Éléments pour la conception d'un système multimédia

par Yves Desrichard

Anne Chenet

Paris : ADBS Editions, 1992. -153 p. ; 30 cm. - (Sciences de l'information : Recherches et documents).
ISBN 2-901046-48-7 : 145 F.

Le multimédia ! Anne Chenet rappelle dans son introduction que, depuis deux ou trois ans, le mot est à la mode, et que revues professionnelles comme journaux grand public s'en sont emparés, tandis que les salons spécialisés, en grand nombre, se disputent des applications, souvent plus rares, annoncées et présentées avec force déploiement médiatique.

C'est que, à la confluence de deux mondes jusque-là strictement définis, informatique d'un côté, audiovisuel de l'autre, le concept a de quoi séduire, et promet aux générations futures la réalisation de produits « d'information globale » qui seraient en quelque sorte l'aboutissement d'un (supposé ?) vieux rêve de l'humanité.

Des progrès techniques et intellectuels

Modestement intitulée Eléments pour la conception d'un système multimédia, la remarquable étude d'Anne Chenet est à la fois plus et moins que cela. Moins que cela, car le lecteur ne trouvera pas là des éléments suffisants pour passer à l'élaboration d'un produit multimédia. Plus, car, décrivant à la fois avec précision et clarté tous les aspects du « multimédia », elle livre au néophyte comme au lecteur plus averti les éléments de compréhension du domaine, avec une verve réjouissante pour un exposé résolument technique.

Pour Anne Chenet, un système multimédia est, succinctement défini, un ordinateur capable de gérer et de traiter des données informatiques, du son et de l'image. De là découle la distinction faite par l'auteur entre le multimédia proprement dit et le multimédia où l'on trouve par exemple les programmes d'apprentissage de langues qui comprennent livres et cassettes.

Du concept de multimédia découle celui d'hypermédia, lui aussi très à la mode, et qui serait du multimédia auquel on ajoute l'interactivité 1.

Dans le corps de son étude, Anne Chenet souligne que l'essor du multimédia et de l'hypermédia (plus annoncé qu'effectif) est lié à la conjonction de progrès techniques et intellectuels dans plusieurs domaines :

L'approche hypertexte 2/ hypermédia, qui permet de « naviguer » dans les bases d'information, au gré de l'utilisateur, en s'affranchissant du principe de linéarité ou, au contraire, de sélection précise qui préside le plus souvent à l'utilisation de données multimédias, et qui est adaptée aux modes de consultation préconisés pour les produits multimédias.

L'approche système de gestion de bases de données, où l'auteur étudie plus particulièrement les SGBD relationnelles, les plus répandues actuellement, et les SGBD orientées objet. Sans entrer dans le détail conceptuel de ces deux modes d'élaboration de SGBD, on peut dire que, dans le premier, les données et leurs propriétés d'une part, les traitements qui peuvent leur être appliqués d'autre part, sont distincts, tandis que, dans le second mode, ils peuvent être confondus. Ces SGBDR et SGBDOO permettent de faire face aux complexités de programmation de produits multimédias, que ce soit dans le traitement des données ou dans le traitement des modes de consultation de ces données.

Le développement de normes et de standards d'échange de documents, notamment SGML 3, ODA 4, pour faciliter l'échange de données textuelles de type éditorial (SGML) ou bureautique (ODA), mais aussi MHEG 5, « inspiré » d'ODA mais développé pour des usages multimédias, et HyTime. L'utilisation de ces normes devrait permettre, à terme, de faciliter la compatibilité des produits et des matériels.

Un chemin encore long

Le stockage des données, avec l'avènement des mémoires optiques, telles que le vidéodisque, le CD-ROM 6, le DON 7, etc. et bien sûr le CD-I 8, récemment lancé sur le marché français par Philips, supports qui permettent de stocker les importantes masses de données nécessitées notamment par le traitement d'images et de sons.

L'avènement des réseaux, et notamment des réseaux numériques de type RNIS 9, commercialisé par France-Télécom sous la dénomination Numéris, qui facilite la transmission de ces données.

Le développement de normes de compression et de décompression des données, telles que JPEG 10, pour la compression de données images fixes, H261, pour la compression de données transmises par les réseaux de type RNIS, ou MPEG 11 pour la compression des données images animées, qui permettent de limiter le volume de données à stocker, et d'améliorer les temps de transmission de ces données.

L'avènement de matériels et de logiciels développés ou adaptés pour le multimédia, tels que le MPC 12, Windows Multimedia, ou les différentes cartes qui permettent de faire gérer à un ordinateur individuel « de base » des données multimédias, comme le son ou l'image fixe.

Le développement de logiciels multimédias et de systèmes auteurs, permettant la création d'applications spécifiquement dédiées à la gestion de bases multimédias, parmi lesquels on retrouve bien sûr Hypercard d'Apple, mais aussi Guide pour les PC 13, Hyperdoc et bien d'autres.

Les interfaces graphiques, qui améliorent le « dialogue » entre l'homme et la machine, ce qui se révèle d'autant plus nécessaire que les données à traiter sont plus hétérogènes et les modes d'accès plus complexes et plus étendus, et dont Windows est la plus connue.

On apprécie particulièrement la concision du propos et la vivacité du style qui fait que, malgré la multiplication de sigles, de concepts plus ou moins ardus, et de notions (techniques, informatiques) hétérogènes, le lecteur assimile facilement les éléments de base des différents domaines abordés.

Avant de conclure, Anne Chenet part à la recherche de... l'« hyper-lecteur » 14, confronté à la peur de l'hyperespace, ou perdu dans l'hyperbase... Au-delà de l'aspect résolument anticipation du propos, l'auteur a le mérite de montrer que, comme souvent, la technique d'une part, les avancées logicielles de l'autre, ont abouti à créer des produits certes séduisants, mais qui ne répondent pas forcément à des besoins connus et qui, par conséquent, ne sont pas forcément adaptés aux usages qu'on pourra en faire...

Après avoir fait, en introduction, un rapide résumé des applications (encore timides en nombre et en qualité) effectivement accessibles dès à présent, Anne Chenet souligne que le chemin est encore long jusqu'à la concrétisation des promesses des uns et des autres.

Enfin, au terme de cette étude foisonnante et stimulante, elle souligne que « le multimédia est trop nouveau pour que l'on puisse au préalable réaliser une étude des besoins ou un cahier des charges et que l'on puisse avoir une idée de la méthodologie à adopter pour créer un système d'information multimédia ». L'avenir sera juge (et parti...) de l'avènement du multimédia... ou de sa stagnation.