Annuaire des bibliothèques universitaires et de grands établissements 1989

résultats de l'enquête statistique générale auprès des bibliothèques universitaires, ESGBU = The French university libraries directory in 1989

par Yannick Valin
Paris : DPDU, La Documentation française, 1991. - 116 p., cartes ; 30 cm.
ISBN 2-112002716-9 : 120 F.

La parution de l'Annuaire des bibliothèques 1988 marquait une rupture avec l'anonymat discret auquel la Direction des bibliothèques nous avait habitués. Pour la première fois un instrument comparatif d'évaluation était largement distribué, sous une forme agréable. Pour l'édition 89 la sous-direction des bibliothèques poursuit son effort de médiatisation, et commercialise son produit, en s'associant avec la Documentation française, qui publie le volume.

Les résultats des bibliothèques universitaires mais aussi ceux des grands établissements et des centres d'acquisition et de diffusion de l'information scientifique et technique sont mis en valeur dans cet annuaire, digne de ceux que publient les grands services de l'Etat.

Qu'il soit bilingue (traduction anglaise de Christine Deschamps), montre l'intention des bibliothèques françaises de s'afficher au regard de leurs consoeurs anglo-saxonnes, pour soutenir une comparaison, pas nécessairement défavorable, bien qu'à plusieurs reprises soit rappelé l'écart de moyens entre nos bibliothèques, et celles de l'ancienne République fédérale d'Allemagne.

Les commentaires introductifs dégagent les tendances fortes de l'enquête. L'on suppose que l'ordre de présentation choisi ne résulte pas du seul hasard ; placer le service public en ouverture concrétise le passage à un lectorat de masse, à fimage de l'université dont l'élitisme paraît, à bien des égards, révolu. Cette évolution, que, prestataires de services, les bibliothécaires accompagnent, porte, outre des espoirs, quelques incertitudes conséquentes aux avancées positives. Ainsi la fréquentation des bibliothèques, dont la progression est flatteuse, pose aussi de façon désormais chronique et évolutive les problèmes de manque de places, de documentation relativement insuffisante, en nombre ou en qualité, et de pénurie de personnel.

Dans cette perspective, le classement des établissements, dont nous nous félicitions l'année dernière apparaît ambigu. Révolutionnaire en ce qu'il introduit la compétitivité et implique la comparaison entre BU, il jauge les bibliothèques, et incidemment donne les moyens de juger ceux qui y travaillent. Excellente chose, si les critères retenus sont réellement des marqueurs, si l'effort, le rendement humain, la progression (reflets de l'efficacité de gestion) sont objectivement traduits.

Le service public

Confirmation de la tendance enregistrée depuis 1984, le taux de fréquentation des BU croît plus vite que l'effectif des universités : entre 1984 et 1989, la population estudiantine augmente de 17 % et le nombre d'inscrits en bibliothèque de 58 %.

Chiffres remarquables qui traduisent l'adaptation des bibliothèques à l'université actuelle, mais qu'affectent les modes de comptabilisation. A l'évidence, selon les établissements, voire les sections, la définition de « l'inscrit » varie, ce qui altère la possibilité de comparaisons objectives au niveau national. En revanche, le développement du libre accès et l'habitude acquise de considérer la salle de lecture comme une salle de travail majorent le nombre d'usagers réels qui n'entrent pas nécessairement dans le compte des « inscrits », d'où une dérive secondaire.

Le constat porte principalement sur les tableaux 19 et 20 (lecteurs inscrits et audience des bibliothèques) établissant un ratio lecteurs inscrits / inscrits à l'université. Certes, le coefficient moyen, qui situe l'audience à 0,61 pour la province et à 0,57 pour Paris, doit s'approcher du chiffre exact, mais que dire du classement ? Il conviendrait de fixer des critères de mesure identiques pour tous les établissements. Dans leur configuration actuelle, ces tableaux foumissent des résultats dont divers recoupements permettent de déduire qu'ils ne cadrent pas avec la réalité.

Il est d'ailleurs curieux que la fréquentation (nombre d'entrées) n'ait pas été retenue comme marqueur de l'audience : le système de comptabilisation étant plus ou moins unifié depuis la généralisation des systèmes antivol avec compteur de passage. Quel meilleur signe de l'insertion d'une bibliothèque dans la vie de son université que le flux de passage ? Un ratio nombre d'entrées / inscrits à l'université traduirait mieux l'audience réelle et permettrait un classement sinon parfait, du moins sans équivoque.

La moyenne d'ouverture hebdomadaire se situe actuellement à 45-50 heures, ce qui dénote un progrès. En 1989, les BU ont prêté sur place ou prêté à domicile 9,71 millions de documents contre 9,28 en 1988 (+ 4,6 %). Il est vrai que cette croissance modérée enregistre la stagnation, voire la baisse des communications sur place, dues au développement du libre accès. En effet, le seul prêt à domicile augmente de 8,3 %. Là encore, les critères retenus pour le classement des établissements ne sont pas nécessairement les meilleurs. Le tableau 21 globalise prêts à domicile et communications sur place, pénalisant les bibliothèques ou les sections ayant pu modemiser la communication, d'où le paradoxe. D'un côté, le libre accès est préconisé et financièrement encouragé, de l'autre le classement pénalise ceux qui le pratiquent. Il serait plus représentatif d'établir deux listes, en sachant que le nombre de BU pratiquant les communications sur place de manière significative tendra à se réduire.

Pour prendre en compte l'évolution actuelle, il pourrait être bon d'évaluer par une enquête, dans certains établissements tests, un coefficient d'usage des livres en libre accès lié à la fréquentation des salles de lecture. De même, pour que ces classements attestent des performances réelles, encore faudrait-il que les prêts soient mesurés à la même aune. Par exemple, pour les communications de périodiques, certains comptent par bulletin établi, d'autres par fascicule. Le rapport est fréquemment de 1 à 4, et sur un an peut se chiffrer à plusieurs dizaines de milliers de prêts. Dans ces conditions, quelle est la valeur du classement actuel ? L'ESGBU doit impérativement définir une méthodologie de comptage des documents prêtés ou communiqués égale pour tous.

Le tableau 22 « Documents prêtés et communiqués par lecteur » permet de déduire que 21 bibliothèques prêtent plus de 15 documents par lecteur, 28 entre 10 et 15 et 17 moins de 10.

Il est écrit : « Cet indicateur traduit selon les cas le dynamisme plus ou moins fort de la bibliothèque, son insertion plus ou moins étroite dans l'université ou l'adaptation plus ou moins grande des locaux à l'accueil du public ». Malheureusement, ces assertions sont sans fondement. Les indicateurs ne traduisent rien, la somme des prêts et des documents communiqués ne constituent plus un instrument de mesure fiable, de même le nombre de lecteurs inscrits, dont on a vu qu'il prêtait à caution, ne traduit pas l'insertion dans le milieu.

Le tableau homologue de l'annuaire 88 établissait un rapport documents prêtés à domicile / lecteurs ramenant les critères à 2 dont 1 (les prêts) fiable. Or, sur les 10 premiers du classement 88, 3 seulement se retrouvent dans les 10 de 89, le mieux placé se classant 7e, bien que 1er en 88. Le 1er en 89 était 61e en 88, le 2e était 31e, le 3e 51e. Inversement, le 2e de 88 passe 19e, le 3e passe 40e. Sur une seule variable, au premier abord peu contestable, le classement se modifie dans des proportions énormes.

Le plus équitable ne serait-il pas d'établir un ratio étudiants inscrits à l'université (public potentiel) / prêts à domicile ? Il traduirait l'insertion de la bibliothèque et l'activité de communication selon des termes comparables au plan national et serait, sur le moyen terme, insensible à des variations techniques (développement du libre accès, inscription automatique des étudiants).

Le prêt entre bibliothèques constitue une activité importante des BU. Il matérialise le réseau et bénéficie d'une image de marque excellente. Les demandes émises progressent de 8,9 % tandis que les demandes reçues s'accroissent de 13,4 %. Il est à noter que les BU fournissent plus de documents que l'INIST 1 (560 000 demandes contre 496 000). Les tableaux de classement ont été légèrement modifiés par rapport à 88. Tandis qu'en 88, 3 tableaux décrivaient le PEB 2 prêteur, demandes satisfaites, le PEB emprunteur, taux de satisfaction des demandes émises, 2 subsistent en 89 : demandes reçues, demandes émises. La nuance porte entre « demande reçue » et « demande satisfaite ». Si l'ordre des classements ne semble pas en être altéré, pour juger des performances, ne vaudrait-ilpas mieux s'attacher à des résultats qu'à des hypothèses de résultats ? En 88, sur la France entière, le taux de satisfaction des demandes émises était de 85,4 %.

Les collections et les acquisitions

Ouvrages

Le rapport constate le poids documentaire de Paris, où sont situés 52,5 % des collections, deux autres régions dépassant le million de volumes, l'Alsace et Rhône-Alpes. Les universités de province, souvent en montée en charge, font face avec des moyens plus réduits.

Les acquisitions progressent de 7,1 % passant de 346 627 volumes à 371 257. Chiffres encore faibles, puisque sept BU seulement acquièrent plus de 10 000 volumes et que quinze restent en dessous des 3 000 acquisitions annuelles. Les BU de l'ancienne RFA acquièrent sept fois plus de documents que l'ensemble des BU françaises.

Périodiques

Près de 110 000 titres courants sont reçus, dont 70 940 à titre onéreux. Les collections universitaires constituent l'un des trois pôles majeurs de la recherche, avec l'INIST et la Bibliothèque de France (14 000 abonnements prévus en 1995). Les collections sont intégralement signalées dans le CCN 3. Si 17 BU possèdent plus de 6 000 titres, 24 en reçoivent moins de 2 000. Paris pèse très lourd : 45 % des collections. En un an, les titres reçus ont augmenté de 6 %, passant de 31 085 titres à 33 003 (France) et de 34 864 à 36 000 (étranger).

Comme en 88, ce chapitre donne lieu à 4 tableaux. Cette année, les CADIST ont été logiquement inclus. Les tableaux présentent une image nette des collections documentaires et de leur progression.

Les locaux

En 1989, les BU offrent environ 70 000 places de lecture sur 67 000 m2 répartis en 195 implantations. La moyenne nationale de capacité d'accueil est de une place pour 16 étudiants. La situation apparaît critique, plus particulièrement en Ile-de-France et dans le Nord-Pas-de-Calais. Le tableau 29 établit un classement selon le ratio étudiants inscrits à l'université / places. Il n'existait pas en 88. Ce classement livre, dans l'ordre inverse des disponibilités, une image inversée qui rend enviables les dernières places.

Le budget

Le budget global des BU en 89 est estimé à 765 MF : 248 de fonctionnement documentaire, 405 en crédits de personnel, 76 pour les infrastructures et la maintenance. L'édition actuelle ne concerne que les dépenses documentaires au sens strict du budget de fonctionnement documentaire ; celle de 90, nous annonce-t-on, fournira, par site, une présentation des charges en personnel. Nouvelle initiative qui sera la bienvenue et montrera l'importance d'une bibliothèque, comme entreprise, et la masse budgétaire réelle consommée par ce service public. Cela permettra des calculs intéressants, tel le prix de revient réel d'un ouvrage, d'un prêt, etc., et les possibilités de classer les établissements selon un indice nouveau qui pourrait s'apparenter à l'indice énergétique des sports automobiles. L'ensemble des recettes passe de 253 MF en 88 à 284 MF en 89. La ressource moyenne d'une bibliothèque en 89 s'est accrue de 16 %, se situant à 4,4 MF, mais il faut noter que 37 BU sur 64 se situent en-dessous de cette moyenne nationale.

Les dépenses documentaires comptent pour 54 %, si elles enregistrent une progression en valeur absolue de 22 MF, leur part dans le budget général diminue, passant de 54 % à 53 %, au profit des dépenses d'environnement documentaire. L'explication semble tenir dans le développement du libre accès, de l'aménagement des espaces, et de l'informatisation.

La dépense moyenne est de 2,2 MF pour les achats de documents, 39 BU sur 62 se plaçant sous cette moyenne.

La sous-direction exprime le souhait de dépenses documentaires tendant vers 60 % du budget. Désir qui est aussi celui des responsables d'établissements confrontés à la demande sans cesse accrue du public, mais qui, financièrement, entre en conflit avec la volonté d'informatiser les bibliothèques. Il ne faudrait pas perdre de vue que les dépenses générales de fonctionnement, d'entretien de maintenance, s'accroissent aussi à mesure qu'augmente le public et que s'intensifie la fréquentation.

Au sein des dépenses documentaires, la part des livres diminue de 2,2 % au profit des périodiques, les documents étrangers prenant une part de 55,5 % (+ 2,5 %) imputable pour beaucoup au coût des périodiques étrangers.

Les tableaux de présentation des dépenses documentaires sont nombreux, détaillés, clairs et ne donnent lieu à aucune remarque particulière autre que celle d'en reconnaître la qualité. Toutefois, le tableau 32 « Dépenses documentaires par lecteur inscrit » justifie les commentaires déjà formulés : il serait statistiquement et « sportivement » plus équitable de se fonder sur le nombre d'inscrits à l'université.

Le personnel

Depuis trois à quatre ans, le redressement des bibliothèques universitaires n'est plus un voeu mais un fait qui s'affirme chaque année : les rapports annuels en attestent.

Si les crédits constituent le nerf de la guerre, le personnel en forme la troupe. Et les effectifs ne suivent pas la progression. Certes les rendements individuels augmentent et il est dommage que les tableaux ne puissent mettre en valeur la performance humaine.

L'Annuaire 89 décrit la situation au 15 novembre 1988, et montre une diminution des effectifs, du fait des suppressions intervenues en 88. Stabilisée en 89, la tendance est renversée depuis (219 créations en 2 ans). Il nous est promis une augmentation dans le cadre des contrats par objectifs.

Néanmoins, une lecture de bon sens amène à constater qu'en 1983, avec 3 308 postes, les BU enregistraient 3 666 034 prêts à domicile pour 461 171 étudiants inscrits ; et 5 638 439 prêts pour 729 973 étudiants en 89, avec 3 133 postes, soit des progressions de 54 à 57 % avec un effectif légèrement moindre. Performance d'ensemble que les bibliothèques peuvent revendiquer avec fierté.

Cet annuaire présente d'autres tableaux riches d'enseignements qui autorisent une vue à la fois synthétique et fine de l'activité des bibliothèques relevant de la Direction de la programmation et du développement universitaire, comme les données sur les grands établissements (tableau 43) des données de synthèse sur les BU de 75 à 89, des données par régions (tableau 18), l'état de l'informatisation (tableau 17) dont on peut malheureusement dire qu'il traduit le retard des BU sur la lecture publique.

Beaucoup plus complet que le précédent, qui constituait déjà un événement, l'annuaire 88 exprime le nouvel élan des bibliothèques et confirme le tournant psychologique remarqué en 1988. Les BU sortent de l'ombre et affirment des objectifs. Dans ce contexte dynamique, l'introduction et la compétitivité est stimulante et bienvenue ; elle aura simplement besoin, pour assurer sa crédibilité, que les règles du jeu soient clairement fixées, et que les instruments de mesure soient définitivement homologables.

  1. (retour)↑  INIST : Institut national de l'information scientifique et technique.
  2. (retour)↑  PEB : Prêt entre bibliothèques.
  3. (retour)↑  CCN : Catalogue collectif national des publications en séries.