Le livre dans le développement culturel de la région Limousin

Robert Savy

Le Limousin a toujours eu un rapport privilégié avec le livre et on sait que la bibliothèque de l'Abbaye de Saint-Martial était aussi importante que celle de Cluny, avant que ses chanoines ne vendent les ouvrages à la bibliothèque de Louis XV... Mais il serait irréel de donner à la politique actuelle de la Région la mission de tenter une impossible reconstitution des collections anciennes. Il est, me semble-t-il, préférable de favoriser la création de livres en Région sans dédaigner les collections anciennes, comme l'a montré la valorisation du Graduel de Fontevrault, propriété de la bibliothèque de Limoges, en 1986 (photos, catalogues, exposition : plus de 2 000 personnes en 6 jours).

On sait comment le législateur de 1983 a fait de savants dosages entre tradition, découpages administratifs, ressources locales, compétences, corps, hiérarchie (ou absence de...), pour opérer des transferts de compétences : la Région n'a aucune attribution légale dans ce secteur et elle ne pourra prendre le livre en compte qu'en l'intégrant à sa mission bien générale de « développement culturel ».

La Région ne connaîtra les bibliothèques que pour financer, le cas échéant, la rénovation des bourgs-centres ou la restauration d'un monument historique, etc. Bref, si la Région a quelque volonté dans ce secteur facilement identifiable comme un des leviers fondamentaux du développement social, il faudra aller chercher le livre en dehors des bibliothèques et je poserai alors deux questions : où et comment ?, avant d'expliquer que c'est par l'organisation d'actions horizontales avec les professionnels des bibliothèques que se démultiplie l'importance du livre dans la vie quotidienne.

La maison des auteurs

Une des premières initiatives soutenues par la Région est celle de la création par le Festival des francophonies d'une maison des auteurs. C'est, sans doute, un des arguments les plus efficaces du développement : l'immersion d'auteurs étrangers, en général boursiers de la Fondation Beaumarchais, dans le tissu social, représente une richesse réelle notamment par les échanges qu'elle autorise. On peut imaginer que cette expérience pourrait à moyen terme, en s'articulant sur l'ouverture d'une médiathèque francophone, déboucher sur la création d'une collection. Ce serait en cohérence avec l'aide à l'édition mise en place par la Région mais qui a dû exclure les ouvrages de fiction : la commission d'élus chargée d'examiner les demandes d'aide a en effet proposé, devant la difficulté de définir des critères objectifs en relation avec les possibilités financières, de ne prendre en considération que les ouvrages de caractère scientifique apportant une « valeur ajoutée » à la connaisance historique, géographique, artistique... du Limousin. L'impression par une entreprise de la Région n'est ni obligatoire ni suffisante : c'est un élément important du dossier auquel la commission attache l'importance qu'il a. Elle y sera d'autant plus sensible que le Limousin compte des imprimeries de grande qualité, héritières d'une tradition multiséculaire, qui travaillent dans des conditions commerciales performantes. Une collection issue de la maison des auteurs, bien entendu soumise à des procédures de « sélection » traditionnelles, renforcerait ce pôle francophone qui, on le comprend aisément, est devenu un des atouts du développement culturel de la Région.

Manifestations autour du livre

On ne peut pas parler d'édition en Limousin sans parler du « Livre d'artiste » ou, selon la terminologie d'Antoine Coron, conservateur à la Réserve des livres rares de la Bibliothèque nationale, qui parlait de Pierre-André Benoit, dernièrement à Limoges, du « Livre de peintre ». « Je fais des livres, est-ce que je suis livreur ? », avait écrit Didier Mathieu, l'un des promoteurs en Limousin du livre d'artiste, il y a quelques années, juste avant de créer « Sixtus Edition » qui réussit le pari de faire se rencontrer dans des livres, les arts plastiques, les arts graphiques et la magie des mots.

De même que la Région soutient le travail de « Sixtus Edition », elle encourage depuis sa création la Biennale du livre d'artiste qui a su réunir à Uzerche en Corrèze, les plus talentueux représentants de cette forme d'expression.

Le livre est aussi un objet de consommation et quand on sait que la fréquentation de la bibliothèque de Limoges la situe parmi les premières de France, on ne s'étonnera pas que la Région apporte une aide aux différentes foires ou fêtes du livre organisées dans la Région.

La foire du livre de Brive est la manifestation la plus parisienne du Limousin et ne s'en plaignent que ceux qui oublient que Paris est la capitale de la France et que céder une fois par an au parisianisme c'est aussi montrer sa capacité à choisir le reste du temps, la province. La Région n'a pas trouvé un type d'intervention correspondant à l'intérêt et à l'importance de cette initiative et son aide financière n'a qu'un effet de symbole. Dans ce secteur, un des objectifs de la nouvelle mandature devrait être de mettre au point des interventions adaptées à chaque foire ou fête du livre. On ne peut que se réjouir de la multiplication dans la Région des manifestations autour du livre, qui, outre le fait qu'elles confortent un secteur commercial depuis longtemps fragilisé, provoquent de véritables rencontres entre créateurs et publics.

On a pu constater que la Région intervenait avec des méthodes et des moyens différents aux différentes phases de l'« existence » du livre quand il s'écrit, quand il s'imprime, quand il s'édite et quand il se vend. Ceci est particulièrement bien illustré par le soutien apporté par la Région à la réalisation de l'Annuaire des métiers du livre en Limousin. Cet ouvrage permet de mettre en relation technique tous les partenaires du livre : auteurs, éditeurs, imprimeurs, illustrateurs, bibliothèques, archives, musées. Cet outil majeur a été réalisé par ALCOL (Association limousine de coopération pour le livre), à qui la Région a également délégué tout un pan de développement culturel par le livre : l'animation littéraire. A titre d'exemple, ALCOL a organisé en février 1992, au château de Nieul (87) où réside un Centre de recherche international sur le théâtre Image (CRISTI), une soirée autour de l'écrivain Ludovic Janvier, résidant en Limousin, édité chez Gallimard, et qui compte parmi les grands noms de la littérature contemporaine. A l'issue de la soirée (lectures, discussions) où étaient venues plus de 100 personnes, les libraires associés ont vendu quelques dizaines d'ouvrages. Ce simple exemple montre toute l'importance qu'il faut attacher à la mise en place de liens directs et tangibles entre public et création. Ce type de « mini-foire monographique » du livre fait autant pour le développement culturel qu'une bonne émission littéraire télévisuelle ou radiophonique.

Juillet 1992