Culture et gestion
Martine Poulain
L'heure est à la réflexion sur la gestion des établissements culturels territoriaux. Ce fut l'objet de deux journées d'études organisées par l'Observatoire des politiques culturelles, avec la concours de la ville d'Amiens, les 21 et 22 janvier dernier.
Un peu d'histoire
De quand dater la naissance des politiques culturelles ? Les uns les font naître au XIXe siècle, d'autres après la Seconde Guerre mondiale, d'autres enfin dans les années 60, voire en 1982 !... Laissant ce débat en suspens, Guy Saez, professeur à l'Institut d'études politiques de Grenoble, préfère prendre trois exemples de politique culturelle locale (Saint-Etienne, Dijon, Grenoble) et s'intéresser aux modes de leur gestion.
A Saint-Etienne, existait au XIXe siècle un théâtre de variétés, géré en concession. Lorsqu'une municipalité socialiste est élue en 1900, elle veut « aller au peuple », faire jouer Victor Hugo et des pièces d' « éducation socialiste ». Elle fait passer le théâtre en régie directe et baisse les tarifs.
A Dijon, les élus du Front populaire veulent « rendre au peuple » ce qui lui a été ravi des richesses artistiques. Le théâtre passe là aussi en régie directe, le soutien aux associations d'éducation populaire est fort, une bibliothèque de lecture publique est créée à côté de la bibliothèque patrimoniale municipale.
A Grenoble, dans les années 70, la tendance sera à la cogestion des établissements culturels avec les animateurs et le public.
Quelles seraient les différences entre les modes de gestion des établissements culturels territoriaux dans les années 70 et aujourd'hui ? Dans les années 60-70, « on pense que c'est le politique qui doit organiser le social avec deux modes de gestion principaux : la régie directe et le financement des associations ». Aujourd'hui, on demanderait plutôt aux établissements publics d'intégrer les modes de gestion privés. Si « les années Vitez » ont été celles de « l'élitisme pour tous », l'heure est aujourd'hui à l'argumentaire économique. On revendique l'investissement dans le secteur culturel comme étant créateur d'emplois. D'où l'accent sur la professionnalisation. La politique culturelle devient un secteur administré comme tous les autres secteurs de la vie française. Mais Guy Saez de conclure « plus les équipements seront bien gérés, plus les exigences de sens seront fortes... Mais il faudra bien trouver un point d'équilibre entre la gestion et le sens ».
De nouveaux statuts juridiques à l'épreuve
Si l'on parle gestion, estime Jacques Renard, directeur de l'administration générale au ministère de l'Education nationale et de la Culture, ce n'est pas seulement parce que la crise économique y contraint. C'est aussi parce que l'ampleur de la demande a changé la donne, conduisant du même coup à une nécessaire modernisation du service public.
Jacqueline Domenach, professeur de droit à l'université Pierre Mendès-France de Grenoble, fit un point juridique. Il existe trois grands modes de gestion. La gestion directe, rigide certes, a permis en un siècle le développement du service public. Elle n'est sans doute pas à rejeter. La gestion personnalisée nécessite un texte de loi et peut conduire à deux types de structures : les établissements publics administratifs ou les groupements d'intérêt public et les établissements publics à caractère industriel et commercial. Ces deux structures peuvent, estime Jacqueline Domenach, se combiner. La délégation est le cas où une collectivité confie la gestion d'une activité à une personne publique par convention. Jacqueline Domenach estime qu'une collectivité territoriale, voire un même établissement, devrait pouvoir associer plusieurs de ces modes de gestion.
Depuis dix ans, la tendance est de chercher à rompre avec des principes de droit public trop rigides. Et ce d'autant plus que l'on souhaite faire la preuve que l'efficacité n'est pas seulement industrielle, que gestion culturelle peut rimer avec évaluation. D'où plusieurs propositions : celle du GIP (groupement d'intérêt public), plus partenarial, dont le contrôle reste étroit, mais dont l'existence doit être temporaire ; celle de la société à but non lucratif ; celle de l'établissement public culturel ; celle des formules intercommunales (communautés de communes ou communautés de villes). Jacques Renard confirmera dans la discussion qu'une loi devrait prochainement autoriser les collectivités à choisir pour certaines de leurs institutions le statut d'établissement public territorial.
Les faits : une enquête
René Rizzardo, qui préside aux destinées de l'Observatoire des politiques culturelles, présenta les premiers résultats d'une enquête auprès de 25 équipements situés dans dix villes (musées, bibliothèques, opéras, centres d'action culturelle, théâtres, etc.). La plupart sont en régie directe. Pour plusieurs raisons : volonté de contrôle a priori, tradition historique, pesanteurs réglementaires imposées par l'Etat, toujours présent à un moment donné de l'existence et des projets des établissements. La variété des mises en œuvre de cette régie directe comme des attentes quant aux évolutions de la gestion est très grande. L'impatience aussi. Le recours à la coopération intercommunale est très faible. La demande d'indicateurs de gestion très forte. Les établissements diversifient de plus en plus leurs activités, tout en voulant garder des missions de service public. La nouvelle trilogie discursive des responsables d'établissements est aujourd'hui : modernisation et nouvelles activités, service public, réseau.
Trois principales critiques sont faites à la régie directe : son manque de précision dans la définition des objectifs ; sa rigidité et sa lourdeur associées à l'impossibilité de la réaffectation des recettes et à la difficulté dans la passation de marchés ou de contrats ; le manque de souplesse des statuts de la fonction publique qui rendent difficile la motivation et la mobilité des équipes.
Les autres interrogations des professionnels des différents établissements culturels rejoignent celles que se posent aujourd'hui les bibliothécaires. Elles concernent l'absence de répartition des compétences entre les différentes collectivités territoriales ; le manque de clarté dans l'identification de la tutelle ; la question de la tarification, généralement mal supportée ; le fonctionnement par annuité budgétaire, contraignant ; la trop grande ampleur des responsabilités de direction, beaucoup demandant la création de postes de secrétaire général. Du côté des élus, on s'inquiète des coûts, des missions, des statuts des personnels.
Le projet culturel de musée
Pour Dominique Vieville, de la Direction des musées de France, « le musée doit témoigner du monde » : « faire de l'histoire, comme présenter des collections, c'est poser au passé les questions du présent ». Depuis 1991, la Direction des musées de France développe un projet culturel de musées, chaque musée devant finaliser un ensemble d'actions dans le cadre d'objectifs précis, selon un calendrier défini incluant bilan d'étape et évaluation. Confrontés à une multiplicité de missions, les musées doivent, selon Dominique Vieville, les hiérarchiser : « Tous les musées n'ont pas à remplir toutes les missions assignées aux musées ». Un projet de musée se doit aussi de définir des partenaires et des destinataires. Le rôle du conservateur est alors de fédérer des compétences et non d'être le seul détenteur des connaissances ou des responsabilités.
Un discours et une conception qui ne sont pas vraiment étrangers au monde des bibliothèques...