Europe et bases de données

Clarisse Marandin

Martine Poulain

Le Groupement français de l'industrie de l'information 1 organisait le 3 novembre dernier avec d'autres partenaires une journée de réflexion rassemblant professionnels et juristes sur le projet de directive européenne concernant la protection juridique des bases de données.

Le projet de directive

La Commission des Communautés a en effet présenté le 29 janvier 1992 une proposition de directive qui devrait entrer en vigueur le 1er janvier 1993 2. Par « bases de données » la Commission entend en fait « une collection d'œuvres ou de matières disposées, stockées et accessibles par des moyens électroniques ». C'est dire que CD-ROM, vidéodisques, CD-I 3 sont concernés, tout autant que l'information en ligne.

Partant du constat que les différentes législations nationales sont disparates et ne permettent pas une claire protection des bases de données, la Commission a souhaité une harmonisation plus grande. Cette protection apparaît comme le fondement nécessaire à l'établissement et au bon développement du marché européen de l'information. Il s'agit donc de garantir les investissements des créateurs de bases de données en les protégeant des actes de piraterie et de concurrence déloyale.

Tous ont reconnu le caractère opportun dans son principe, mais, comme l'avait indiqué précédemment Jean Martin, avocat à la cour, chargé d'enseignement à Paris IX, ce projet de directive présente certes des facteurs sécurisants, mais aussi des éléments de déstabilisation, voire franchement insatisfaisants 4.

Satisfactions...

Au titre des facteurs satisfaisants :
- la confirmation de l'application du droit d'auteur aux banques de données (article 2.1 : « Les Etats membres protègent les bases de données par le droit d'auteur en tant que collection »). La directive tente d'harmoniser la notion d'originalité, à définir l'objet protégé, à préciser la titularité et l'exercice des droits,
- une protection additionnelle, par la création d'un droit spécifique, qui a pour objectif de protéger le contenu des bases de données non couvertes par le droit d'auteur en donnant les moyens d'interdire l'extraction et l'utilisation déloyales. Comme Michel Vivant, doyen de la faculté de droit et des sciences économiques de Montpellier, a eu l'occasion de le préciser, ce droit spécifique n'est pas un droit de propriété, mais autorise la défense du contenu de l'ouvrage,
- le texte prévoit aussi « le droit d'incorporation dans une banque de données, sans autorisation préalable du titulaire des droits, de matières bibliographiques ou de courts extraits, citations ou résumés d'une œuvre protégée, dès lors qu'ils ne se substituent pas à l'œuvre elle-même ».

Et inquiétudes

Du côté de la déstabilisation :
- Le projet fait cohabiter des droits très différents qui rendront son application et son interprétation complexes. Difficulté renforcée par un manque de clarté du texte aux plans terminologique et rédactionnel et quant à ses objectifs,
- les participants des différents ateliers se sont interrogés sur la signification des expressions « à des fins commerciales », « utilisateur légitime », ou encore se sont demandés comment ajuster la notion de créateur d'une banque de donées aux intervenants du secteur (producteur, serveur),
- le créateur de bases de données peut interdire l'extraction de données sous réserve qu'il s'agisse de « parties substantielles » d'une base et fait dans un esprit de « concurrence déloyale ». Les participants estiment quant à eux que le problème majeur est l'extraction suivie d'une réutilisation. Qu'en est-il de l'utilisation par un tiers ? Comment situer la question du télé-déchargement dans cette conjoncture ? L'utilisation dans le cadre d'une bibliothèque peut-elle être considérée comme relevant de la catégorie d'« utilisation à des fins commerciales » ?
- certains objectifs de la directive ne sont pas clairement explicités : à travers la mise en place de licences, il semble bien que ce soient les relations entre secteur public et secteur privé que l'on aient tenté de structurer.

L'Europe et l'utilisateur final

Autre question soulevée : celle de l'arbitrage. La directive est muette sur ce point. Mettra-t-on en place une instance de ce type ? A quel niveau ? National ? Communautaire ? Ou les litiges éventuels relèveront-ils des tribunaux ? Lesquels ?

Jérôme Huet, professeur de droit à l'université de Paris V, a appelé les professionnels à ne pas se montrer trop pessimistes à l'égard de cette initiative. Le droit d'auteur n'est pas suffisant pour protéger les bases de données, le droit de la concurrence trop complexe à mettre en oeuvre. Si un bon contrat peut constituer une protection suffisante - l'attention a été attirée à de multiples reprises sur l'intérêt fondamental de veiller à bien rédiger celui-ci -, il n'en demeure pas moins que certains accès à l'information s'en passent : l'accès par minitel à de nombreuses bases de données en est un exemple.

Autant de questions où le point de vue entendu a surtout été celui des producteurs et concepteurs de bases de données et où l'on a peu traité de l'utilisateur, notamment dans le cadre d'un espace public, tel celui d'une bibliothèque ou d'un centre de documentation. N'y aurait-il pas quelque utilité à ce que les préoccupations émises à propos des deux circulaires de la Communauté (celle évoquée ici et celle sur le droit de prêt évoquée plus haut) et qui concernent chacune les principaux nœuds de la chaîne documentaire, se rencontrent et échangent leurs points de vue ?

  1. (retour)↑  Groupement français de l'industrie de l'information (GFII), 25 rue Claude Tillier, 75012 Paris.
  2. (retour)↑  Ce projet de directive a été publié dans son intégralité dans Infotecture du 25 février 1992.
  3. (retour)↑  CD-Rom : Compact Disc Read Only Memory. CD-I : Compact Disc Interactif.
  4. (retour)↑  Jean MARTIN, 11 juin 1992, « Note synthétique des orientations de la directive ».