L'État et le développement de la lecture

Marie-Claire Germanaud

Si les bibliothèques municipales et départementales relèvent de la compétence des collectivités territoriales, le ministère de l'Education nationale et de la Culture ne se désintéresse pas, pour autant, du développement de la lecture.

D'autres publics

Pour le ministère, le développement de la lecture dépasse, et de loin, le strict fonctionnement de l'institution, compris dans le sens suivant : dans des locaux adaptés, des professionnels compétents proposent aux usagers des collections diversifiées et en nombre suffisant. Pendant longtemps en effet, la tradition professionnelle s'est davantage préoccupée de l'offre, telle que résumée ci-dessus, que de la demande. Ces usagers pour lesquels on a construit, équipé des bâtiments, acheté des livres, qui sont-ils ? Quels pourcentages de la population représentent-ils ? Et les autres, ceux qui ne viennent ni emprunter, ni travailler en salle de lecture, ni admirer les belles expositions de la bibliothèque municipale, qui sont-ils ? Dans quels quartiers habitent-ils ? Quelles sont leurs demandes ? Ou les raisons de leur rejet ?

C'est ce type de préoccupations qui a conduit le ministère à impulser ou à soutenir des actions de nature très différente mais dont l'objectif est toujours le même : au-delà du cercle des usagers naturels, aller vers les publics qui restent éloignés du livre pour des raisons géographiques, sociologiques, économiques.

Familiariser le grand public avec le livre, c'est ce que proposent les actions de promotion impulsées par le ministère au plan national :
- la Fureur de lire qui connaît dans toute la France le succès qu'on sait ;
- les Arts au soleil où les offres liées au livre côtoient, sur les plages, les propositions dans le domaine des arts plastiques, de la musique, du cinéma. Dans un autre registre, nous soutenons ou impulsons des actions spécifiques dont le public est ciblé. Citons, entre autres, les efforts faits pour les bibliothèques dans les entreprises, les prisons, les hôpitaux. Par ailleurs nous savons tous que la familiarité avec le livre, très tôt dans la vie des enfants, est un facteur essentiel pour l'intégration de la lecture dans les pratiques culturelles. C'est pourquoi le ministère de l'Education nationale et de la Culture a encouragé toutes sortes d'initiatives visant à toucher les jeunes publics, que ce soit les tout- petits par le biais des crèches et des consultations de PMI 1, ou les enfants scolarisés en impulsant la création des BCD 2 il y a quelques années dans les écoles.

Un outil qui a fait ses preuves

Dans toutes ces opérations, la bibliothèque publique ne peut être que très présente. Toutefois ces actions, intéressantes en elles-mêmes, peuvent avoir encore davantage de force et d'impact quand elles prennent place dans une stratégie définie par la collectivité. Encore faut-il que la volonté politique de définir une telle stratégie existe. C'est tout le sens du partenariat du ministère de l'Education nationale et de la culture avec les collectivités territoriales. Ce partenariat avec les communes, les regroupements de communes et les départements se concrétise par des conventions de développement culturel signées entre l'Etat et les collectivités territoriales.

Après une étude du tissu culturel du territoire concerné, de ses potentiels, de ses carences, des souhaits de la collectivité au regard des objectifs du ministère, l'Etat et les collectivités déterminent des objectifs communs qui se déclinent en opérations avec les financements des deux parties.

Toutes les disciplines peuvent être concernées : le patrimoine, la musique, les arts plastiques, le théâtre et le spectacle vivant, le livre et la lecture, avec des dominantes, en fonction des contextes locaux. Cette dominante peut être, bien sûr, le livre et la lecture.

La convention de développement culturel est un outil très souple. Les objectifs qui y sont inscrits sont déterminés en fonction du contexte spécifique de la collectivité, de ses acquis et de ses besoins. C'est-à-dire que la gamme des interventions est très vaste. Citons par exemple la formation, la décentralisation géographique, la lutte contre l'exclusion, le jeune public. Les opérations peuvent prendre des formes très diverses : expositions, interventions de conteurs, résidences d'écrivains, ateliers d'écriture, etc.

Inclure la problématique de la lecture dans un tel processus représente un double avantage :
- l'étape de la préparation est très utile pour les collectivités ; le diagnostic, la réflexion, la négociation aident les élus (et les professionnels !) à « mettre à plat » la question du livre et de la lecture à l'intérieur du territoire concerné ; on peut ainsi distinguer les acquis sur lesquels s'appuyer, les potentiels à optimiser, mais aussi les manques, les carences, les efforts à faire (si la politique de lecture reste à définir, ce peut être un des objectifs de la convention) ;
- la convention étant presque toujours pluridisciplinaire, le développement du livre et de la lecture y est donc resitué dans une problématique plus générale de développement culturel, ce qui lui est favorable ; des synergies se découvrent entre les outils culturels de la ville (musée et bibliothèque), entre manifestations (un festival de cinéma et un concours de nouvelles).

Un axe de travail est essentiel pour le ministère de l'Education nationale et de la Culture : la notion de réseau.

Plutôt que d'aider séparément des actions qui concourent aux mêmes objectifs avec à la clé une dispersion des énergies et des moyens tant financiers que logistiques et humains, il s'agit de découvrir les synergies et les relations qui peuvent se créer à l'intérieur d'une stratégie globale.

C'est ainsi que la DRAC 3 qui soutient dans une ville des actions lecture en direction de la prison, de l'hôpital, en milieu scolaire demandera à la ville, qui souhaite une convention de développement culturel, de réfléchir avec elle à une politique de « décentralisation » de la bibliothèque qui pourra aboutir à la mise en place, aidée par l'Etat, d'un service adapté à cette extension à la bibliothèque.

La notion de réseau s'entend dans le sens géographique : saisie d'une demande par un bourg centre pour des actions lecture lourdes, la DRAC souhaitera sans doute étendre la réflexion aux communes avoisinantes. Elle s'entend aussi dans le sens relation entre établissements culturels d'une même ville, par exemple une carte « jeune » pour les activités de la bibliothèque, du musée et de l'école de musique.

La convention, mode d'emploi

La convention est signée par les décideurs : le préfet, représentant l'Etat, et le représentant de la (des) collectivité(s) : le maire, le président du syndicat de communes, le président du conseil général.

Elle est préparée :
- pour l'Etat, par la direction régionale des affaires culturelles : le directeur régional dans les phases décisionnelles ; le conseiller action culturelle ; bien évidemment, le conseiller pour le livre et la lecture (rappelons que le conseiller pour le livre et la lecture est l'interlocuteur naturel de tous les professionnels dans toutes les directions régionales des affaires culturelles).
- pour la(les) collectivité(s), par le service culturel (quand il en existe un) et les responsables des institutions culturelles (les bibliothécaires, dans le domaine qui nous occupe).

Très souvent, la DRAC demande que soient associés à la réflexion d'autres acteurs qui ne sont pas forcément des professionnels de la lecture mais des relais indispensables pour des actions de développement : par exemple, les responsables de centres de loisirs ou les animateurs des maisons de quartier, les animateurs des centres sociaux.

Des malentendus à éviter

Pour le ministère de l'Education nationale et de la Culture, les objectifs de la convention sont le développement de la lecture et l'élargissement des publics.

Ne sont donc généralement pas pris en compte :
- les opérations et actions qui existent déjà, prises en charge par la collectivité, sauf s'il s'agit d'une extension visant à toucher d'autres publics,
- le fonctionnement normal de l'institution bibliothèque qui, répétons-le, relève de la seule compétence de la collectivité territoriale concemée,
- les opérations ponctuelles qui sont dans l'air du temps mais qui ne s'inscrivent pas dans une démarche réelle d'élargissement des publics, par exemple un salon du livre qui ne serait que le rassemblement de stands de vente pendant un week end sans démarche en amont, sans prolongement en aval, sans travail en direction des publics.

Ce sont les axes structurants qui sont privilégiés par rapport à l'événementiel.

Par ailleurs, il faut savoir que les financements de l'Etat apportés par les conventions de développement culturel sont incitatifs. Ils ne sont pas destinés à être pérénisés sur les opérations quand celles-ci sont intégrées à la politique culturelle de la collectivité. Généralement la convention qui porte sur un exercice budgétaire est prolongée par un ou deux avenants, qui consolident les actions engagées sur un ou deux ans. C'est ensuite la collectivité qui doit prendre le relais. C'est bien pourquoi, encore une fois, ce sont les actions structurantes qui sont privilégiées par les DRAC.

Quelques exemples

- Avec la ville d'Issoire (Auvergne), l'axe de travail est le jeune public dans les quartiers excentrés. Le partenariat s'établit entre la médiathèque, le groupe régional de lutte contre l'illettrisme, des élèves éducateurs, la bibliothèque départementale de prêt.

Les actions sont : l'intervention d'une conteuse au pied des immeubles ; des animations : expositions - lectures -présentations d'albums.

- Avec la ville de Quimper (Bretagne), ce sont les centres de loisirs qui ont été privilégiés.

Les actions prévues sont : l'aménagement des points lecture dans les centres avec des animations (expositions, invitations d'auteurs), l'accueil par petits groupes à la bibliothèque municipale, la formation des animateurs des centres de loisirs.

- Avec le département du Pas-de-Calais, la convention de développement culturel signée en 1989, confortée par les avenants de 1990 et de 1991, a permis, à partir d'un diagnostic sévère, une réflexion d'ensemble qui a abouti à la mise en œuvre par le conseil général d'une véritable politique de lecture. Le programme est vaste, comportant aussi bien la sensibilisation des élus qu'une manifestation liée au livre de sports. Toutefois, liée au diagnostic, la part faite à la formation et à la sensibilisation est la plus importante.

Pour un programme d'une telle envergure, le partenariat est multiple : il va de l'association régionale de coopération entre bibliothèques aux fédérations sportives.

D'autres pistes

Si nous privilégions la convention de développement culturel pour le développement de la lecture et l'élargissement du public, d'autres outils peuvent être utilisés par les bibliothèques, en relation avec le ministère de la Culture.

- Les contrats « publics plus » :

La bibliothèque est considérée dans ce cas comme un établissement culturel. Il s'agit d'utiliser le potentiel que représente toute sa gamme d'activités : consultation, prêt, mais aussi édition, expositions, travaux scientifiques, animations littéraires, pour entreprendre une démarche lourde d'élargissement des publics.

Ce dispositif exige un investissement important et suppose un établissement structuré, diversifié, ayant déjà un projet culturel.

- Le jumelage :

Le principe est le même que précédemment mais le public visé est scolaire. Dans le cadre des accords DRAC/rectorat, une bibliothèque, là aussi un établissement relativement structuré, sera jumelée avec un ou plusieurs établissements scolaires ou avec une ZEP 4. Là aussi, on utilisera l'ensemble des activités de la bibliothèque pour engager une relation régulière avec tous les niveaux de l'école, du collège, ou du lycée concernés.

Juillet 1992