La bibliothèque au service de la communauté

rencontre Europe Est-Ouest

Jean Jouffret

Le séminaire « La bibliothèque au service de la communauté », organisé du 28 au 30 janvier 1993 par Souad Hubert pour la Bibliothèque publique d'information et Antje Schurek pour le Réseau UNAL 1, ainsi que par l'association APPEL 2, a été l'occasion de partager des expériences entre les pays de la CEE 3 (Grande-Bretagne, Allemagne, France) et les pays de l'Est (Russie, Estonie, Slovaquie, Hongrie, Roumanie et Bulgarie). Pour la plupart des participants, il s'agissait là d'un premier contact. Il est vrai que ce genre de rencontre aurait été impensable ne serait-ce que voilà deux ans.

Comment ne pas exclure ? Comment servir en dépit des handicaps physiques, sociaux, des différences ethniques ? Ces questions ont un sens partout. Les problèmes affrontés sont comparables même si leur dimension varie selon l'état des pays concernés.

La sortie des enfers

Les pays de l'Est viennent de vivre un bouleversement politique sans précédent. Ils ont tous acquis une nouvelle liberté de lire, de s'informer et aucun bibliothécaire ne semble regretter l'ordre ancien. Les ouvrages interdits sont sortis des « enfers » où ils avaient été relégués. Cependant, la crise économique est fortement ressentie, les nouvelles structures politiques et le nouveau pouvoir économique sont encore balbutiants, à des degrés divers. Madame Havas, de la bibliothèque municipale Erwin Szabo de Budapest nous a montré, sous la forme d'une chronique portant sur toute une époque, comment les bibliothécaires avaient vécu ces bouleversements.

En tout état de cause, l'Est européen a hérité de nombreuses bibliothèques de valeur, riches d'une déjà longue tradition, intéressant un public vaste, comme l'a montré l'état des lieux des bibliothèques slovaques exposé par Monsieur Katuscak. La bibliothèque municipale de Bucarest est issue d'une riche tradition, de même que la bibliothèque des littératures étrangères de Moscou, pièce maîtresse d'un réseau de valeur avec ses 5 millions de volumes, qui abrite aujourd'hui les instituts culturels français, allemand, anglais et américain et bientôt l'institut japonais.

Des lieux de refuge

L'Europe de l'Ouest subit une crise économique sévère mais ses ressources sont encore considérables. Toute crise étant facteur d'exclusion, les bibliothécaires français, allemands, britanniques doivent concentrer des moyens sur les catégories marginalisées.

Dans tous les cas, les bibliothèques, même les plus prestigieuses comme la bibliothèque des littératures étrangères à Moscou, figurent comme lieux de refuge. La présence de marginaux à la BPI n'a rien d'un phénomène spécifique.

Les bibliothèques britanniques ont présenté deux types d'action en faveur des exclus qui n'ont rien à voir avec la crise actuelle. La Library Association du Staffordshire s'est penchée sur les problèmes des gitans, minorité traditionnellement victime de brimades, aux enfants victimes de l'illettrisme et de l'échec scolaire. Elle a étudié les moyens de contacts possibles avec ces « gens du voyage » qui ne sont presque jamais usagers des bibliothèques. Cette expérience menée à Leeds pourrait inspirer d'autres actions ailleurs. Le Library and Information Centre de Ballymena (Irlande du Nord) s'est penché sur les problèmes des personnes âgées ou empêchées de se déplacer. Pour ces catégories, nombreuses dans cette région de l'Irlande, il n'y a pas d'autre solution qu'un aménagement intérieur spécifique des locaux ou des visites à domicile. Une politique d'envergure a été mise en œuvre.

Les problèmes ethniques ont nourri les débats. Abdel-Wahid Allouche a montré la spécificité française laïque, jacobine, qui ne reconnaît pas de communauté constituée et met l'accent sur l'intégration. Certaines expériences visant à ressourcer les immigrés dans leur culture d'origine ont été évoquées. Elles sont parfois liées aux politiques du moment comme l'aide au retour.

Le multilinguisme est la vocation spécifique de la Bibliothèque internationale pour la jeunesse de Munich dont les collections, aussi exhaustives que possible, peuvent servir aux communautés étrangères vivant en Allemagne ou ailleurs. Ici, il s'agit bien de maintenir un héritage culturel ethnique parfois menacé, même dans des pays indépendants comme l'Estonie où l'étroitesse du marché ne permet que peu d'éditions en langue nationale.

La France a présenté deux cas exemplaires d'action sociale. Dans la région bordelaise, la bibliothèque municipale de Blanquefort fait face aux problèmes classiques des zones périphériques des grandes villes : échec scolaire et illettrisme, recherche d'emploi, difficultés d'intégration. Située au sein d'un ensemble culturel et éducatif plus vaste, elle répond autant que possible aux préoccupations des habitants. On pourrait dire la même chose de la bibliothèque Pierre Budin du XVIIIe arrondissement de Paris qui dessert une population de nationalités diverses et peu habituée au livre. Ici une politique active de rencontre des usagers s'impose car il existe bien une barrière culturelle qui leur interdirait l'entrée dans les locaux de la bibliothèque.

  1. (retour)↑  UNAL : Unesco Network of Associated Libraries, Unesco, 7, Place Fontenoy, 75352 Paris 07 SP, tél. 45 68 44 32, télécopie 43 06 16 40.
  2. (retour)↑  APPEL : Association pour la promotion et l'extension de la lecture.
  3. (retour)↑  CEE : Communauté économique européenne.