Moniteurs et « student assistants »

Philippe Rouyer

Les bibliothèques universitaires californiennes, pour faire face à un accroissement de la population étudiante tout en maintenant les horaires d'ouverture, font appel au monitorat étudiant. Les moniteurs se répartissent en trois catégories, correspondant à trois niveaux de compétences et à trois niveaux de rémunération. Ce système semble convenir aux étudiants et s'avère indispensable à la bonne marche de la bibliothèque.

University libraries in California call on student assistants to face up to the increase in student numbers while keeping on the hours of service. These student assistants are divided in three groups according to their abilities and to their remuneration. This system seems to suit students and proves to be essential to ensure the smooth running of the library.

Depuis plus de vingt ans, les bibliothèques universitaires françaises ont tendance à s'inspirer du modèle américain. S'appuyant sur une tradition déjà ancienne, et sur l'universalité de la langue anglaise, les Etats-Unis ont en effet développé un réseau de bibliothèques particulièrement dense, offrant au public des services multiples, le plus souvent gratuits.

Situation américaine

Les attributions de la bibliothèque américaine sont plus larges que celles de la bibliothèque française, qui se trouve épaulée dans son rôle d'information du citoyen, par d'autres institutions telles que les centres de documentation des chambres de commerce ou d'agriculture.

Tout comme en France, les universités ont connu aux Etats-Unis une explosion démographique depuis la fin des années soixante. En raison de l'immigration, et d'une natalité assez forte selon les critères européens, la population des Etats-Unis continue de s'accroître. Elle a augmenté de 9,8 % entre 1980 et 1990, pour atteindre 249 millions d'habitants. La population étudiante, qui était de 8,5 millions en 1970 (nombre d'inscrits) s'élevait à 13 millions en 1988. On relèvera la très forte proportion d'undergraduates (1er cycle et première année du 2e cycle), qui a fortement tendance à s'accroître : les undergraduates représentaient 87 % du total des inscriptions en 1988, contre 59 % en 1970. Cette tendance générale est encore accentuée en Californie : la population s'y est accrue de 25,7 % entre 1980 et 1990. Elle compte aujourd'hui 31 millions d'habitants, venus d'horizons les plus divers. En l'an 2000, plus de la moitié des habitants de la Californie sera d'origine non européenne : latino-américaine, asiatique, afro-américaine, indienne (Native Americans)...

Les bibliothèques universitaires de Californie doivent actuellement résoudre des problèmes de démographie, et de diversité culturelle, dont la France pourrait bientôt faire l'expérience. Pour faire face à une affluence croissante, tout en conservant des horaires d'ouverture étendus, les bibliothèques américaines font largement appel au monitorat étudiant.

La participation des étudiants au fonctionnement des services de l'université fait partie du paysage américain. Le travail des jeunes, étudiants ou scolaires, est une tradition, et sauf situations extrêmes, n'est pas lié aux ressources financières de la famille. Bien accepté par la société et par les intéressés eux-mêmes, le travail temporaire des étudiants est valorisé par les entreprises, et peut faciliter la recherche d'un premier emploi. Une législation du travail plus souple qu'en Europe favorise l'emploi des étudiants. Ils fournissent aux bibliothèques une main-d'œuvre incontestablement bon marché.

Les emplois temporaires non qualifiés ou peu qualifiés sont faiblement rémunérés aux Etats-Unis : le salaire horaire dans la distribution ou la restauration rapide est de l'ordre de$5, nets de toute cotisation ou charge patronale. Une expression est du reste apparue dans le jargon étudiant pour désigner ce type d'activités : Mac Job. Des rémunérations du même niveau sont pratiquées dans les universités : le salaire horaire varie entre$4,25 et$7,60, et n'est majoré d'aucune charge pour l'employeur. En comparaison, la vacation étudiante en France se situe, en raison d'une rémunération de base plus élevée et de charges sociales, entre$8 et$15. On peut dire en résumé que le vacataire étudiant français coûte pour la bibliothèque qui l'emploie, deux fois plus cher que son homologue américain.

Employant 228 étudiants, représentant approximativement 70 équivalents plein temps, la bibliothèque de San Diego State University recrute un peu plus que la moyenne des bibliothèques universitaires, mais ne se situe pas à un niveau exceptionnel. La dépense mensuelle est d'environ $40 000, soit, pour l'année, près d'un demi-million de dollars, ou 2,5 millions de francs. La moitié de cette somme est à la charge de la bibliothèque, l'autre moitié étant couverte par des fonds d'Etat destinés à aider les étudiants disposant de ressources personnelles insuffisantes.

Trois catégories d'emploi

Les emplois sont répartis en trois catégories, correspondant à différents niveaux de rémunération. La catégorie 1 correspond aux tâches ne demandant aucune expérience préalable, et n'exigeant aucune initiative : travaux d'exécution tels que reclassement des livres, alimentation en papier des photocopieurs, réparation des livres, renseignements élémentaires au public, mise en place ou retrait des publications (périodiques, microfiches), petite dactylographie. La catégorie 2 requiert une expérience ou des compétences particulières : l'étudiant est appelé à prendre des initiatives, et n'est pas directement encadré. Il peut même encadrer d'autres étudiants dans des travaux de routine. Il peut effectuer des recherches bibliographiques, travailler sur l'OCLC 1, entretenir ou réparer du matériel, intercaler les fiches selon les normes de l'ALA 2, faire office de réceptionniste, former ses camarades, se voir confier des travaux de dactylographie ou de saisie informatique,... L'étudiant au niveau 3 possède une expérience approfondie et/ou des compétences étendues. Il effectue des tâches techniques complexes, doit travailler de façon pratiquement autonome, et résoudre seul les problèmes qu'il rencontre. Il peut diriger d'autres étudiants, et assumer la responsabilité d'un secteur en l'absence du titulaire. Il peut aussi travailler sur traitement de texte, se livrer à des travaux bibliographiques complexes nécessitant la connaissance de langues étrangères, dépanner des matériels, être responsable de la banque de prêt,...

Les student assistants constituent une véritable catégorie de travailleurs, avec des définitions de fonction, et des structures d'encadrement. A la SDSU Library, 24 agents titulaires ont été désignés dans les services pour former, encadrer les étudiants et contrôler les présences. La gestion de la paye occupe un agent à temps complet. Les étudiants peuvent, sur avis favorable de leur supervisor, obtenir une promotion et être classés dans la catégorie supérieure.

Un travail indispensable

Tous les services de la bibliothèque font appel aux étudiants vacataires : acquisitions, catalogage, services techniques, administration-comptabilité, orientation bibliographique,... C'est cependant la banque de prêt, le service des magasins et la reserve qui en emploient le plus grand nombre : 75 étudiants sont affectés au service des magasins, 27 à la banque de prêt, 13 à la reserve. La bibliothèque, qui a fêté cette année son millionième volume, emploie plus de cent titulaires, dont une trentaine de bibliothécaires diplômés. On compte, les jours d'affluence, environ 10 000 visiteurs et plus de 2 000 prêts. Il est difficile d'évaluer les consultations sur place, dans la mesure où la bibliothèque est pour l'essentiel en libre-accès. On peut estimer que le nombre de livres devant être remis en place chaque jour se situe entre 5 et 6 000. Au reclassement d'ouvrages, il faut ajouter les reclassements de microfiches et microfilms, de fichiers et catalogues, en tout, plus de 3 millions d'unités documentaires. Ces reclassements sont en totalité effectués par les étudiants vacataires. Ce sont eux également qui assurent 80 % de l'effectif de la banque de prêt. Leur travail n'est pas utile, mais tout simplement indispensable au fonctionnement de la bibliothèque.

Pour mieux comprendre cette situation, qui peut surprendre un observateur français, nous avons interrogé les collègues, ainsi que les principaux intéressés, les étudiants vacataires, et décrit leurs différentes réactions dans les différents encadrés.

Don Bosseau, directeur de la bibliothèque, travaille depuis de nombreuses années avec les étudiants. Il reconnaît à la formule de nombreux avantages, mais en souligne les dangers. Il admet volontiers que les student assistants constituent une main-d'œuvre bon marché, indispensable en l'état actuel des choses au fonctionnement des bibliothèques universitaires américaines. Et les salaires resteront bas tant que subsisteront de faibles rémunérations pour les emplois temporaires dans les services et la restauration rapide, qui sont ordinairement d'une plus grande pénibilité. Pour Don Bosseau, comme pour l'ensemble des collègues, le recours au monitorat est une bonne formule pour faire exécuter des tâches répétitives, que l'on peut difficilement exercer à plein temps. D'accord dans son principe avec l'attribution d'un Oustanding student assistant award, Don Bosseau se montre prudent quant aux modalités d'attribution. Les valeurs « traditionnelles » américaines, le culte de la compétition, ne font plus l'objet d'un consensus. Les mentalités changent, d'autres valeurs culturelles et morales sont introduites.

Dans les bibliothèques universitaires américaines, en période de restrictions budgétaires, les crédits nécessaires à la rémunération des étudiants sont parfois dégagés en laissant des postes de titulaires non pourvus. Don Bosseau exprime ses craintes de voir l'Etat supprimer ces postes laissés vacants. Le recours aux étudiants a sans conteste des valeurs pédagogiques. Les étudiants s'initient au fonctionnement des bibliothèques et aux techniques documentaires. Le personnel apprend à mieux connaître les étudiants et leurs besoins. Il serait cependant souhaitable de limiter le nombre de vacataires. La qualité du service rendu serait incontestablement supérieure si les vacataires étaient proportionnellement moins nombreux. Les étudiants ne reçoivent pas, faute d'effectifs suffisants parmi les titulaires, toute la formation souhaitable.

En France, les règles de la fonction publique interdisent la confusion des crédits de personnel avec les crédits de fonctionnement. La législation sociale est telle que les étudiants rémunérés à la vacation ne seront jamais des travailleurs à bon marché. Nous n'aurons donc jamais à craindre une situation de déséquilibre. Mais, si les données sociales, économiques et culturelles sont différentes, l'expérience américaine peut nous apporter quelques renseignements. Elle met en évidence l'importance que revêt la formation du personnel, quel que soit son statut. Elle montre aussi que le recrutement de personnel non formé n'est pas nécessairement une mauvaise chose, dès lors que les institutions se dotent de moyens de formation interne appropriés, et suffisants.

Avril 1992

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