fermées en dehors des heures de travail. D'ailleurs, la plèbe d'East Greenwich pourra désormais faire autant de bruit qu'elle le souhaite, sa bibliothèque va être vendue le 31 mars prochain. C'est la quatrième bibliothèque que le conseil municipal d'East Greenwich ferme en deux ans.
Les habitants ont fait des réunions publiques, acheté des pins, soutenu une veille organisée par un employé des postes qui a utilisé la bibliothèque pendant 40 ans. " Je viens d'un milieu très modeste, j'ai dû interrompre ma scolarité, mais mes maîtres m'ont battu pour que j'apprenne à lire. Alors je me suis éduqué en lisant des livres. Maintenant je suis à la retraite. J'ai commencé un cours à l'université, je suis allé à la bibliothèque pour chercher des livres d'art, ils n'étaient plus là. Ils avaient commencé à se débarrasser de leur fonds ".
Les responsables se sont bien rendu compte que fermer la bibliothèque serait une véritable perte, mais il fallait économiser 30 M £. " C'est le gouvernement qu'il faut blâmer ", disent-ils.
A qui la faute ?
C'est sans aucun doute par la faute des gouvernements Tories, qui ont une haine forcenée du secteur public, et de leur stupide Poll Tax que les autorités locales ont dû réduire les services. Il est vrai également que, dans certaines régions plus pauvres, les bibliothèques sont moins protégées. Des enquêtes ont été ouvertes pour voir si certaines régions se conformaient à la loi de 1964 sur les bibliothèques. Elles ont eu pour résultat d'en faire rouvrir quelques-unes (...).
Comme beaucoup de collectivités locales feraient n'importe quoi pour échapper à l'opprobre liée à la fermeture de bibliothèques, ce sont les heures d'ouverture au public qui illustrent le mieux les dommages. En 1974, 229 bibliothèques étaient ouvertes 60 heures par semaine. En 1992, il y en avait 18, dont une seulement à Londres et aucune dans le Pays de Galles.
La caricature du bibliothécaire le décrivant comme une personne discrète ne faisant pas de vagues est donc une réalité ? Même lorsque les bibliothécaires sont désolés de l'état de leurs collections, menacés d'être mis au chômage et en désaccord avec la politique menée par les non-bibliothécaires qui les dirigent, le comportement politique et menaçant de certaines collectivités locales les réduit au silence.
A la bibliothèque de Camden, les employés traitent un des membres du conseil municipal de " Pol Pot" et parlent ouvertement de "la police de la pensée ".
A Waltham Forest, où le conseil a réduit de moitié les crédits d'acquisitions depuis 1980, où on s'apprête à fermer une bibliothèque ainsi que le centre de documentation scolaire et où les postes de bibliothécaires ont été gelés depuis juillet dernier, les bibliothécaires ont finalement réagi.
La directrice de la bibliothèque de Waltham Forest est devenue bibliothécaire pour les raisons suivantes : " Je crois à une information libre pour tous, au plaisir des livres et à la richesse qu'on en retire ". Elle considère que les services se sont dégradés de façon ahurissante.
Le conseil municipal aurait-il pu supprimer autre chose ? En fait les conseillers n'ont pas gelé les postes de directeurs pour lesquels, selon les annonces, on propose un salaire annuel de 36 000 £. Devant la menace de renvoyer les bibliothécaires dans leur foyer sans les payer s'ils refusent de couvrir les postes vacants, la directrice poursuit courageusement : " Ils ne comprennent pas comment les bibliothèques fonctionnent et ne sont pas d'accord avec leur philosophie. J'en suis tellement convaincue qu'il me serait égal de me faire licencier à ce sujet " ».