Rennes

La bibliothèque dans la cité

Marie-Thérèse Pouillias

La bibliothèque de Rennes connaît, depuis plus de dix ans, une constante évolution. Les élus locaux, conscients des enjeux que représentent l'accès à l'éducation et à la culture, ont mis en œuvre des moyens afin de créer un réseau de la lecture et de la documentation. Une véritable charte, votée par le conseil municipal en 1981, a servi de cadre de référence à ce développement. Partant d'objectifs clairement identifiés, les professionnels ont contribué à doter la ville d'un maillage de bibliothèques complété par des actions de coopération avec les structures éducatives et le milieu associatif. Le bilan permet de mesurer le progrès accompli et d'évaluer les résultats. De nouvelles perspectives se dessinent, liées à la réalisation en cours de programme d'informatisation globale des services documentaires de la ville et à l'élaboration d'un nouveau projet de bibliothèque.

Since more than 10 years, the Public library in Rennes has known a constant evolution. Local elected representatives, aware of the stakes that the access to éducation and culture gives, have implemented resources for the creation of a reading and documentation network. A real charter, voted in 1981 by the town council, was the framework of this development. With clearly-defined goals, librarians have contributed to give to the town a library network, completed by a cooperation with educational organisms and associations. The assessment permits to weigh up the progress done and the results. New prospects may be noted, linked to the overall in progress informatisation of the documentation services of the city and to the project of a new library.

Ville confluent, Rennes éveille le souvenir d'une cité académique héritière de la tradition parlementaire. Elle a longtemps véhiculé une image de grisaille et d'austérité. Or, elle étonne chaque jour par sa métamorphose tant sa jeunesse bouscule sa réputation de tranquillité. Les couleurs redécouvertes de ses maisons médiévales contrastent sur le ciel océanique. Sa géographie épouse des modèles architecturaux qui sont autant de ponctuations historiques. Le patrimoine est ici ressenti comme essentiel à l'identité.

La vie culturelle se fait festive, multiple, attentive aux quartiers. Dans cette pluralité, la bibliothèque connaît, depuis plus de dix ans, une montée en puissance d'autant plus soutenue qu'elle accusait un certain retard dans le développement de ses services. Cette croissance témoigne d'une volonté locale affirmée de faire de la culture un axe obligé et de valoriser les politiques publiques.

Le développement de la bibliothèque s'est ainsi inscrit dans un processus de démocratisation de l'accès à l'éducation et à la culture. A l'aube de nouvelles perspectives, un moment d'arrêt s'impose pour tenter d'esquisser la progression de ce mouvement, tout en essayant de donner, à la fois, la mesure de la passion politique et de la ferveur professionnelle.

Pour une nouvelle politique

« Les enjeux accrus du développement culturel appellent l'existence d'un réseau moderne et efficace de bibliothèques garantissant à tous l'accès libre au livre et au document dans leur pluralité croissante.

La bibliothèque présente, en effet, l'aptitude unique de rendre disponible, en permanence, l'essentiel de la production intellectuelle de notre temps, à travers la diversification de ses supports... ».

Par cette déclaration, le conseil municipal rennais jette, en décembre 1981, les bases du développement de la lecture publique. Une telle charte fixe clairement les objectifs qui sont ainsi définis :
- multiplier les lieux ouverts à la lecture en vue de couvrir, en un maillage serré, l'ensemble du territoire urbain ;
- accroître sensiblement le personnel, dans l'immédiat, en vue de rattraper le retard accumulé depuis de nombreuses années et, dans un second temps, pour faire face aux nombreux besoins liés à l'ouverture de nouveaux lieux ;
- engager une politique plus ambitieuse des acquisitions pour enrichir les collections existantes et répondre au mieux aux attentes des lecteurs.

Une démarche « quartier » est résolument annoncée. Lors de l'élaboration de chaque dossier de programmation d'équipement de quartier, la question de l'opportunité de créer une annexe de bibliothèque sera ainsi examinée.

Une autre possibilité d'extension des territoires du livre est en même temps amorcée : dépôts de livres dans des structures autres que les annexes, relations avec les comités d'entreprise, collaboration avec le secteur scolaire.

La déclaration se poursuit par ces termes :

« Une politique de la lecture publique n'est pas spectaculaire. C'est une œuvre de longue haleine qui implique des efforts soutenus, intégrant à la fois la durée et la régularité dans l'effort... Il ne faut pas seulement décider de créer des bibliothèques, renforcer les effectifs, augmenter les crédits destinés aux acquisitions pour accroître la sensibilisation à la lecture. Il faut créer des lieux agréables dans lesquels le public a envie d'entrer... Il faut aussi rappeler que la mission de service public impose une ouverture des équipements telle que la population puisse accéder plus facilement à la lecture, par la consultation sur place ou le prêt... Enfin, les missions de développement culturel et de conservation doivent se rejoindre et conduire d'une part à la promotion des écrivains et des œuvres et d'autre part à la mise en valeur des collections et du patrimoine ».

Un chantier permanent

Un tel programme s'est régulièrement concrétisé au cours des dix dernières années écoulées. Il s'est ancré dans une réalité locale soumise à des contingences sociales. Il a été inspiré par les tendances ministérielles et influencé par les dominantes fmancières. Il a développé des capacités de mobilisation humaine et créé un sentiment d'appartenance à une communauté. Il a ainsi forgé un esprit d'entreprise et enrichi les échanges du public avec les biens culturels. Il s'est traduit par des résultats matérialisés dans le temps et dans l'espace. Les actions ont pris, comme dans la plupart des villes, des voies multiformes, sujettes aux procédures budgétaires, aux financements croisés, aux dispositifs contractuels, aux opportunités politiques et aux relations personnelles et professionnelles.

Loin du contraste entre le discours sur la lecture le plus souvent parée de toutes les vertus et les priorités réelles données aux lieux de lecture, l'implication des élus rennais fut la condition de ce développement.

Rennes (203 533 habitants) est dotée, actuellement, d'un maillage dense de bibliothèques. La couverture géographique est riche de douze sites répartis à travers la ville. A la rentrée scolaire 1992, une nouvelle bibliothèque de quartier s'ouvre au public. Un nouveau projet se fait jour dans un autre quartier, donnant ainsi une réalité à une demande fortement exprimée par l'association de la maison de quartier, gestionnaire d'un important dépôt alimenté par la bibliothèque.

Le dernier bibliobus se retire progressivement du circuit devant l'avancée des bibliothèques, attendant une prochaine redéfinition de ses missions.

Sous l'influence des idées anglo-saxonnes, des recommandations des différents groupes de travail sur le développement des bibliothèques, avec l'appui des directions ministérielles, le visage des bibliothèques rennaises a beaucoup évolué en une décennie. Le concept de la bibliothèque - espace ouvert, accueillant, intégrant à l'imprimé les moyens audiovisuels et informatiques - a conduit à mettre à la disposition du public un service culturel de base, accessible à tous les publics, sans discrimination, offrant des moyens d'information, de documentation et de culture quel qu'en soit le support.

A l'intérieur de ce maillage, cinq sites présentent de fortes spécificités : la bibliothèque centrale pour son fonds d'étude, une bibliothèque dédiée principalement au public jeunesse, une autre jouant pour l'école qui l'entoure le rôle de bibliothèque-centre documentaire, une médiathèque proposant des fonds sonores diversifiés, des vidéos de prêt et des fonds correspondant aux cultures minoritaires, une bibliothèque spécialisée dès 1986 dans le domaine scientifique et technique, répondant ainsi à une mission de vulgarisation partagée avec le Centre de culture scientifique, technique et industrielle ; les autres bibliothèques offrant des caractéristiques communes, polyvalentes et relativement homogènes en termes d'offre et de support, lieux de vie sociale, espaces de proximité et de convivialité.

L'informatisation globale des services documentaires (bibliothèque, musées, Ecole régionale des beaux-arts, documentation administrative), s'appuyant sur un plan de conversion rétrospective à partir de 1960, traduit à son tour la décision politique de créer un réseau local d'information et de documentation.

Hors les murs

La bibliothèque vit au cœur des échanges. Sollicitée ou candidate, elle se fait partenaire des forces vives qui font la ville pour un service continu de la lecture.

L'accessibilité intellectuelle et matérielle étant partie intégrante de notre philosophie professionnelle, tous les moyens doivent être mis en œuvre pour réduire les handicaps physiques et les écarts géographiques. C'est dans cette perspective que des dépôts sont mis à la disposition d'organismes divers : dépôts ouverts à tout public d'un quartier donné ou réservés aux usagers, employés, résidents d'une collectivité donnée. C'est dans ce cadre que la bibliothèque de l'université de Rennes I entretient une relation culturelle avec la bibliothèque municipale. Des liens étroits ont été tissés avec le milieu pénitentiaire local grâce au dynamisme partagé des partenaires.

Cependant, dans ce domaine « hors les murs », la situation est fluctuante, suivant l'évolution des modes d'habitat, des habitudes de vie et des comportements d'usagers.

Ecole et bibliothèque

En 1984, les ministères de l'Education nationale et de la Culture lancent une initiative conjointe pour développer la lecture. Une circulaire commune du 1er octobre décrit une procédure expérimentale lancée dans les académies de Créteil, Grenoble, Lyon et Poitiers pour favoriser la création de bibliothèques-centres documentaires dans les écoles.

Dans cette ligne idéologique, la ville de Rennes, engagée résolument dans une politique de qualité éducative, signe, en octobre 1989, un contrat d'objectifs avec le ministère de l'Education nationale dans la mouvance de la loi d'orientation du 10 juillet 1989 qui précise que l'éducation est la première priorité nationale et que le droit à l'éducation est garanti à chacun.

Ce contrat doit permettre de « favoriser la réussite scolaire de tous les jeunes Rennais, d'élargir leur horizon culturel et de les préparer à une vraie citoyenneté ».

La bibliothèque est ainsi définie comme un partenaire de l'école pour créer des lieux de lecture, les animer et enrichir les connaissances des enseignants dans le domaine du livre pour enfant. Cette décision s'appuyait sur les résultats d'une enquête préalablement menée par les soins de la bibliothèque auprès des écoles du secteur public, afin d'évaluer leur capital documentaire et de connaître leurs besoins et leurs attentes par rapport à la littérature enfantine.

A ce jour, le fonds spécialement constitué est riche de plus de 12 000 volumes ; tous les genres sont représentés : romans, albums, bandes dessinées, documentaires, presse ; deux dépôts sont effectués par an, à raison de 350 livres par dépôt, ce qui n'exclut ni les dépôts à thème, ni les réponses aux demandes ponctuelles. Une politique d'animation accompagne ces dépôts qui bénéficient également d'un programme de travaux.

Cette démarche philosophique et pragmatique s'est vite doublée d'un intérêt naturel pour la découverte du plaisir de lire.

Petite enfance

En 1990, une enquête est menée par la bibliothèque pour évaluer la place du livre chez les tout-petits. Menée avec la collaboration diligente de l'administration concernée, elle englobe les pratiques des crèches familiales et collectives de la ville et de cinq crèches parentales qui ont accepté de s'associer à cette étude. Un état des lieux est ainsi établi. Rapidement, se met en place un groupe de lecture commun crèche-bibliothèque et s'initie tout un mouvement de formation à l'édition du livre pour enfant. Un dynamisme partagé pour rendre le livre familier à l'enfant afin qu'il progresse du stade de simple spectateur fasciné à celui de parfait lecteur apprivoisé.

Culture et solidarité

Rennes, ville qui partage, se mobilise pour lutter contre l'échec scolaire, l'exclusion sociale, l'oubli des minorités. La bibliothèque est présente et apporte son soutien aux politiques éducatives dans les quartiers en développement social et en zone d'éducation prioritaire. Elle s'ouvre à l'ensemble du quartier, faisant sienne la mobilisation des énergies en faveur de la formation et de l'insertion professionnelle, de la lutte contre l'illettrisme. C'est, en effet, par le dépassement des cloisonnements par champs d'action ou par institutions et la coopération autour d'objectifs identifiés qu'elle affirme sa présence aux autres. C'est encore elle qui guide la relation de partenariat avec la bibliothèque de Bandiagara au Mali et qui imprègne le programme de formation de médiateur du livre en relation avec ATD Quart-Monde.

Bilan

En dix ans, le paysage culturel rennais a poursuivi sa mutation. La bibliothèque a pris une part active dans cette évolution. Le développement de ses moyens en investissement et en fonctionnement peut être constaté. Le contrôle de gestion intègre la conduite des affaires. Le gouvernement des hommes et des choses est un apprentissage quotidien. Les résultats, escomptés en termes de nombre de lecteurs, ne sont, cependant, pas à la hauteur des attentes des politiques ni des professionnels.

Une étude, confiée au Cabinet Bossard Consultants en 1992, relève les lignes de force existantes : le maillage actuel de la bibliothèque de Rennes lui confère un potentiel de réseau en termes d'offre documentaire par l'importance et la diversité de ses fonds, par la couverture géographique du territoire rennais, par ses moyens matériels et informatiques, par ses moyens humains. Toutefois, ce potentiel requiert plus de cohérence scientifique et de communication interne et externe. La segmentation de l'offre n'est pas suffisamment adaptée pour valoriser les fonds existants et définir une stratégie documentaire cohérente et lisible par tous. La gamme de services est de type classique : consultation, prêt. Cette évaluation constate que le visage actuel des bibliothèques est le reflet de la politique menée par la ville en faveur des quartiers ; ce sont des services de proximité qui touchent principalement deux catégories de public peu mobiles : le public jeunesse et les retraités. Les modes d'action des bibliothécaires différent. En raison de problématiques plus simples, les bibliothèques pour enfants développent des services plus spécialisés, en s'appuyant sur des relais clairement identifiés (écoles, crèches, associations...). L'édition de Tout lu, tout cru, sélection d'ouvrages pour la jeunesse, l'accueil de classes, de crèches, l'organisation d'animations, les actions de formation, la création de la cellule Ecole-bibliothèque participent de cette dynamique.

Par contre, les bibliothécaires pour adultes éprouvent davantage de difficultés à cerner des publics dont les attentes sont plus hétérogènes et à se positionner en termes de services.

Pour en revenir à la bibliothèque centrale, ses moyens actuels ne lui permettent pas d'offrir à un large public des prestations spécialisées telles que l'assistance à la recherche, la consultation de bases de données, la constitution de dossiers documentaires.

Toutefois, l'informatisation représente l'opportunité de développer de nouveaux services et d'accroître les complémentarités au sein du réseau par une meilleure information sur les collections et leur rotation et par une recherche d'adéquation entre l'offre et la demande.

En effet, la connaissance des publics est jugée insuffisante, le personnel dispose de trop peu de données qualitatives et quantitatives. Si le public jeune est naturellement captif, le comportement du public adulte est déterminé par un ensemble de facteurs : niveau d'exigence, de mobilité, appartenance à une catégorie professionnelle, à un milieu social, qu'il importe d'apprendre à maîtriser. Publics réels, public virtuel ! La réalité urbaine influence la stratégie culturelle.

Un nouveau projet

Le 8 juillet 1992, le conseil municipal a approuvé le programme d'un nouvel équipement culturel, associant la bibliothèque au Musée de Bretagne, musée de société, et au Centre de culture scientifique, technique et industrielle. Le concept fédérateur du projet induit une synergie entre les trois composantes qui, tout en ayant des champs exclusifs d'application, possèdent des recoupements liés soit à leur appartenance à un territoire, soit à leur intérêt pour des sujets communs, soit à leur implication dans le développement de la vie régionale et dans la transmission du savoir. Il s'est avéré important de bien définir les convergences entre les missions des institutions pour créer les conditions nécessaires à l'émergence de collaborations.

La bibliothèque joue le rôle de tête de réseau pour la ville et apporte une dimension propre à son nouveau quartier d'implantation, quartier de la gare en cours de restructuration. Elle confirme les ambitions de Rennes, ville intelligente, ville d'innovation et de création, ville d'art et de caractère, de se doter d'institutions en marche vers le nouveau millénaire. La politique de communication, déclinée sur les médias, exprime la volonté de donner aux Rennais de nouveaux atouts dans la construction européenne. Tradition et modernité, valorisation patrimoniale, développement documentaire, qualité de vie, autant d'axes d'orientation qui ont conduit les bibliothécaires à proposer un schéma d'organisation prenant en compte le réseau existant, le développement universitaire local et le contexte national. Le rôle catalyseur du programme des « pôles associés » lancé par la Bibliothèque de France, la nouvelle impulsion du concours particulier en faveur de la construction de bibliothèques municipales à vocation régionale donnée par la Direction du livre et de la lecture, les incitations propices aux politiques culturelles d'aménagement du territoire annoncées dans les prémisses des négociations du XIe Plan constituent une force d'impact et une garantie d'emprunt à laquelle les décideurs ne sont ni insensibles, ni étrangers.

Le nouveau programme de la bibliothèque de Rennes a ainsi bénéficié de cette recherche de consensus pédagogique et financier.

Dessinant de nouvelles perspectives, de nouveaux objectifs sont assignés à la bibliothèque pour une conquête de publics nouveaux, tout en fidélisant le public naturel de la lecture. Pour ce faire, elle s'appuie sur une réflexion en termes de stratégie documentaire menée par le Cabinet Bossard Consultants, stratégie qui doit assurer cohérence et synergie à trois niveaux, au sein du nouvel équipement culturel, au sein du réseau propre à la bibliothèque, avec les autres réseaux documentaires rennais. Cette stratégie doit permettre d'éviter des effets de substitution et de passer à un éventail de services prenant en compte l'évolution générale des pratiques documentaires et culturelles des publics au-delà du seul développement de la lecture et répondant à l'attente des publics.

Les missions : pour quoi faire ? Les publics : pour qui ? L'offre documentaire : quelle offre ? Quels supports ? Quelles fonctions spécifiques de l'offre ? La gamme de services : quels services autour de l'offre ? Comment y accéder et à quelles conditions ? La localisation : dans quelle bibliothèque ? Les partenaires de la bibliothèque : avec qui ? Qui fait quoi ? Autant de questions d'où surgissent des réponses pour un programme scientifique à la hauteur des ambitions politiques et des exigences professionnelles.

La tâche n'est pas dénuée de complexité ! Un tel projet constitue une pièce majeure de la politique urbaine où l'économique et le culturel s'entrecroisent. La culture de l'urbanité se vivifie d'un tel acte créateur, sens et symbole de la vitalité d'une cité. A la bibliothèque, mémoire et innovation, d'apporter à ce projet de l'esprit et du cœur, de la beauté et de l'émotion.

Juillet 1992