Les entretiens Nathan
Lecture, Actes I - Lecture et Écriture, Actes II
Les Entretiens Nathan se présentent comme le rendez-vous de chercheurs de haut niveau concernés par les pratiques pédagogiques et de praticiens désireux d'analyser et donc de mieux contrôler leurs stratégies pédagogiques. C'est la recherche de cette « collaboration dynamique » qui explique à la fois la fréquence annuelle des Entretiens, la diversité des intervenants et la variété des domaines explorés.
Stimulation intellectuelle
La pluralité des contributions est à l'évidence un gage de stimulation intellectuelle («Comment apprendre à lire si personne ne lit autour de vous? » d'Edith Ackermann, « La lecture : une activité stratégique » d'André-Jacques Deschênes ou « L'homme littéré : interactions entre écriture et culture » du McLuhannien Derrick de Kerckhove) ; c'est aussi le témoignage d'une ouverture réelle à des horizons culturels peu habituels ou à des problématiques peu rencontrées (« Histoire d'une écriture mixte : le cas du japonais » de la japonisante Cécile Sakaï, «Lecture, phonologie et surdité » du psychologue expérimentaliste Jesus Alegria ou encore « Lire et écrire dans le tiers-monde » de Léon Gani, par exemple).
Mis à part l'inévitable présence d'articles qui souffrent d'avoir été manifestement bâclés ou compilés une énième fois, l'inconvénient d'une telle formule est bien sûr un éparpillement de l'intérêt sur des sujets multiples qui sont traités de façon très spécialisée ou d'un point de vue très particulier. Heureusement, un certain nombre de contributions font très clairement un précieux état de la question, sans pour autant se déprendre de toute originalité de pensée (citons entre autres « L'acquisition de la concience phonologique et les mécanismes d'identification des mots » de Liliane Sprenger-Charolles, « L'écrit : perspectives cognitives » du professeur Michel Fayol ou la très structurante communication de Jean-Michel Adam sur « Les plans d'organisation du texte »).
Mystères expliqués
Dans ces deux premières publications la part belle est faite aux premiers apprentissages et à la lecture dans une perspective généralement psycho-linguistique ou cognitive. Les problèmes liés à la pratique d'écriture sont abordés de façon plus hétéroclite et les interventions qui concernent l'élaboration didactique du savoir savant ne sont ni les plus nombreuses ni les plus convaincantes. Les pratiques culturelles des lecteurs sont enfin trop rarement prises en compte. Par bonheur, l'article de François de Singly « Le mystère de la baisse de la lecture de livres » et celui de Béatrice Fraenkel « L'appropriation de l'écrit : la lecture-écriture » sont parmi les plus intéressants.
Le sociologue passe en revue différentes hypothèses faiblement explicatives selon lui du désenchantement des jeunes vis-à-vis de la lecture (baisse très hypothétique du niveau scolaire, concurrence somme toute indirecte de la télévision) ; il avance par contre une double explication originale :
- le livre (la littérature) a rétrogradé dans la hiérarchie scolaire et élèves et familles tendent à avoir, en fait, un rapport instrumental ou même consumériste à la lecture (« un enfant qui aime lire est un enfant dont la scolarité est plus aisée » susurrent les publicités des journaux pour jeunes) ;
- la pédagogie parentale distingue de plus en plus entre activités scolaires (où les contrôles et les exigences sont maintenus) et activités de loisirs (où un libéralisme tempéré et bien entendu laisse beaucoup plus de latitude à l'expression de la « culture jeune »...).
D'où, chez les adolescents, une réticence marquée à s'abandonner aux charmes ambigus du « plaisir obligatoire de lire » !
Textes mimés et minés
L'historienne oppose elle la « lecture ruminative », intensive et passive à une autre attitude également traditionnelle qui est la lecture active et savante, celle qui laisse des traces et ses marques dans les livres. L'activité de lecture s'épanouit parfois en effet en écriture marginale ou interlinéaire, s'expanse en glose, en corrections savantes, en remarques critiques ou en digressions lyriques ; bref le texte ainsi fragmenté et travaillé devient un pré-texte dans la mesure où il est comme la genèse textuelle d'un autre texte qui le mime ou le mine, l'imite, le déborde, le contoume, l'enserre ou le contredit.
On ne citera pour mémoire que le cas de Catherine Eamshaw, l'héroïne du roman d'Emily Brontë, Les hauts de Hurlevent, qui décrit (et cache) le journal de sa passion coupable dans un exemplaire personnel de la Bible... ou l'exemple de ce clerc du Moyen Age qui inscrit sur un calendrier lunaire les événements de son existence personnelle, dans un superbe geste de cosmologique humilité (on pourrait suivre les avatars ordinaires de cette pratique dans les fragments de mémoire populaire qui s'écrivent dans les maigres espaces du calendrier des Postes).
Cette écriture des lectures perdure certainement sous des formes intimes ou professionnelles, au grand dam des bibliothécaires qui tiennent leurs lecteurs à l'œil et préfèrent sans doute au marquage trop personnalisé du texte la simple caresse oculaire des pages...