La bibliothèque s'offre sur minitel

par Jacques Perret

Rosa-Marie Blanco-Salesne

Mâcon : BCP, Conseil général de Saône-et-Loire, 1991. - 125 p. ; 30 cm. (Etudes et Recherches, novembre 1991)
ISBN 2-908460-02-5

« Si tu ne vas pas à la bibliothèque, la bibliothèque ira à toi ».

Lorsqu'un jeune communicant qui se voyait pianiste dans un bordel cisela, pour son ami mousquetaire de la distribution des armes et livres, le premier slogan de notre patrimoine littéraire, pouvait-il prévoir le détournement qu'en feraient les bibliothèques publiques ? Bien sûr, la bibliothèque, comme Lagardère, segmente, cible et capte ses publics par des techniques de séduction et d'effeuillage vieilles comme le minitel où elle s'offre sur page-écran pour quelques parts de marché. Mais n'est pas soudard de la distribution qui veut : bibliothèque rose, oui, minitel rose, non.

Démarche marketing

Publié par la BCP de Saône-et-Loire, La bibliothèque s'offre sur minitel est le mémoire de DESS de Rosa-Marie Blanco-Salesne, bibliothécaire issue de cette BCP dont le directeur est également co-directeur du mémoire.

Partant du double constat du développement des services vidéotex dans les bibliothèques de lecture publique et de la rareté des analyses disponibles sur ce sujet, l'auteur souhaite dégager par une « analyse du terrain » les objectifs poursuivis par les bibliothèques, les services proposés, les publics visés et les usages réels.

Dans une première partie, le document propose un rapide panorama du vidéotex en France et des services qu'il rend, puis, à partir de l'exemple de la CAMIF, décrit la démarche marketing qui précède et accompagne la mise en place d'un service vidéotex auprès d'une clientèle : l'acheteur est au centre des préoccupations, il est la cible qu'il faut atteindre par l'analyse méthodique des besoins de publics segmentés et des plans d'action appropriés.

C'est à la lumière de cette démarche marketing qui séduit l'auteur par sa rigueur conquérante et l'affirmation du client en place centrale que l'on va interroger ensuite des responsables de quatre bibliothèques municipales, trois BCP, de la BPI et de la médiathèque de La Villette. Ces entretiens ne sauraient être représentatifs, mais sont sans doute révétateurs de l'état de la pratique professionnelle actuelle en lecture publique.

Pourquoi met-on en place un service vidéotex ? A-t-on fait un cahier des charges? A qui destine-t-on le service et quelle évaluation en fait-on ? Globalement, le vidéotex est une opportunité ouverte par l'informatisation, c'est un bon vecteur de communication (c'est-à-dire d'auto-promotion) : « La bibliothèque chez vous 24 heures sur 24 ». Ce n'est pas un service spécifique justifiant un cahier des charges, il s'adresse bien entendu « à tous » mais le temps et les moyens manquent pour le vérifier. C'est essentiellement le catalogue en ligne qui est proposé actuellement, habillage moderne d'une valeur vieille comme la bibliothèque. Les quelques points de vue recueillis auprès d'usagers laisseraient aussi à penser que, même « relooké », le divorce demeure sur ce que la bibliothèque persiste à prendre pour sa vitrine quand l'usager n'y voit qu'une barrière. Par contre, lorsque l'usager demande la réservation par minitel, les bibliothécaires ont beaucoup de bonnes raisons de la refuser. Les exemples inverses en BCP ne sont pas convaincants puisqu'alors le minitel ne s'adresse qu'à une minorité maîtrisée et professionnatisée par l'institution.

La place du vidéotex

La troisième partie du mémoire, plus prospective, est consacrée à la place du vidéotex dans une politique de la bibliothèque : l'évolution technologique pousse-t-elle à des redéfinitions fondamentales de l'institution, de son organisation, de ses services ? Le vidéotex permettra-t-il de conquérir et fidéliser des publics, lesquels et avec quels moyens ? Va-t-il entraîner une évolution des métiers ? Quelle sera la place du vidéotex au cœur de la bibliothèque imaginaire ? La réponse curieusement pratique (matériel, coûts...) que l'auteur apporte à cette demière question de bibliothèque-fiction illustre assez bien ce qu'il y a parfois de déroutant dans cette publication qui nous accroche par des renseignements utiles et des notations très justes mais ne parvient pas toujours à garder le fil de ses raisonnements ni à lever les contradictions internes à son analyse.

C'est l'intérêt et la limite d'un travail de DESS. Celui-ci est tonique et veut interpeller la profession. Mais sur un sujet difficile, parce que très évolutif et très « mode », il veut sans doute trop embrasser sans suffisamment de temps ni de moyens pour étayer ses observations. Il l'aborde avec la volonté de défendre quelques points de vue (démarche marketing pour transformer le service public, distinction offre / demande documentaire) insuffisamment mis à distance. Du même coup, ce travail, qui pressent plus qu'il n'éclaire en quoi la question du minitel en bibliothèque de lecture publique réactive les contradictions de fond de l'institution, ouvre des gouffres sans tout à fait s'en rendre compte (« service public pour tous », « publics de la bibliothèque », « discours de la profession ») et a quelque mal à hiérarchiser ses réflexions. Encore une fois, c'est un travail de DESS, il révèle des pistes d'étude importantes et c'est déjà beaucoup.

C'est donc sa publication qui m'apparaît un peu prématurée dans une collection « Etudes et recherches » qui, en « refusant la théorie pure » pour « privilégier les outils opératoires », introduit une opposition qui pourrait être source de confusion. Si théorie pure il devait y avoir en bibliothéconomie, n'apprécierions-nous pas sa valeur précisément à son caractère au moins momentanément opératoire ? La démarche marketing ne repose-t-elle pas sur des « théories » à l'opposé des mythes fondateurs de la bibliothèque populaire et savante pour tous ? Et n'est-ce pas précisément cela qui l'empêche d'être opératoire en bibliothèque publique ? Lorsque les grandes médiathèques publiques se demandent si elles ne sont pas sur le point d'être victimes de leur succès, il n'est pas certain que le principal manque soit d'outils techniques ou de moyens financiers. L'opératoire, en l'occurrence, ne serait-il pas d'aller revisiter les sous-sols pour s'assurer que la croissance excessivement rapide des bâtiments de surface n'a pas affaibli des fondations qui ne sont plus de première jeunesse et qui n'ont peut-être pas été conçues pour cela ?

Notre pianiste lui-même doute lorsqu'il se demande si notre air de la communication, trahi par sa couche d'ozone, n'est pas en train de confondre tout-écran et écran-total, indice de protection 8 sur l'échelle de Noë Richter.