Musique imprimée en bibliothèque
Michel Sineux
Recréer un lien professionel entre les éditeurs de musique imprimée et les prescripteurs de documentation musicale (enseignants, bibliothécaires, libraires), tel était l'objet des journées de l'édition musicale qui se sont tenues, les 29 et 30 janvier derniers, à la Maison des conservatoires de Paris, sous l'égide de la Chambre syndicale des éditeurs de musique de France (CEMF). Au programme : un salon, qui rassemblait la plupart des éditeurs affiliés à la CEMF * ; une rencontre-débat autour du thème « musique imprimée en bibliothèques ».
Disons-le tout de suite, le salon n'a pas tenu ses promesses, car le « plateau » prestigieux d'éditeurs rassemblés n'a pas rencontré, quantitativement, le public qu'il méritait incontestablement. Pourtant, l'opportunité était bonne pour les musiciens, enseignants, bibliothécaires ou professionnels de la vente de voir réunis les principaux éditeurs et distributeurs de partitions de musique classique. Elle ne se produit qu'une fois par an, à Musicora, puisque le Salon de la musique (Music'Expo) semble de plus en plus réservé aux éditeurs de musique non classique.
Absence de musique imprimée en bibliothèques
En prenant l'initiative de ces premières journées professionnelles de l'édition musicale, la Chambre syndicale des éditeurs de musique de France semblait aussi se faire l'écho d'inquiétudes manifestées par les institutionnels, déplorant l'absence de musique imprimée dans les bibliothèques publiques, inquiétudes exprimées récemment devant le Conseil supérieur des bibliothèques, qui entendait sur ce sujet, à l'instigation de François Lesure, les responsables du département de la Musique à la Bibliothèque nationale, de la bibliothèque de l'Opéra, de la médiathèque du Conservatoire national supérieur de la Paris, de la discothèque des Halles.
Jean-Manuel de Scarano, président de la CEMF, ouvrant le débat sur la présence de la musique imprimée dans les bibliothèques, déplora globalement la pauvreté du matériel musical imprimé proposé dans les institutions et, notamment, dans le cadre scolaire. Réunis à l'initiative de la rédaction du mensuel Ecouter Voir, divers acteurs de la chaîne économique et documentaire de l'édition musicale se sont exprimés. Catherine Massip, directrice du département de la Musique à la BN, a rapidement dressé une typologie des partitions et des publics auxquels elles sont destinées. Evoquant la question de l'adéquation de l'offre à la demande, elle a regretté le manque de statistiques fiables, obstacle à une évaluation réelle et sériée de cette demande. Michel Goldberg, musicien, enseignant, auteur d'une méthode de saxophone-jazz, et Claude Fabre, directeur des éditions Outre-Mesure, ont respectivement décrit leur métier, les relations auteur-éditeur, pour regretter le manque de supports professionnels, d'outils promotionnels pour ce secteur de production. Sylvie Minkoff, directrice des Editions Minkoff, s'est penchée sur les problèmes du métier d'éditeur musical, tout particulièrement sur ceux propres aux fac-similés, mettant en balance les coûts de revient et leurs amortissements aléatoires. Quant à l'éditeur Francis van de Velde, il s'est employé à définir le rôle de diffuseur et, insistant sur la nécessité d'une normalisation des messages, s'est réjoui de la prochaine promulgation d'une numérotation internationale des partitions (ISMN).
Une situation préoccupante
Du côté des intermédiaires culturels (bibliothécaires, discothécaires), trois expériences significatives ont été analysées : celles de la Maison des conservatoires de Paris et du Conservatoire national de région de Boulogne, d'une part, et de la médiathèque intercommunale Istres-Miramas-Fos, d'autre part. D'un côté, des établissements destinés aux praticiens ou enseignants de la musique ; de l'autre, une institution à vocation de lecture publique. Dans tous les cas, les prescripteurs sont dans l'attente d'un partenariat plus efficace avec les éditeurs. Mal recensée, la production de la musique imprimée est aussi mal diffusée. Sur le terrain, le bibliothécaire, le discothécaire, le documentaliste, ont des difficultés à cerner la production et à s'approvisionner. Aussi le travail de Jean-François Maleki en liaison avec François Béranger, libraire à Avignon (Le Kiosque à musique) a-t-il vivement intéressé l'assistance. Les responsables des bibliothèques de la région lui confient volontiers la question d'un budget pour la constitution d'un fonds de base qu'ils entretiennent ensuite en fonction de leurs budgets.
Le non-dit dans les rencontres officielles est souvent aussi important que ce qui est exprimé. Les carences et les dysfonctionnements signalés dans nombre d'interventions trahissaient, bien sûr, les symptômes d'une situation plus globalement préoccupante. Une vie musicale locale, tout juste en voie de réanimation, explique la grande pauvreté en gisements de musique imprimée en France, qu'il s'agisse d'organismes institutionnels (bibliothèques, discothèques, conservatoires, écoles d'enseignement musical) ou privés (librairies, sociétés musicales). Si le développement des conservatoires nationaux de région semble être une incitation à l'ouverture de nouvelles librairies musicales dans l'hexagone, la place encore insuffisante réservée à la musique dans les bibliothèques publiques et, corrélativement, l'absence de formation des bibliothécaires et des documentalistes à la gestion de cette documentation particulière, qui de surcroît devrait être multimédia, sont autant de freins à l'essor d'un secteur étroit et fragile de l'édition. Ces premières journées ont d'autant plus de prix, en ayant ouvert un dialogue et une réflexion propres à faciliter et à mieux harmoniser les relations interprofessionnelles.