Éditorial

Quels services pour le service public ? A interrogation aux entendements pluriels, réponses elles aussi plurielles.

Plusieurs questions se posent aujourd'hui fortement aux bibliothèques et aux bibliothécaires qui, loin de penser que l'éternité espérée des documents qu'ils conservent les protège de tout besoin de déterminer leurs missions dans une conjoncture donnée, s'essaient à y répondre.

Ces questions ne sont pas toutes nouvelles. Loin s'en faut. Chaque époque a décliné des interrogations proches. « Tout étudiant doit-il travailler au café ? », s'interrogeait le Figaro littéraire en 1951, critiquant les conditions d'accueil dans les bibliothèques universitaires parisiennes d'une population étudiante alors décrite comme étant en pleine croissance... « Le nombre de prêts de la bibliothèque municipale de Chinon a doublé » se réjouissait en 1953 tel autre quotidien local...

Tout succès présente des effets pervers. Toute reconnaissance impose de nouvelles attentes. Les bibliothèques sont donc en cette fm de siècle plus que jamais confrontées à une augmentation des publics, à la croissance de leurs besoins et de leurs exigences, parfois contradictoires.

Les stratégies des bibliothèques face à cette « imposition de la demande » sont diverses. Ici on mettra tout en œuvre pour la satisfaire, là on mettra toute son habileté pour tenter de la transformer, voire de la contrarier. Ici, on espère qu'une modernisation de l'offre permettra de mieux répondre à un public qui a toujours, voire de plus en plus, besoin d'une médiation.

Ailleurs, on s'essaie à marier le politique, l'administratif et le professionnel, qui tous imposent leur logique - et leurs illogismes -dans la tentative de construire des réseaux. Réseau, mot magique et polysémique, où chacun voit l'unique solution qui permette de répondre à l'infini des demandes effectives ou potentielles des publics, sans contraindre chaque bibliothèque à se donner à elle seule l'ensemble des missions dévolues à elles toutes. Cette question, faut-il le dire une fois de plus, est de loin la plus importante. De la mise en place de véritables réseaux documentaires, portés par des collectivités aux responsabilités partagées, dépendra la pérennité du développement actuel des bibliothèques.

On le voit, ces questions marient aujourd'hui plus que jamais des réflexions d'ordre professionnel, certes, mais aussi culturel, administratif, politique, économique, idéologique.

Et chaque époque porte aussi ses consensus, ses évidences, ses refus, ses tabous, sa conception de termes tels celui de « service public ». Aux années qui faisaient par exemple de la gratuité du service public de base presque une évidence, une condition sine qua non pour la réussite des missions qu'il se fixait, succèdent les années 90, qui voient certains la considérer presque comme un archaïsme, une incapacité à penser notre modernité. Un débat qui englobe tous les autres et ne saurait en aucun cas être résumé au seul argumentaire du réalisme économique, fût-il impérieux.