Le livre en région Centre

L'action de l'État

Jean-François Seron

Les missions d'un conseiller pour le livre en région sont multiples. En région Centre comme ailleurs, elles sont principalement au nombre de quatre : renforcer le réseau de lecture publique, impulser le développement de la lecture, soutenir le réseau commercial du livre, mettre en place la coopération entre bibliothèques. Non confiée officiellement au conseiller, il est toutefois une cinquième mission bien réelle. C'est l'aide à la création, qui relève du Centre national des lettres, qui prend, en région, deux formes : le soutien ou conseil éventuel aux écrivains et l'installation d'écrivains en résidence. En 1992, trois écrivains ont bénéficié de ce dernier soutien en région Centre.

There is a lot of tasks for the « conseiller pour le livre » in the regions. The four most important are : to consolidate and intensify the public reading network, to develop the reading, to support the commercial network of the book and to set the cooperation between libraries. Non-official, the fifth task is quite real. It consists in helping the creation : the support or advice to the writers and their setting in residence. In 1992, three writers enjoy it in the region Centre.

« Longtemps je me suis couché de bonne heure », souvent avec un bon livre dans les mains. Depuis que je suis conseiller pour le livre à la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) du Centre, je me lève souvent tôt le matin pour rencontrer les élus ou les professionnels du livre, à 100 ou 200 km, car je travaille dans l'une des plus grandes régions de France, constituée de six départements.

Dans cet article, je présenterai d'abord succinctement le cadre général administratif et professionnel des conseillers pour le livre, ensuite les points forts de la région Centre, enfin les missions confiées au conseiller technique régional pour le livre et la lecture (CTRL).

Un environnement administratif nouveau

L'action de l'Etat s'exerce depuis 1982 dans le cadre des lois de décentralisation. L'application de ces lois nouvelles s'est faite par étapes : pour lé secteur culturel, la date fixée était le 1er janvier 1986.

L'objectif est de confier des compétences qui relevaient auparavant de l'Etat aux collectivités territoriales, afin de se rapprocher de la qualité de la vie locale anglaise ou allemande. Ainsi, pour la lecture publique, les bibliothèques centrales de prêt (services de l'Etat depuis 1945), chargées des communes de moins de 10 000 habitants, sont confiées aux départements.

La déconcentration est l'accompagnement de la politique de décentralisation dans les services de l'Etat. Elle a deux caractéristiques principales : une nouvelle définition des compétences de l'Etat, compte tenu de la répartition nouvelle, avec des compétences supplémentaires quelquefois et souvent une définition plus précise, comme le contrôle technique des bibliothèques qui permet à ses services (Inspection générale des bibliothèques) de se préoccuper de l'équilibre et de la diversité des collections ; et le développement de certains services de l'Etat dans les régions - les dossiers ne sont plus traités dans les directions du ministère de la Culture mais au plan local -, développement qui s'appuie sur des moyens humains et financiers : personnel nommé et crédits déconcentrés délégués dans les DRAC.

Lecture publique : bilan largement positif

Deux faits marquants apparaissent quant à l'évolution des bibliothèques de lecture publique depuis 1945.

Le premier est la reconnaissance de la bibliothèque comme service public culturel. C'est devenu un service dont le public, utilisateurs et élus, attend une capacité de formation et d'éducation, ainsi qu'une proposition d'activités de loisirs et de formation de la personnalité. Dans les contacts que les DRAC ont avec les élus, il n'est plus nécessaire de préciser que la bibliothèque est le seul service communal à toucher toutes les catégories de population sur toute l'année. Cette idée est maintenant une évidence.

L'honnêteté oblige toutefois à préciser qu'il reste des communes de moins de 10 000 habitants qui n'ont pas encore une vraie bibliothèque.

Le deuxième fait marquant est la professionnalisation de la lecture publique. Cette activité est devenue un métier. Du bénévolat des premières bibliothèques associatives ou municipales, ce secteur est passé au professionnalisme. De formations différentes (centre de formation au Certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire, Institut universitaire de technologie, Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques, Ecole des Chartes), les bibliothécaires ont maintenant une compétence largement reconnue. L'exigence du recrutement de professionnels est également devenue une évidence, en particulier dans les conversations avec les responsables des collectivités territoriales.

La création des nouveaux statuts de la filière culturelle a remis en cause les formations établies, alors que la formation proposée post-recrutement paraît bien délicate à mettre en place. Souhaitons que des éclaircissements, sinon des améliorations, interviennent bientôt afin de dissiper le flou qui se manifeste lors des recrutements.

Mais cette constatation a une conséquence. Cette profession qui touche de plus en plus aux nouvelles technologies - informatique, télématique, audiovisuel - devra bénéficier de formation continue fréquente et efficace afin de proposer au public, en particulier les jeunes et les chercheurs, des bibliothèques modernes. De la même manière, l'émergence du serveur bibliographique national, du catalogue collectif confié à la Bibliothèque de France obligent les bibliothécaires à raisonner en termes d'échanges d'information et de coopération.

En région Centre, le signe le plus net de cette professionnalisation a été le succès remarquable de la Fureur de lire dès 1989. Toutes les bibliothèques ont participé activement, tirant le maximum de cette manifestation pour la promotion de leurs services.

Crise du secteur commercial

Autant, dans la lecture publique, le bilan est positif, autant, dans le circuit commercial du livre, la situation est difficile.

Côté édition, une grave crise s'est révélée en 1991, d'abord attribuée au conflit du Golfe. Elle s'est développée en 1992, dévoilant des causes tendancielles plus que circonstancielles. La distinction instituée par Jean-Marie Bouvaist entre éditeurs « marchands » publiant en fonction de l'actualité, « faisant des coups », et éditeurs de création ne fonctionne apparemment pas dans cette crise. A mes yeux, les petites maisons semblent moins gravement touchées parce qu'elles ont des structures plus légères, donc moins coûteuses, tandis que les grandes maisons doivent restructurer, et même licencier, afin de réduire les charges de fonctionnement. Toutes, grandes et petites, ont réduit leurs publications.

Les chiffres 1991 communiqués par le Syndicat national de l'édition confirment, hélas, cette crise : baisse du chiffre d'affaires, croissance des réimpressions, baisse du tirage moyen (- 5,3 % depuis 1982). Ces chiffres généraux doivent être nuancés. Certains secteurs ne s'en sortent pas trop mal, tels la littérature, les sciences et techniques, la littérature de jeunesse, la bande dessinée. D'autres sont sévèrement touchés : l'édition scolaire, les livres d'art, les encyclopédies et les dictionnaires. Un seul secteur tire son épingle du jeu : les livres pratiques.

Chez les libraires, la crise, plus ancienne, était liée aux coûts fonciers en centre-ville, aux faibles marges commerciales (l'une des plus basses), à la distribution déficiente : trois semaines de délai de livraison dans certains cas entre la province et Paris.

Manifestement la loi sur le prix unique du livre, votée dès août 1981, en limitant les remises à 5 %, a permis l'augmentation de la marge bénéficiaire. Mais les librairies continuent de fermer dans les centres-villes et bien peu sont remplacées. Les services bancaires sont très stricts sur les projets d'ouverture de librairies et demandent de bien plus grandes garanties aux futurs libraires, rendant plus difficiles les installations. Or le livre a besoin à la fois d'investisseurs pour sa production, mais aussi de nombreux points de vente qui le proposent aux lecteurs-acheteurs. Deux arguments confirment cette nécessité : les libraires anglais estiment que la moitié des livres achetés en librairie sont des achats d'impulsion ; par ailleurs, il ressort d'une comparaison que fit le directeur des éditions La Découverte, à l'occasion de la première Fureur de lire, en 1989, comparaison entre la vente de livres sur l'agglomération lilloise et celle de Lyon et sa banlieue, qu'il se vend deux fois moins de livres par habitant à Lille, où le Furet du Nord exerce un quasi-monopole, qu'à Lyon, où l'on trouve de nombreuses librairies, dont plusieurs de belle taille : Flammarion, Decitre, etc.

Menace sur la lecture des jeunes

En ce qui concerne la lecture, la dernière publication des Pratiques culturelles des Français, en 1989, nous en donne les principales tendances. Elle fait la synthèse des trois grandes enquêtes effectuées depuis 1973.

Il y a plus de Français qui lisent : ils sont moins de 25 % à déclarer ne jamais lire de livres. Mais ceux qui lisent lisent moins de livres. Le nombre des « faibles » lecteurs (1 à 9 livres par an) progresse ; celui des « gros » lecteurs (plus de 25 livres par an) diminue régulièrement depuis 1973. Inutile de rendre la télévision responsable de cette désaffection : la majorité des gros consommateurs de télévision sont aussi de gros et moyens lecteurs (10 à 25 livres par an). Plus que la télévision, c'est l'offre très diversifiée de loisirs qui rend plus difficile le choix de lire.

La deuxième tendance, franchement inquiétante, est la forte baisse de la lecture chez les jeunes. Une enquête récente * permet d'ailleurs de prolonger cette constatation en milieu étudiant. Le constat est brutal : en 1973, il y avait 40 % de gros lecteurs chez les 15-19 ans... Il n'en reste que 23 % en 1988. C'est à notre avis le problème majeur qui doit mobiliser l'énergie de tous ceux qui, de près ou de loin, agissent dans le secteur de la jeunesse, aussi bien dans l'institution - écoles, collèges, lycées, universités, bibliothèques - qu'en dehors : familles et associations.

La région Centre

C'est une région mal identifiée, que l'on confond souvent (à cause des présentateurs des émissions météorologiques !) avec le Limousin ou l'Auvergne. Elle a les mêmes soucis socio-économiques que bien des régions françaises. Cependant, dans le secteur du livre, plusieurs traits lui sont spécifiques.

Une région bien placée pour la lecture publique

Les statistiques des bibliothèques municipales publiées par la Direction du livre et de la lecture la situaient au deuxième rang des régions françaises dès 1983, largement au-dessus des moyennes nationales, pour le prêt de livres et les inscriptions en bibliothèque. Si, selon les dernières informations, elle n'est plus qu'à la quatrième place, c'est que d'autres régions ont progressé.

Plusieurs éléments expliquent cette bonne santé. Le premier est d'ordre géographique. Seules deux villes ont plus de 100 000 habitants. Un million d'habitants vivent dans les trois agglomérations d'Orléans, Blois et Tours. Le reste de la population (1,4 million) se répartit dans de nombreuses communes de 10 à 20 000 habitants et de très petites communes rurales. Dans ces zones, l'action des bibliothèques départementales de prêt a été déterminante pour favoriser l'émergence de points de lecture qui sont souvent devenus de vraies bibliothèques. C'est, au total, plus de 80 bibliothèques publiques de statut municipal, avec du personnel rémunéré et compétent, qui fonctionnent en région Centre.

La présence de professionnels impliqués très tôt dans les projets est le deuxième élément qui explique cette bonne position. L'expérience a montré que la gestion par des professionnels est déterminante pour le développement du service. En effet, si beaucoup de bénévoles font très bien marcher de nombreuses bibliothèques-relais des BDP, le démarrage d'un vrai service public permanent passe obligatoirement par le recrutement de professionnels. Souvent embauchés pour ouvrir la bibliothèque dans des locaux provisoires, ils ont su lancer leur service et très vite mettre en avant les limites de ce fonctionnement, afin d'obtenir la décision politique qui crée les conditions permettant de toucher jusqu'à 40 % de la population et au-delà : des équipements de bon niveau, du personnel qualifié en nombre suffisant, des moyens permettant d'assurer des horaires hebdomadaires d'ouverture importants et un renouvellement des collections.

La présence d'éditeurs-artistes

Comme toutes les régions, le Centre abrite des maisons d'édition. Certaines s'intéressent à la santé (Dangles), à l'ésotérisme (Pardès), à la littérature (Amor Fati, Chimères, Christian Pirot), d'autres se préoccupent de régionalisme (CLD, C. Pirot, La Nouvelle République du Centre-Ouest). Ce qui est remarquable, c'est la présence de plusieurs éditeurs de livres d'artistes : François Righi, René Bonargent, Djamel Meskache, les éditions du Cygne, Jean-Jacques Sergent, imprimeur et éditeur à ses heures. Cette présence est d'ailleurs à l'origine d'un salon consacré au livre d'artiste et à la poésie qui a lieu à Saint-Benoit-du-Sault, dans le sud de l'Indre, au début du mois de juin. Cette année, l'invité était Louis Calaferte.

La librairie en difficulté

La situation de la librairie est à l'image de ce qui se passe sur le plan national : c'est la disparition des librairies générales des grandes villes. L'exemple de Tours est dramatique : dans cette ville universitaire, il ne reste plus qu'une grande librairie générale à côté de la FNAC installée depuis 1989. Des librairies spécialisées (jeunesse, religion, littérature) complètent ce tableau plutôt chiche. Ailleurs, les librairies commercialisent aussi la papeterie, et souvent la presse. Elles se portent assez bien et sont d'efficaces points de vente en zones rurales, sans offrir toutefois la variété et la qualité du fonds d'une librairie générale.

Les maisons d'écrivains

Dans le domaine du tourisme et de la culture, cette région a une caractéristique tout à fait originale. A côté des fameux châteaux de la Loire, il existe une quarantaine de sites où des écrivains de notoriété incontestable sont nés ou ont vécus. Selon Le guide des maisons d'hommes célèbres, c'est la seconde région après l'Ile-de-France pour le nombre des maisons d'écrivains ouvertes au public. On peut en effet visiter les maisons de George Sand à Nohant (Indre), d'Alain Fournier à Epineuil-le-Fleuriel (Cher), de Ronsard à Couture-sur-le-Loir (Loir-et-Cher) et à La-Riche (Indre-et-Loire), de Descartes à Descartes, de Balzac à Saché, de Rabelais à Seuilly, toutes les trois en Indre-et-Loire. A l'heure actuelle, c'est donc dans une dizaine de lieux répartis dans les six départements de la région que les amateurs de langue et de littérature françaises peuvent retrouver l'émotion de leurs lectures à la fréquentation des lieux et des paysages aimés des écrivains.

La politique de l'Etat

Elle est décidée au ministère de la Culture par la Direction du livre et de la lecture. Cette politique est ensuite appliquée en région par la DRAC, service déconcentré placé sous l'autorité du préfet de région qui représente tous les ministres.

La direction régionale applique cette politique à la fois dans le domaine du patrimoine (monuments historiques, archéologie, Inventaire, ethnologie) et dans le domaine de la culture vivante, tournée vers les pratiques contemporaines : arts plastiques, musique et danse, théâtre et action culturelle, livre et lecture, musées. Dans chaque secteur, un conseiller est chargé de traiter les dossiers : ce sont le plus souvent des contractuels, recrutés dans le milieu professionnel. Les conseillers pour le livre sont, eux, en majorité des conservateurs de bibliothèques. J'ai quant à moi été nommé le 1er janvier 1986, après avoir exercé en bibliothèque centrale de prêt et en bibliothèque universitaire pendant 17 ans.

Les conseillers pour le livre ont quatre missions principales : renforcer le réseau de lecture publique, impulser le développement de la lecture, soutenir le réseau commercial du livre, mettre en place la coopération entre bibliothèques. Les missions patrimoniales restent à la Direction du livre : acquisitions, aide et avis pour la restauration. Depuis quelques années, le Centre national des lettres, établissement public placé sous la tutelle de la Direction du livre, délègue aux conseillers pour le livre des missions d'expertise.

Le renforcement du réseau de lecture publique

Pour cette mission, les conseillers pour le livre ont un outil exceptionnel qui porte un nom barbare : le concours particulier de la dotation générale de décentralisation pour les bibliothèques municipales. C'est une enveloppe financière régionale (8,5 millions de francs en 1992) destinée à subventionner les projets forts de bibliothèques, que ce soit pour une construction, une extension importante ou une modernisation de la gestion par l'informatisation.

La situation dans la région fut très calme de 1986 à 1989 car la perspective des élections municipales avait bloqué les initiatives, si bien que les crédits ne furent pas complètement utilisés. Après les élections, les équipes confirmées, ou renouvelées ont pris les décisions, en particulier dans les villes de Blois, Chateauroux, Orléans, mais aussi Chateaudun, Beaugency, Sancoins, Saran. L'enveloppe ne permettait absolument pas de subventionner tous ces projets. Aussi la direction régionale a-t-elle alerté la Direction du livre, qui a préparé le concours particulier pour les bibliothèques municipales à vocation régionale (bibliothèques situées dans des villes de plus de 100 000 habitants ou chefs-lieux de région, conservant des collections d'au moins 250 000 volumes). Deux autres régions, dans une situation identique, Poitou-Charentes et Limousin, avaient aussi signalé la gravité de la situation. Approuvée fin juin par le Parlement, la procédure sera très probablement utilisable début 1993.

Le concours particulier permet aussi d'aider l'informatisation des bibliothèques. Avec moins de cinq équipements en 1986, la région est maintenant passée à près d'une trentaine de bibliothèques informatisées. C'est parce qu'elles sont informatisées que les bibliothèques d'Orléans, Blois, Tours se sont réunies, à l'initiative de la Direction régionale pour examiner les possibilités de faire un catalogue collectif. Les projets se précisent maintenant et permettent d'envisager trois étapes. La première est la publication d'un CD-ROM réunissant les catalogues juxtaposés des trois établissements, la deuxième est la fusion des trois catalogues (relevant de systèmes différents) qui préparera la dernière étape, soit : l'accueil de nouveaux catalogues et la constitution d'un véritable catalogue collectif régional.

Pendant cette phase technique, les bibliothécaires des trois villes travaillent à se rapprocher des autres bibliothèques de leur agglomération : bibliothèques universitaires ou spécialisées (Conservatoire de musique, Ecole des Beaux-Arts, centres Jeanne d'Arc ou Charles Péguy à Orléans, Maison de la magie à Blois, Musée du compagnonnage à Tours).

Les communes qui créent des bibliothèques ou les développent reçoivent une aide supplémentaire du Centre national des lettres pour les acquisitions de livres. Ces demandes sont traitées en région par le conseiller pour le livre, et la décision est prise en commission au CNL.

Réflexion sur l'avenir

L'avenir des bibliothèques n'est pas seulement dans les nouvelles technologies. Il est d'abord dans l'analyse de leur situation et dans une réflexion prospective dans laquelle les DRAC sont parties prenantes. Je voudrais souligner ici la part prépondérante prise par le Conseil supérieur des bibliothèques dont les deux rapports ont mis en avant plusieurs thèmes qui rejoignent nos préoccupations d'acteurs de terrain.

Le premier est celui des relations des services de documentation et de lecture de l'Education nationale avec les bibliothèques publiques. Parallèlement au développement des services municipaux, l'Education nationale a mis en place des bibliothèques centres documentaires (BCD) dans les écoles élémentaires, ainsi que des centres de documentation et d'infomation (CDI) dans les collèges et les lycées. Dans ces établissements, toutes les créations récentes sont accompagnées d'un poste pourvu par un professionnel compétent.

Par la création du CAPES de documentation, l'Education nationale reconnaît l'efficacité d'un encadrement professionnel pour ses services de lecture et de documentation et met fin à l'utilisation du poste de documentaliste comme poste de secours. Cette professionnalisation doit faciliter la reconnaissance réciproque et l'établissement de relations suivies entre les deux réseaux. Ces relations deviennent d'autant plus nécessaires que la crise de la lecture chez les jeunes semble profonde. Elles sont également utiles pour limiter deux risques importants dans les petites et moyennes communes : d'une part la concurrence qui pourrait s'établir entre BCD et bibliothèque publique, qui relèvent toutes deux de la municipalité, d'autre part la confusion possible entre les missions pourtant différentes des deux types de services.

Intervenir sur le plan de la formation est la première urgence : il s'agit de donner des informations sur l'action des bibliothèques dans les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) et auprès des documentalistes lors de sessions de formation continue, ce que je fais actuellement.

A l'université, qui semblait jusqu'à présent épargnée, les premiers signes d'une crise de la lecture apparaissent et nécessitent également le rapprochement entre les différents partenaires. Ce rapport a commencé à travers les réponses apportées aux problèmes posés par les délocalisations universitaires : Bourges, Chateauroux, Blois bénéficient en effet de l'installation d'une antenne universitaire qui implique de prévoir l'accueil des lecteurs étudiants à l'intérieur des nouveaux locaux des bibliothèques municipales.

Le deuxième thème de réflexion développé par le Conseil supérieur des bibliothèques est celui de l'intercommunalité. L'excessif découpage administratif de la France nous contraint à cette démarche. Sur une agglomération, sur un département, il serait plus pratique pour les utilisateurs que le réseau de lecture publique soit conçu dans une optique intercommunale. Deux projets en cours en région Centre vont dans ce sens. Dans le Chinonais, les élus et les professionnels veulent mettre en place un réseau informatique couvrant les principaux points de lecture. Ce réseau permettrait dans un deuxième temps de partager les fonds, certains points développant des secteurs documentaires précis. Les ouvrages pourraient bien sûr circuler entre les différents points. On peut aussi imaginer que les lecteurs se déplaceront, ce qu'ils font déjà quand le service local est insuffisant. Il faudra alors résoudre le problème épineux, mais non insoluble, d'une carte de lecteur fonctionnant sur tous les points du réseau. Les élus souhaitent par ailleurs que le développement de quelques points forts dans les communes les plus importantes s'accompagne de la création de points de lecture dans les petites communes. L'autre projet, au nord du Loiret, concerne une dizaine de communes autour de Montargis. Groupées dans un Syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM), elles ont profité de la signature d'une convention avec la DRAC pour décider d'une étude sur l'informatisation coordonnée des bibliothèques.

Même si l'idée d'intercommunalité rencontre des difficultés, dont la plus insidieuse reste certainement l'esprit de clocher aussi réelle que difficile à cerner, elle avance manifestement. Ces deux projets en sont la preuve.

Le développement de la lecture

Cette mission est le complément indispensable des progrès faits sur les équipements de lecture. Le développement de la lecture ne peut en effet s'envisager que dans les équipements suffisants, gérés par du personnel compétent, avec les moyens qui permettent des horaires d'ouverture larges - au moins autant que la moyenne nationale : 28 heures par semaine - et des collections variées. C'est pourquoi la mission de renforcement du réseau reste la mission prioritaire. Le problème des publics non touchés par la bibliothèque ne peut être soulevé que par le professionnel qui a le sentiment d'avoir répondu aux besoins du public « spontané » des bibliothèques. Quant à celui-ci, d'ailleurs, connaît-on la raison de son renouvellement si fréquent ? Certains bibliothécaires pensent que, malgré des statistiques constantes ou en progression, le public qui quitte la bibliothèque peut atteindre un tiers des lecteurs chaque année. Une meilleure connaissance de ces phénomènes aiderait les professionnels à comprendre la démarche des lecteurs et à les garder plus longtemps.

Cette deuxième mission répond d'abord à une exigence de justice : rendre égal l'accès à la culture. Elle répond aussi à une demande d'efficacité d'un équipement public. Elle répond enfin à une nécessité économique de formation continue individuelle dans une société où la question de l'emploi est devenue grave.

Cette mission commence à l'intérieur des bibliothèques qui étudient des signalisations claires et lisibles permettant au public de s'orienter seul comme dans les grandes surfaces, ou bien celles qui simplifient les classifications pour que les futurs lecteurs puissent fureter, feuilleter, trouver. Mais la recherche de nouveaux lecteurs se pratique surtout à l'extérieur des bibliothèques, dans les quartiers, avec des points de lecture avancés, des bibliothèques de rues (Bourges, Blois, Tours), pour toucher les enfants que les parents ne laissent pas s'éloigner du pâté de maisons ou d'immeubles.

Les bibliothèques de rues ont pour objectif premier de prêter des livres, mais elles permettent aussi de lire des histoires, de raconter, de faire des jeux, de collecter des articles pour le journal de la bibliothèque. L'un de leurs objectifs, que je considère comme essentiel, est aussi de faire le lien avec la bibliothèque institutionnelle, qui reste le dernier recours du lecteur. Le rôle du conseiller pour le livre est de favoriser ce rapprochement et de faire connaître leurs actions. J'ai prévu sur ce thème une réunion régionale et des réunions départementales en 1992-1993.

Le rapprochement des ministères de la Culture et de l'Education nationale doit nous inciter à creuser la question des relations de l'école et des bibliothèques et celle, plus large, des relations de l'école et de l'art. L'école a un rôle irremplaçable pour l'acquisition des connaissances de base, dont la lecture, qui permettent d'être un vrai citoyen. C'est bien parce qu'elle a réussi cette mission qui n'a qu'un peu plus de cent ans qu'il est maintenant possible d'envisager de conduire 80 % d'une classe d'âge jusqu'au niveau du baccalauréat. Il faut insister sur la réussite de cet enseignement de masse : en 1992, plus de 600 000 lycéens ont passé le baccalauréat.

Deux problèmes restent à résoudre. Celui des rebelles qui fuient ce système au niveau de la 5e ou au niveau de la 3e et qui sortent souvent sans aucun diplôme, et celui de l'éveil aux pratiques artistiques. Seul le système éducatif a aujourd'hui la possibilité de donner, en plus des outils que sont la pratique d'une langue, la capacité de raisonner, de mener une réflexion, la chance d'une pratique artistique qui soit formatrice de la personnalité et de l'individu.

Un début de réponse est donné dans les classes culturelles ou ateliers de pratique artistique organisés par les deux ministères avec des enseignants volontaires et des acteurs culturels. Dans ces opérations, les jeunes ont la possibilité, au cours de l'année scolaire, de s'associer au projet artistique d'une troupe de théâtre, d'un plasticien, d'un musicien, d'un éditeur. Djamel Meskache reçoit aussi régulièrement des classes qui sont associées à la réalisation d'un livre. Les acteurs culturels sont en tout cas prêts à mener ces actions car ils savent que ce jeune public est une pépinière d'artistes et le futur public de leur travail.

Des réunions départementales avec les enseignants, les libraires, les bibliothécaires, les écrivains dans les mois qui viennent, puis une réunion régionale fin janvier 1993 devraient faire le point du chemin déjà parcouru.

Il sera de plus en plus difficile dans les années à venir de travailler dans un secteur sans savoir ce qui se fait pour le même public dans un autre secteur. Je pense au rapprochement déjà fait entre Culture, Jeunesse et Sports et Education Nationale en région Centre, rapprochement amorcé autour du projet d'université d'été en 1991, puis en 1992, et qui se prolonge par le travail en commun sur les bibliothèques de rues.

Sans multiplier les exemples, il me semble maintenant clair que l'obligation de ce partenariat rendra plus facile les questions de diplomatie, de prérogative entre acteurs de différents milieux. Ainsi Lire et dire, association du Chinonais qui lutte contre l'illettrisme et tient régulièrement ses séances de travail dans les bibliothèques publiques, avec l'espoir d'amener ses « apprenants » à trouver le chemin de la lecture. Cette association dispose aussi de mini-bibliothèques, des caisses contenant quelques dizaines de livres faciles que les formateurs font circuler dans les familles.

D'autres lieux doivent également être intégrés au réseau de la lecture. Le bilan doit être nuancé suivant les secteurs : une réussite pour les bibliothèques de prisons, le statu quo dans les entreprises, un demi-échec dans les hôpitaux, tout à faire avec les bibliothèques des établissements militaires.

Le soutien du réseau commercial

L'aide financière modeste (souvent aux environs de 50 000 F) que nous pouvons apporter aux entreprises, librairies ou maisons d'édition, n'est pas négligeable. Elle permet de réduire l'endettement et donc de garder de meilleures marges. Elle facilite de petits investissements en matériel et en mobilier, ainsi que des opérations plus importantes comme l'informatisation. Ce soutien est complémentaire du travail important fait par l'Association de défense de la librairie de création (ADELC) avec laquelle des réunions régulières ont lieu sur les gros dossiers : rénovation de magasins (1 à 2 millions de francs de travaux), acquisitions de locaux.

Jusqu'à présent, seule la direction régionale apportait son soutien à ces entreprises ; depuis cette année, le Conseil régional a décidé d'offrir des bourses à des écrivains et des prix aux éditeurs. Contrairement à d'autres régions, il a refusé de joindre son action à celle de l'Etat dans le cadre d'un organisme comme un Centre régional des lettres. Un effort commun est pourtant indispensable pour maintenir le maillage des librairies, commerces culturels, avant qu'il ne soit trop tard.

La mise en place du réseau de coopération

Déjà réalisé, et souvent avec réussite, ce réseau a une particularité en région Centre : il regroupe tous les professionnels du livre. L'association qui l'anime, AGIR Région Centre, reçoit l'aide de l'Etat et du Conseil régional pour des actions patrimoniales comme le recensement et le microfilmage des cartes et plans de la région, la restauration des livres anciens, des actions d'information (bulletin, annuaire, catalogue des éditeurs), des formations, des opérations de promotion de la lecture (Salon du livre de Paris, expositions). La coopération lancée sur des opérations fortes doit se recentrer sur le réseau des bibliothèques et avancer sur la concertation des acquisitions et de la conservation.

En conclusion, il est nécessaire de dire un mot d'une cinquième mission qui n'est pas confiée officiellement au conseiller pour le livre, quoique bien réelle. C'est l'aide à la création. La direction régionale ne gère effectivement aucun crédit pour ce genre d'action qui relève normalement du Centre national des lettres, seul organisme habilité à accorder des aides aux écrivains. En région, cette aide prend deux formes : le soutien ou conseil éventuel aux écrivains et l'installation d'écrivains en résidence. Très développée dans les arts plastiques, cette aide aux artistes, impulsée par le CNL est maintenant devenue une réalité en région Centre. En 1992, trois écrivains sont en résidence : Georges Mérillon à Blois, Marie Florence Ehret à Orléans, Didier Goupil à Saint Jean de Braye.

Diversité des missions, diversité des interlocuteurs. Pour être vraiment complet, il aurait fallu dire un mot des travaux que la direction régionale fait à la demande de la préfecture de région : Schéma directeur du grand bassin parisien, futur contrat de plan, etc., c'est-à-dire une réflexion sur l'avenir de la culture. Cette réflexion s'appuie sur les conversations, les débats que nous avons avec nos interlocuteurs. A l'époque de la décentralisation, la politique que la direction régionale applique dans le domaine culturel est aussi le reflet de la réalité régionale.

Juillet 1992

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Évolution des biliothèques municipales ces dix dernières années

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Moyenne annuelle des crédits consacrés au livre et à la lecture entre 1971 et 1991

  1. (retour)↑  Cahiers de l'économie du livre, Cercle de la Librairie, n° 7, 1992.