La politique du livre à la Médiathèque

Francis Agostini

Après une présentation des missions générales de la Médiathèque au sein de la Cité des sciences et de l'industrie, l'article passe en revue différents aspects de la politique du livre : politique d'acquisition, traitement, promotion.

This article first presents the general missions of the Médiathèque inside the Cité des sciences et de l'industrie and second goes through the different aspects of the book policy, processing, and promoting.

La Médiathèque est le pôle documentaire de la Cité des sciences et de l'industrie. Elle représente le « pour en savoir plus » des espaces d'exposition et un lieu de découverte pour tous ceux qui se rendent sur le site du Parc de la Villette.

Permettre à un large public d'entrer en contact avec la production éditoriale à caractère scientifique, technique ou industriel, telle est la mission de la médiathèque, dans le domaine du livre (les missions générales de la médiathèque ont fait l'objet d'une charte, jointe en annexe).

En premier lieu, il s'agit de proposer des collections de vulgarisation et des collections d'intérêt professionnel à un public qui n'a pas accès aux canaux traditionnels de diffusion de l'information scientifique et technique (IST).

Mais une simple mise à disposition n'assurerait un contact qu'avec le public le plus motivé. Aussi la médiathèque se propose-t-elle de familiariser ses visiteurs avec les fonds eux-mêmes et avec les systèmes d'accès à l'information.

L'importance des flux de public (4 000 entrées par jour en moyenne) conduit à imaginer des outils de communication permettant de faciliter l'orientation du public, la médiation documentaire et la promotion des collections : plan-mode d'emploi distribué systématiquement aux points d'information, « cabinet de curiosités » à l'accueil (cf. photo), présence renforcée de l'actualité, remodelage du point Information Santé, etc.

A un public occasionnel, dont une part importante ne fréquente pas les bibliothèques, il faut proposer des « clés » pour l'aider à se repérer dans la documentation disponible. Une demande d'information générale en service public peut déboucher sur une véritable initiation documentaire : utilisation du catalogue en ligne, maniement des ouvrages de référence, familiarisation avec les supports optiques et informatiques, connaissance de l'environnement documentaire.

Dans tous les cas, la médiathèque s'efforce de rendre autonome le public qu'elle accueille en privilégiant les catégories qu'elle vise particulièrement.

Politique d'acquisition

Que peut-on trouver sur les rayons ?

Les trois axes définis dans la charte peuvent se traduire en termes de politique d'acquisition :
- l'axe Loisir culturel est celui de la production de vulgarisation dans une acception étendue et s'adressant au public le plus large (y compris le public jeune) ;
- l'axe Education comprend les actions menées en collaboration avec le secteur éducatif ; il n'implique nullement de couvrir systématiquement l'édition scolaire et parascolaire pas plus que l'édition universitaire. Cette production, en effet, risquerait de noyer l'axe vulgarisation ;
- l'axe Professionnel est, d'une part, celui de la formation professionnelle, et d'autre part, celui d'une IST généraliste orientée vers la production et les services.

Il s'agit par exemple de fournir la documentation de base en vue d'une diversification d'activité au sein d'une entreprise, ou en vue de l'informatisation d'une tâche, d'une création d'entreprise ou d'un dépôt de brevet.

Cela n'empêche pas la médiathèque de définir des créneaux particuliers, dans lesquels elle souhaite pouvoir répondre à des demandes plus spécialisées. Mais, d'une façon générale, elle réoriente ce type de demande vers les centres de ressources spécialisés.

La médiathèque favorise tous les décloisonnements qui permettent d'élargir le public : un manuel du secondaire bien fait peut être proposé avec profit comme ouvrage de vulgarisation ; les livres de vulgarisation réussis sont utilisés avec les classes Villette ; un ouvrage de formation professionnelle, si la présentation en est soignée, pourra intéresser des amateurs exigeants.

Les sources

L'origine éditoriale des livres est variée : éditeurs commerciaux, éditeurs institutionnels, associations, etc.

Il s'avère indispensable, en effet, d'élargir l'horizon éditorial, par exemple dans le secteur technique ou industriel.

Un travail de repérage approfondi permet :
- d'identifier les classiques et les indispensables,
- d'actualiser les fonds (nouvelles éditions, traductions),
- de suivre les collections de vulgarisation des éditeurs,
- de traiter en urgence certaines nouveautés,
- d'acquérir des numéros spéciaux de revues comme monographies,
- de sélectionner des catalogues d'exposition en rapport avec les thèmes traités,
- de développer une politique d'auteur (scientifiques, journalistes, écrivains),
- d'identifier les réussites de l'édition étrangère.

L'encyclopédisme scientifique, technique et industriel

On reconnaîtra dans les sections du plan de classement (cf. encadré) les disciplines scientifiques traditionnelles, mais on trouvera également des rubriques thématiques plus ouvertes. Cette organisation répond à la fois à la nécessité de délimiter clairement le domaine couvert et à une volonté de médiation auprès du public.

Dans chaque domaine sont ménagées des ouvertures « grand public ». Ainsi, en AL, le public trouvera aussi bien des livres de recettes de cuisine que des traités de diététique, des essais sur la faim dans le monde que des études de marché ou des réglementations concernant les produits alimentaires.

La définition du domaine traité pose la question de la place réservée aux sciences de l'homme et de la société.

Le principe adopté par la médiathèque est d'inclure les dimensions transversales (philosophie, histoire, droit, sociologie, économie) dans les disciplines scientifiques ou techniques.

Ainsi, l'histoire est représentée dans la médiathèque publique par une sélection limitée d'ouvrages, intégrée aux différentes sections. C'est la « valeur éducative » de l'histoire des sciences - selon l'expression du physicien Paul Langevin -, qui est exploitée ici, particulièrement dans les sciences fondamentales et dans les techniques déjà traditionnelles.

L'ouverture aux sciences humaines et aux sciences sociales est plus manifeste encore dans les sections « carrefours » V (Ages de la vie), O (Origines), TI (Travail-Industrie). La psychologie, par exemple, est traitée en V dans sa généralité ; on trouvera la psychologie industrielle en TI, la psychophysiologie et la psychopathologie en H (Homme) et la « psychologie animale » en N (Nature). Mais la psychologie sociale, à l'exception de la communication, reste en dehors du domaine d'acquisition.

L'anthropologie et l'ethnologie sont abordées dans la section O, mais ces dimensions apparaissent également en transport (TA), construction (TP), fabrication (F), alimentation (AL) et santé (S).

La sociologie est seulement représentée par quelques facettes, celle du travail (TI), celle de la santé en S (Santé et société) et celle de la communication (R). A un niveau plus spécialisé, la « sociologie de la science » est traitée par la médiathèque d'histoire des sciences, dont la politique, dans le domaine des fonds contemporains, vise l'exhaustivité.

D'autre part, si toutes les dimensions de l'activité scientifique et technique font partie de la politique d'acquisition, certaines composantes de l'activité industrielle comme la finance et la macro-économie sont exclues.

La médiathèque est ouverte aux thèmes qui émergent dans le champ scientifique (chaos, sciences cognitives) ou promus par les médias (les « -tiques »). Elle s'efforce de couvrir le « terrain commun » à la science et à la philosophie, « celui des controverses et des questions ouvertes, du rapport aux autres contenus disciplinaires, au changement et aux technologies du savoir scientifique » 1.

Entre la tendance hégémonique de la « technoscience » et les assauts de l'irrationalisme, entre scientisme et charlatanisme, comment appréhender les « marges » (Tao de la physique, colloque de Cordoue) et les effets mythico-médiatiques (« mémoire de l'eau », « fusion froide ») ?

La médiathèque s'est refusée à censurer des domaines controversés. Elle a cherché à resituer les productions ésotériques dans leur contexte historique et les a placées sous l'éclairage des sciences humaines (médiathèque d'histoire des sciences).

Types de lecture, niveaux, langues

D'un album du Père Castor au traité de Pierre-Paul Grassé, d'une bande dessinée du BRGM (Bureau des recherches géologiques et minières) à l'Homme neuronal, d'une encyclopédie de la moto à Ma thémagie, de Molécule la merveilleuse au CRC Handbook of Chemistry and Physics, de Quels sports pour votre enfant ? à une monographie sur Alvar Aalto, du guide Découvrir le ciel au catalogue de composants Motorola,... on trouve à la médiathèque une gamme très étendue de niveaux et de types de lecture.

A la même cote, on rencontrera des ouvrages invitant à une lecture séquentielle, voire linéaire, ou à une lecture ponctuelle, voire aléatoire ; des livres supposant une lecture purement textuelle ou une lecture mixte enchaînant texte et image.

Donnant toute sa place à la lecture de loisir, et s'appuyant sur le rôle de l'imaginaire dans les processus cognitifs, la médiathèque ne propose pas seulement au lecteur des titres de documentaires, mais également des ouvrages de fiction autour des domaines couverts (science-fiction, fictions documentaires, romans), des ouvrages de témoignage ou de réflexion personnelle.

L'accès à la connaissance scientifique se heurte bien vite au barrage des langages hautement formalisés. La communication des sciences « dures » auprès du public insistera donc davantage sur les démarches et les enjeux que sur les résultats.

Si les « niveaux » vont de la maternelle à l'agrégation, la médiathèque joue sur les masses de titres et d'exemplaires aux différents niveaux, pour que le public le plus large puisse s'approprier le « cœur » des collections.

La barrière linguistique est un autre obstacle, encore très sensible en France. C'est pourquoi la médiathèque se fixe des quotas, variables selon les sujets traités, de nombre de titres en langue étrangère.

La médiathèque porte une attention particulière aux secteurs de l'édition dans lesquels on peut relativiser les questions de niveau et de langue. Ainsi dans les secteurs technique, industriel et paramédical, on trouve des ouvrages spécialisés, des comptes rendus de congrès d'associations professionnelles, par exemple, qui ne requièrent pas de bagage universitaire, de formation d'ingénieur, etc.

D'autre part, les livres illustrés, les albums, les beaux livres représentent une ouverture pour l'édition en langue étrangère et une occasion d'assurer la présence des langues méditerranéennes.

Seule la médiathèque d'histoire des sciences ne fixe aucune limite supérieure de niveau ni de langue à ses acquisitions.

Un système synthétique de critères

La médiathèque a mis en place un système d'évaluation et de développement des collections comprenant une liste de « qualifications » (cf. encadré), auxquelles sont attachés des critères d'acquisition conformes à ses missions. La qualification des documents se fait au moment du catalogage dans une zone disponible d'UNIMARC. Ce système incite le bibliothécaire, dès la phase de suggestion, à s'interroger non seulement sur le bien fondé de l'acquisition et sur le nombre d'exemplaires, mais encore sur les usages possibles de l'ouvrage par le public. L'outil permet également de délimiter une collection « cœur » qui va bénéficier d'un traitement privilégié.

Renouvellement et élimination

L'actualisation des collections implique une politique de renouvellement et d'élimination différenciée suivant les thèmes couverts et la production éditoriale correspondante. La plupart des ouvrages acquis par la médiathèque publique sont dits consommables et la médiathèque n'a pas vocation à conserver au-delà d'une période variable selon les domaines, mais qui ne dépasse jamais 5 ans.

Une politique de dons permet à des bibliothèques particulièrement démunies (Bucarest, réseau du Mali) de bénéficier d'un apport répondant à des besoins bien définis.

Le service offert

La question du nombre d'exemplaires à commander est en étroite relation avec l'utilisation possible du document : consultation ou prêt.

Alors que la médiathèque, pendant la période de constitution, a acquis au moins un exemplaire de chaque titre pour la consultation, elle s'oriente depuis quelques années vers un fonds de prêt généralisé : les professionnels demandent naturellement à emprunter les ouvrages. Quant aux visiteurs d'un jour, la médiathèque vise à les transformer en utilisateurs réguliers, notamment en leur proposant l'abonnement au prêt.

Seuls les documents utilisés couramment pour le renseignement au public peuvent être réservés à la consultation, à raison d'un exemplaire.

Le nombre d'exemplaires d'ouvrages « grand public », mais aussi leur mode de présentation doivent traduire la volonté de les faire circuler au maximum.

La mission de médiation conduit à :
- optimiser le service auprès du public (orientation et renseignement),
- optimiser les accès-catalogue,
- exploiter au mieux la collection « cœur »,
- exploiter les compétences scientifiques internes,
- susciter les contributions d'experts (enseignants, ingénieurs en retraite).
- utiliser les analyses et les critiques fournies par les revues.

A terme, et moyennant la participation de conseils et de lecteurs, la médiathèque envisage d'accompagner certaines notices d'une mention du genre « recommandé par la médiathèque », et de fournir des indications permettant au public de mieux évaluer les niveaux d'accès des ouvrages proposés.

A la différence d'une bibliothèque d'étude, la médiathèque ménage dans les rayons des « accroches » en plaçant des livres à plat et présente sur des mobiliers légers les nouveautés destinées à un large public.

La mise en valeur quotidienne des fonds comprend également des actions de sensibilisation sur des thèmes suscitant une large demande (santé, environnement, micro-informatique, etc.).

Des animations ou des conférences sont organisées avec des auteurs, à l'occasion d'un événement éditorial, comme la nouvelle édition de L'état des sciences et des techniques , ou bien autour d'une collection (« Le sens de la vie »), et des expositions permettent de découvrir des productions particulièrement réussies (livres scientifiques japonais pour la jeunesse, créations de Bruno Munari).

Consciente de ses responsabilités en tant que bibliothèque publique, la médiathèque se fait l'écho des campagnes nationales en faveur de la lecture. Ainsi La fureur de lire a permis cette année au public de la médiathèque, de rencontrer les auteurs des ouvrages sélectionnés pour le Grand prix des lecteurs de Sciences et Avenir, mais également de lui faire découvrir la première traduction intégrale du Dialogo de Galilée.

Edition et média

Que fait la médiathèque dans le monde du livre ?

L'ambition de la médiathèque est de peser sur le monde de l'édition en suggérant des titres originaux ou bien des traductions pour combler les lacunes de l'édition française et en offrant aux éditeurs de vulgarisation un banc d'essai et une vitrine.

Un accord avec le Syndicat national de l'édition lui permet de présenter aux visiteurs l'actualité éditoriale. Ses relations avec les éditeurs lui assurent des services de presse, qui permettent de contrôler les acquisitions « aux marges ».

Des liens étroits avec les auteurs et les directeurs de collection rendent possible un travail suivi (cycles thématiques).

La médiathèque suit l'actualité du livre de vulgarisation dans les médias et s'en fait l'écho auprès de son public. Elle le tient informé des distinctions qui couronnent les ouvrages de vulgarisation (prix Jean Rostand, Roberval, etc.).

Enfin, elle a un regard sur les succès de librairie qui témoignent de l'intérêt du public pour la science, mais ne garantissent pas toujours une lecture effective, si l'on en croit Jean-Marc Lévy-Leblond 2. Il semble bien que la médiathèque puisse jouer là un rôle d'amplification auprès de son public.

De la médiathèque à l'Hyperthèque

Dans un monde saturé d'images, le livre reste l'interlocuteur du citoyen interpellé par les avancées de la science et le compagnon du curieux de tout âge.

La médiathèque, quant à elle, a fait un choix de décloisonnement : décloisonnement des niveaux, décloisonnement des genres et des supports.

Elle propose à son public un parcours multimédia permettant aux visiteurs de rebondir d'un reportage audiovisuel sur un livre de témoignage, d'un dossier dans une revue de vulgarisation vers un didacticiel, d'un film pédagogique vers un ouvrage de réflexion générale, en un réseau indéfini d'associations.

Le domaine des sciences, des techniques et des industries est devenu depuis le début des années 70, l'aire de prédilection de l'information immatérielle. Mais « le grand réseau électronique ne supprime pas la vieille écriture, au contraire, il renvoie aux millions de textes, articles, publications, revues spécialisées, journaux qui s'accumulent chaque jour dans les bibliothèques et centres de documentation » 3.

Les possibilités inégalées de lecture interactive offerte par l'hypertexte, le potentiel énorme de vulgarisation que représentent les hypermédias, sont une opportunité pour intégrer et démultiplier les différents supports présents à la la médiathèque.

Du côté de l'édition traditionnelle, les nouvelles collections d'ouvrages de vulgarisation ou de livres pratiques qui apparaissent régulièrement sur le marché répondent à une demande croissante du public.

La médiathèque entend bien inscrire son action dans cette double évolution, persuadée que « sauf dans l'imaginaire social, les livres ne seront pas supplantés par les ordinateurs et les banques de données » 4.

Octobre 1992

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Sections du plan de classement

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Classifications pour les livres

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Une charte pour la Médiathèque (1/2)

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Une charte pour la Médiathèque (2/2)

  1. (retour)↑  Sylvain AUROUX, Barbarie et philosophie, Paris, 1990, p. 181-182.
  2. (retour)↑  Jean-Marc LEVY-LEBLOND, « La vulgarisation scientifique », dossier, Préfaces, n° 2, Mai-juin, 1987, p. 109.
  3. (retour)↑  Pierre LEVY, La Machine-Univers. Paris, 1987, p. 35-37.
  4. (retour)↑  Ibid.