La révolution de l'imprimé à l'aube de l'Europe moderne

par Dominique Varry

Elizabeth L. Eisenstein

trad. Maud Sissung et Marc Duchamp
Paris, La Découverte, 1991. -354 p. - (Textes à l'appui)
ISBN 2-7071-2029-4 : 240 F.

Les éditions La Découverte viennent de livrer, dans leur collection Textes à l'appui, une traduction du livre d'Elizabeth Eisentein The Printing revolution in early modern Europe 1. De fait, ce volume constitue une version abrégée du grand livre, non traduit en français, que l'auteur, professeur à l'université de Michigan, avait donné en 1979 sous le titre The printing press as an agent of change 2. On doit donc se réjouir d'une telle initiative qui permettra à un public plus large que celui des Annales ou de l'Histoire de l'édition française, dans lesquelles l'auteur a publié, de prendre contact avec une œuvre unanimement saluée par les spécialistes.

Version abrégée donc, mais version remaniée, corrigée et enrichie d'une cinquantaine d'illustrations, d'un travail qui est sur le métier depuis le début des années 60, et dont le questionnement avait été stimulé par les interrogations que portait alors Mc Luhan sur les effets réels de l'apparition de l'imprimerie en caractères mobiles.

L'ouvrage s'articule en deux grandes parties 3. La première, intitulée « L'émergence de la culture de l'imprimé en occident » évoque bien sûr la révolution technicienne. Mais bien au-delà, elle révèle les signes particuliers d'une culture de l'imprimé qui, petit à petit, s'affranchit de la gangue du manuscrit pour fonder de nouvelles interrogations et de nouvelles pratiques de l'appropriation des textes, conduisant à l'émergence d'une « République des Lettres ». Comme le souligne alors l'auteur, cet exposé ne se veut pas définitif, et ne vise qu'à ouvrir le champ de la recherche. On soulignera qu'avec les études en cours sur les « mises en texte », c'est bien sur ce terrain que portent actuellement les efforts de nombreux chercheurs.

La seconde, intitulée « Interaction avec d'autres changements » est peut-être plus stimulante encore, dans la mesure où, en trois chapitres, elle analyse l'apport du nouvel art à une Renaissance qu'il n'a pu qu'élargir dans l'espace et dans les domaines du savoir. Elle évoque son rôle dans la rupture que les Réformes ont occasionnée à la chrétienté occidentale, et dans la construction d'un véritable savoir scientifique.

L'imprimerie a certes eu des effets très immédiats dès ses premiers balbutiements, à commencer par la multiplication et la rapidité de reproduction et de diffusion des textes. Elle a aussi, et c'est tout le mérite du livre d'Elizabeth Eisenstein de nous le démontrer, entraîné des mutations dans les façons de penser, dans les méthodes de collecte de l'information et de travail des savants d'alors, en passe de devenir des chercheurs. Elle a profondément modelé le temps de son apparition, et influé sur ceux qui ont suivi. Comme le traduit le titre de la première version de cette réflexion, l'imprimerie fut bien un (et non l'unique) agent de la mutation des temps modemes.

La Révolution de l'imprimé est, le lecteur l'aura compris, un ouvrage de référence qui, comme L'Apparition du livre, en 1958, est appelé à avoir une postérité dans les travaux qu'il aura directement ou indirectement inspirés, suscités ou confortés.

  1. (retour)↑  Elizabeth L. EISENSTEIN, The Printing revolution in early modern Europe, Cambrige university press, 1983.
  2. (retour)↑  Elizabeth L. EISENSTEIN, The Printing press as an agent of change Communications and cultural transformations in early-modem Europe, Cambridge university press, 1979, 2 vol.
  3. (retour)↑  Voir en particulier le chapitre « Le livre et la culture savante » que l'auteur a donné dans le tome I, Le livre conquérant.