Les bibliothèques et les documents électroniques
Annie Le Saux
Le 23 juin 1992 a eu lieu la première journée de la toute récente Association des conservateurs de bibliothèques (ACB), qui prend la suite de l'AENSB. Sur le thème Les documents électroniques : enjeux et perspectives pour les bibliothèques, ce séminaire avait pour objectif de faire prendre conscience aux bibliothécaires des bouleversements que la gestion électronique des documents allait apporter dans leurs pratiques professionnelles.
Des services spécifiques aux bibliothèques
Introduisant cette journée, Michel Melot a souligné le risque de voir se creuser, dans ce domaine, l'écart séparant d'une part la France de l'étranger -des Etats-Unis notamment - et, d'autre part, le monde des bibliothèques de celui de la documentation. Actuellement, le monde de l'édition s'est particulièrement investi dans la production de documents échangeables. Les grandes entreprises ont de même compris l'impact de la gestion électronique des documents dans des domaines tels que la diffusion, l'accès, la consultation et la conservation. Il n'est que temps que les bibliothèques s'intègrent à cette chaîne et imposent leur propre logique, différente de celle des éditeurs et que les bibliothécaires se forment au vocabulaire et aux techniques de la gestion électronique de documents. Pour cela, il ne leur faut pas s'arrêter aux contraintes apparentes, mais réfléchir à ce que peut offrir la gestion de documents électroniques aux bibliothèques.
Catherine Lupovici, ingénieur consultant chez Jouve, a, à son tour, mis l'accent sur la participation active des bibliothécaires. Après avoir fait le point, média par média, sur les techniques et les normes de la documentation électronique, et après avoir souligné le plein essor du multimédia, c'est-à-dire de la combinaison - et non plus la juxtaposition - de ces différents médias, elle a incité les bibliothécaires à utiliser toutes ces techniques pour créer des produits et des services spécifiques aux bibliothèques.
Services que Dominique Maillet, chef de projet au Département informatique et nouvelles techniques à la Bibliothèque de France, définit ainsi : préserver le fonds, rationaliser la communication - on n'a plus besoin d'acheter plusieurs exemplaires -, faciliter la circulation des documents par la transmission à distance. Des fonctions bibliothéconomiques comme le catalogage, l'indexation, la recherche documentaire, seront également concernées par l'application de la gestion des documents électroniques. Les documents électroniques verront leurs notices enrichies du sommaire, ce qui est actuellement le cas à la BDF, où une étude est en cours sur l'opportunité des les enrichir davantage, par exemple de la 4e de couverture, de l'index, etc.
Si la production de documents électroniques est en plein développement, la multiplication des systèmes crée des problèmes de compatibilité de ces systèmes et donc d'échanges des documents. C'est pour permettre l'exploitation d'un même document électronique sur des supports ou sur des matériels hétérogènes que deux normes ISO ont été adoptées : SGML, qui vient du monde de l'édition, et ODA *, du monde de la bureautique.
La structure logique du document
Garantie pour la récupération du document à la fois sur le long terme et surtout quel que soit le système sur lequel il aura été saisi - tous ceux qui ont été confrontés à des problèmes de récupération de disquettes apprécieront ! -, ces deux normes permettent le codage générique de la structure logique du document. En clair, cela signifie qu'on se détache de la mise en forme finale du document - et donc de ses caractéristiques physiques : pages, lignes, caractères, italiques, capitales, gras, format, en bref, tous les renseignements du code typographique, toutes les balises figurant sur les textes -pour ne s'occuper que de la description de la hiérarchie des différents niveaux logiques : titres, chapitres, paragraphes, sections, notes, illustrations, légendes, etc.
La norme SGML, la plus répandue, a été présentée en détails par Jacqueline Joulin de chez Berger-Levrault, qui a cité, parmi les organismes où cette norme est déjà bien implantée, l'Aérospatiale, les Télécommunications, l'Office des publications de la Communauté européenne.
Pour que ce langage de programmation soit cohérent, il convient d'établir la définition de type de document ou DTD, sans laquelle un document SGML n'existe pas. C'est en fait le modèle servant à décrire la structure hiérarchique du document (analyse verticale). SGML est donc le langage qui permet d'établir un programme, la DTD. Michel Biezunski, consultant Moderato, voit dans ce langage « un moyen de rendre les documents indépendants des systèmes sur lesquels ils ont été créés. Avec SGML, on fait entrer une structure à l'intérieur du texte. On isole le cœur de l'information de sa présentation et de son formatage. »
La satisfaction que certains ont pu éprouver à avoir navigué dans ces termes spécifiques avec plus ou moins de bonheur est de courte durée : DTD, SGML semblent déjà dépassés quand Michel Biezunski parle de méta DTD, de norme HyTime. SGML ne résolvant pas le problème des DTD hétérogènes, et une structure de document n'étant jamais figée, que se passe-t-il quand on veut changer de DTD ? Bien sûr, les informaticiens se sont penchés sur ce problème, et, grâce à HyTime, norme adoptée il y a un mois, on pourra lier entre elles des DTD. Ce langage de structure hypermédia s'appuie sur le langage SGML et est basé sur le modèle de la référence bibliographique : d'un support, on peut faire référence à n'importe quel autre support, on peut aussi faire référence à une oeuvre publiée à n'importe quelle époque et, enfin, on peut y avoir accès n'importe où. Les possibilités de consultation, avec HyTime seraient supérieures à celles qu'on a aujourd'hui. Mais, pour l'instant, il n'y a pas encore d'applications de cette norme.
Ce sont les coûts très élevés qui, ajoutés au trop-plein d'informations, à leur complexité, à leur volatilité, accélèrent le développement de nouvelles techniques, cherchant à repousser toujours plus loin dans le temps l'utilisation de documents, indépendamment de leur support et du système de saisie.