Les bibliothèques et les réseaux électroniques de la recherche

Clarisse Marandin

L'URFIST de Paris 1 a organisé, le 11 février 1993, une journée d'étude sur les bibliothèques et les réseaux de la recherche. Les objectifs de cette journée étaient de mieux faire connaître les réseaux électroniques de communication de la recherche tels que Bitnet, Internet et Renater, en présentant leur historique, leur organisation, les services offerts et les usages, et en s'interrogeant sur la place des professionnels de l'information dans ces réseaux.

Historique

Claire Panigel, conservateur à l'Urfist de Paris, a tracé l'historique de leur développement. Arpanet a été le premier réseau de la recherche mis en place à la fin des années 60 aux Etats-Unis par la DARPA (Defense Projects Research Agency) : il reliait uniquement des agences fédérales dans le domaine de l'informatique, mais il servira de modèle aux projets ultérieurs, notamment pour le développement des protocoles TCP/IP (Transmission Control Protocol/ Internet Protocol).

Pendant les années 70, on assiste à la multiplication, à un niveau local ou régional, de systèmes de communication propres aux institutions de recherche (réseaux de campus, réseaux disciplinaires ou par type de matériels). C'est le début des années 1980 qui verra la mise en place de réseaux nationaux. En 1981, Bitnet, installé par IBM à l'Université de Yale, est le premier réseau pour chercheurs non spécialisés en informatique. Son protocole est différent de celui d'Internet, mais aujourd'hui des passerelles permettent de passer de l'un à l'autre pour le courrier électronique. La NSF (National Science Foundation) met en place en 1984 NFSnet, le réseau à haut débit (de 1,5 megabit/seconde au début pour passer à 45 megabits /seconde) qui interconnecte les réseaux d'agences, les réseaux régionaux et un certain nombre de réseaux de campus. Les autres réseaux de la recherche dans le monde, comme Janet (Grande-Bretagne ) ou SURFnet (Pays-Bas), y sont reliés. Internet est donc constitué de la multitude des réseaux qui utilisent les protocoles TCP/IP, dont Arpanet puis NFSnet ont été le fondement. En termes d'organisation, chaque université reste responsable de ses choix, chaque réseau régional décide de sa politique et assume les charges de connexion.

Un essor considérable

Le début des années 90 se caractérise par l'essor considérable de ces réseaux et leur ouverture aux entreprises. Bitnet reliait vingt universités en 1982 et aujourd'hui plus de 500 sites aux Etats-Unis, 100 au Canada, 700 en Europe par l'intermédiaire de EARN (European Academic Research Network). Quant à Internet, plus de 1, 5 million de machines sont connectées dans 47 pays représentant 5 à 10 millions d'utilisateurs, avec une progression mensuelle d'en moyenne 10 %. Enfin, le dernier projet est celui du NREN (National Research and Education Network) mis en place en 1989 sous l'égide d'Albert Gore : ce réseau à très haut débit devra permettre d'accroître les ressources en information et communication des chercheurs de disciplines nécessitant des systèmes très puissants de traitement et de modélisation des données (physique...), mais il devra également servir l'industrie, le gouvernement et l'ensemble de l'enseignement (y compris les écoles primaires et secondaires).

En ce qui concerne l'Europe, le réseau EARN s'est mis en place avec le soutien d'IBM en 1984. Par ailleurs, il existe deux réseaux d'interconnexion en Europe : Europanet (protocole IP et X25), successeur en 1992 du réseau IXI (mode X25 uniquement), géré par l'association RARE (Association des réseaux de recherche européens) et EBONE, créé en 1991, par les principaux utilisateurs du protocole IP en Europe. En France, les premiers réseaux régionaux sont apparus en 1988. Puis en 1990-1991, les ministères de l' Education nationale, de la Recherche et de la Technologie, des Postes et Télécommunications lancent Renater (Réseau national de télécommunication pour la recherche). Renater fédère des réseaux régionaux par un réseau national d'interconnexion (RNI) et permettra un accès aux réseaux étrangers.

Françoise Renzetti de l'IMAG (Institut d'informatique et de mathématiques appliquées de Grenoble) a ensuite présenté les services et outils offerts par l'Internet et la manière dont la médiathèque en tire parti 2.

Les services offerts

Outre le plus connu, le courrier électronique ou mail, les services offerts sont les suivants :
- Telnet, qui permet de se brancher à une machine distante connectée au réseau et d'y travailler comme sur un terminal local. C'est par ce moyen que l'on peut accéder à de nombreux services comme les catalogues de bibliothèques, les répertoires des ressources du réseau ;
- FTP, un logiciel qui assure le transfert de fichiers entre deux machines connectées au réseau. De nombreux produits peuvent ainsi être récupérés : logiciels, journaux électroniques... ;
- enfin Usenet news, qui regroupe l'ensemble des machines qui échangent des articles selon leurs centres d'intérêt et appelés newsgroup.

Pour aider à mieux exploiter le flot d'informations circulant dans le réseau, des outils de recherche de l'information sont apparus :
- Archie, qui remplit une fonction de répertoire permettant la localisation des fichiers contenus dans les sites « FTP anonymes » (machines permettant un accès anonyme à leurs fichiers, c'est-à-dire qu'en tapant le terme « anonyme » et son adresse électronique, au lieu d'un login et d'un mot de passe attribué par le gestionnaire du service, on obtient l'accès aux fichiers).
- WAIS, logiciel de recherche de l'information fonctionnant selon un mode client serveur ; 362 bases WAIS existent actuellement, comme par exemple la Bible indexée en texte intégral, des revues,...
- GOPHER, système de recherche d'information se présentant sous forme de menu guidé.
- WORD-WIDE-WEB, système hypertexte de recherche d'information.

La médiathèque de l'IMAG s'est d'abord servi du mail pour promouvoir les revues de l'Institut. Pour les besoins de gestion interne du service, elle utilise les news pour tenir à jour son information professionnelle, évalue et compare ses acquisitions en consultant les catalogues des bibliothèques, cette consultation pouvant également constituer une aide au catalogage. Des commandes d'ouvrages peuvent aussi être effectuées puisque des librairies spécialisées sont accessibles sur le réseau. L'interrogation des banques de données est une autre potentialité exploitée par la médiathèque (Dialog et l'ESA sont accessibles via Internet). Le réseau est aussi un bon outil de contact qui permet d'offrir un service de type SVP, d'obtenir des autorisations d'utilisation de films des auteurs eux-mêmes,... La démarche de recherche et d'obtention de littérature grise est simplifiée par l'usage du réseau.

L'utilisateur a accès aux catalogues de la médiathèque et à ceux d'autres bibliothèques, ce qui lui permet de réaliser ses bibliographies à faible coût. Il est également prévu de mettre à disposition un certain nombre de documents en texte intégral (rapports de recherche par exemple) et même une collection électronique de périodiques et de textes fondamentaux. Un service de diffusion sélective de l'information (DSI) va être créé. Ce foisonnement de possibilités offertes par le réseau a nécessité la mise en place de formations qui ont lieu à chaque rentrée universitaire.

Alors que ce premier exemple montre comment des documentalistes ont réussi à s'intégrer dans la communauté desservie en utilisant les mêmes outils que leurs chercheurs, l'exemple d'INRIA-GRAPHLIB, service décrit par Pierre Jancène, chercheur à l'INRIA, illustre la prise en main par les chercheurs eux-mêmes de la gestion de leur information professionnelle. L'objectif de ce service est de trier, centraliser, organiser, mémoriser et rendre accessible en permanence les informations professionnelles de la communauté travaillant dans le domaine de l'informatique graphique. Parmi les rubriques d'INRIA-GRAPHLIB, on trouve l'annonce de colloques, le répertoire des laboratoires du secteur, des associations, les publications. Un fichier des questions et des réponses les plus souvent posées a été réalisé. L'enregistrement des messages et des adresses permet de savoir quelles sont les rubriques les plus interrogées et les pays de provenance des questions. La médiathèque de l'IMAG propose également un service de réponses types pour les questions les plus souvent rencontrées.

Les réseaux et les bibliothèques

Jack Kessler, consultant AKCO INC/USA, a ensuite décrit les ressources accessibles sur l'Internet intéressant le monde des bibliothèques : plus de 300 OPAC (Online public access catalogues) sont disponibles ( bibliothèques américaines mais aussi australiennes, anglaises, canadiennes,...). Des services de plus en plus nombreux donnent accès au texte intégral (Shakespeare, à Dartmouth) ; 80 conférences électroniques peuvent concerner les bibliothèques : sur les CD-ROM en réseau, en passant par les groupes d'utilisateurs de serveurs, de logiciels, le prêt entre bibliothèques, les bibliothèques juridiques, médicales,... Il existe aussi de plus en plus de journaux électroniques comme Acqnet (The Acquisitions Librarians Electronic Network). La liste de tous ces services peut être demandée à l'Urfist de Paris. Jack Kessler a écrit un ouvrage très complet sur la question 3.

Gislaine Chartron, maître de conférence à l'Urfist de Paris, s'est attachée ensuite à donner des informations pratiques sur la manière de se connecter à Internet : il faut bien sûr un ordinateur, équipé d'un modem et d'un logiciel de communication, et ouvrir un compte sur un serveur du réseau. Pour les établissements isolés (non reliés à un réseau de campus par exemple), l'accès à ce serveur se fera par Transpac ou une ligne spécialisée. Renater permet d'accéder à Internet et à d'autres réseaux. Sinon, il est toujours possible, en faisant le 36 16 ALTERN, d'ouvrir une boîte aux lettres pour correspondre avec le monde Internet. Ensuite, pour se lancer, il est nécessaire de connaître quelques commandes Unix, par exemple. L'Urfist a l'intention d'organiser des sessions de formation.

Gislaine Chartron a ensuite résumé les avantages, pour les bibliothèques et plus largement l'information scientifique et technique, du développement de tels outils : en ce qui concerne les bibliothèques, elle s'est appuyée sur un article 4 qui montre que les bibliothécaires interrogés utilisent à 93 % le courrier électronique, à 61 % les listes de discussion et forums, les possibilités offertes par Telnet et FTP à respectivement 39 et 37 % ; 11 % seulement s'en servent pour leurs communications personnelles et les activités de loisirs, possibilités que l'on connaît bien en France grâce au Minitel.

Pour l'information scientifique et technique en général, ces réseaux multiservices permettent une mise en commun de ressources locales sur un même média qui assure une convergence des résultats et des outils de travail scientifiques. Ils favorisent le travail coopératif. Les contraintes espace / temps peuvent être contournées, puisqu'il est possible d'avoir accès à des sources diversifiées dans un espace mondial. L'IST est intégrée aux outils habituels du scientifique sur sa station de travail. Un dernier avantage est d'ordre économique : le regroupement des acteurs de la recherche leur permet d'obtenir des tarifs intéressants.

Michel Melot a clôturé la journée en appelant les bibliothécaires français à prendre leur place dans ce genre de dispositif, Jack Kessler et d'autres participants étrangers ayant manifesté leur regret de ne pas trouver beaucoup de collègues français sur le réseau pour pouvoir échanger avec eux. Dans le même sens, les bibliothécaires français devraient s'engager beaucoup plus dans des travaux de prospective : on manque d'experts et de compétences dans des domaines comme SGML 5 qui pourrait remettre en cause les formats MARC par exemple. Comme certains participants à la journée, il s'est interrogé sur la manière dont le respect du droit d'auteur est assuré dans un tel contexte. D'autres questions encore ont été soulevées, telles l'impact de ce genre d'outils sur l'organisation des bibliothèques, les modes de tarification appliquées dans le cadre d'Internet et de Renater et le coût que cela peut représenter. Questions qui, assurément, demanderaient l'organisation d'une nouvelle journée.

  1. (retour)↑  Unité régionale de formation à l'information scientifique et technique de Paris, Ecole des Chartes, 17, rue des Bernardins 75005 Paris.
  2. (retour)↑  Cf. Bull. Bibl. France, 1992, t. 37, n° 2, 1992, p 72-77.
  3. (retour)↑  Jack KESSLER, Directory for online fulltext resources, Meckler, 1992.
  4. (retour)↑  Sharyn J. LARDNER et Hope N. TILLMAN, « How special librarians really use the Internet », Canadian Library Journal, vol. 49, n° 3, juin 1992.
  5. (retour)↑  SGML : Standard Generalized Markup Language.